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ROBERT DE
SABLE.

1191.

il remit à la voile, donnant pour Chef, aux Croifés François, le Duc de Bourgogne, & laiffant le Roi d'Angleterre maitre du champ d'honneur.

Richard continua de s'y diftinguer: fa principale attention fut de relever les murs d'Acre, pour marcher enfuite contre Afcalon, & fe mefurer avec Saladin, fi l'occafion s'en préfentoit. Elle ne tarda pas à peine étoit-il arrivé entre Jaffa & Céfarée, que les Arabes tomberent fur fon arriere garde, qui étoit compofée des Templiers & des François; bientôt la mêlée devint générale, & le combat des plus acharnés (18). Les Ordres militaires, accoutumés à la maniere de combattre des Infideles, donnerent en cette occafion aux Croisés des exemples à imiter, & des leçons à retenir. Quoique le nombre des Chrétiens fût diminué des deux tiers, l'ennemi fut mis en déroute, & perdit à cette affaire près de quarante mille hommes. La fuite de cette vi&oire fut la prife de Jaffa, de Gaza & d'Afcalon Le deffein des Francs fur cette derniere fortereffe ayant transpiré, Saladin la fit démanteler & ruiner. Les Templiers ne laifferent pas d'y entrer, quelque délabrée qu'elle fût, pour la garder à tout événement.

Ceux qui accufent les Francs de n'avoir pas fu profiter de ces derniers avantages pour aller droit à la Ville Sainte en former le fiége, n'ont pas fait attention que la faifon étoit trop avancée, que Saladin amufoit alors Richard par des propofitions de paix, que les fentimens étoient partagés fur la fuite des opérations, enfin que l'Armée Chrétienne diminuoit tous les jours fenfiblement, par la retraite des Croifés qui fe rembarquoient chacun par différens motifs. Cela n'empêcha pas cependant qu'on n'employât le refte de la campagne à fubjuguer une bonne partie de la Paleftine & à répandre la terreur dans le Voifinage. Les François pafferent Thiver à Tyr, les Anglois à Afcalon, les Templiers à Gaza, & les Hofpitaliers dans Acre. De peur que l'oifiveté n'engourdit les Anglois, Richard

(18) Roger de Hoveden.

les

les occupa, pendant l'hiver, à relever les murs d'Afcalon, ville importante, qui fe trouva d'autant plutôt réparée, que le GrandMaître Robert agiffant en tout de concert avec fon Roi, n'épargnoit ni foin ni dépenfe pour fignaler fon Magiftere. Ce fut auffi au zele des Templiers que l'on dut le rétabliffement des fortifications de Gaza. C'étoit une des Clefs de la Palestine, que l'ennemi avoit ruinée, dans la crainte qu'elle ne fervît encore un jour à conferver Jérufalem, au cas qu'on vînt à la reprendre.

Pendant ce tems-là Saladin s'occupoit à mettre la Ville Sainte en état de résister aux efforts des Chrétiens. Ceux-ci, de leur côté, commencerent la campagne par le fiége de Daroun, qui fut prife d'affaut en quatre jours. Après quelques autres petits avantages, Richard, fuivi de toutes les forces des deux Ordres, partit pour Betonople, qui étoit le rendez-vous général des troupes. En chemin faifant il apprit qu'une riche caravane fortie d'Egypte, & chargée de provifions de bouche, de tentes, d'habits & d'armes, étoit en route pour Jérufalem: on fut affez heureux pour l'atteindre'; on la battit, on diffipa l'efcorte, & le butin fut immenfe; on prit, entr'autres chofes, trois mille chameaux, cinq cents chevaux, & l'on fit cinq cents prifonniers, qui furent diftribués, avec tout le refte, aux Chevaliers & Soldats, à proportion du fervice que chacun avoit rendu en cette rencontre (19).

Richard ayant enfuite fait un mouvement, comme s'il eût eu def fein d'inveftir la Sainte Cité, s'apperçut que bien des gens, furtout les François, ne donneroient pas dans fes vues; c'est pourquoi, afin de ne rien entreprendre contre le confertement des autres nations, il leur confeilla de s'en remettre, fur le plan de la campagne, au jugement de perfonnes prudentes qui, après ferment prêté de n'envisager dans leur avis que le bien commun, détermineroient irrévocablement le parti qu'on auroit à prendre; en conféquence on choifit vingt arbitres, cinq parmi les Orientaux

(19) Chronicon Trivetti, ad hunc annum.

Tome. I.

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autant parmi les Occidentaux, qui, joints à cinq Chevaliers du Temple & à cinq Hofpitaliers, déciderent, après une mûre délibération, que le plus à propos étoit de remettre le fiége de Jérufalemi à la campagne fuivante, & de s'appliquer, en attendant, à rétablir les villes ruinées.

Sur ces entrefaites on vint annoncer à Richard que fon frere Jean fomentoit une confpiration en Angleterre. Le Monarque, qui d'ailleurs voyoit fes forces diminuer, fa fanté dépérir, & fes finances prefque épuifées, fe rappella les propofitions qui lui avoient été faites de la part du Sultan, & il lui fit entendre qu'il ne feroit pas éloigné de fe prêter à un accommodement. Saladin, qui, de fon côté, craignoit ce Prince, & penfoit donner du repos à fes fujets après tant de fang répandu, répondit qu'il n'avoit pas changé, & on recommença à parler d'accord.

Ils convinrent d'une treve pour trois ans, tant fur terre que fur mer, à condition qu'Afcalon, dont le rétabliffement avoit tant coûté aux Templiers, feroit abfolument démantelée, que fept villes, entr'autres Jaffa, Céfarée, Caïphas, Affur & Acre, avec leurs territoires, feroient cédées aux Francs, que Lidde & Remla feroient partagées entre les deux Puiffances; que toutes les villes dont il n'eft point parlé dans l'accord, & fur- tout Jérufalem, demeureroient au Sultan; que cependant les Chrétiens auroient la liberté d'y vifiter les Lieux Saints, & qu'en ce cas ils feroient exempts de péages & de tributs. C'est tout ce que purent gagner trois cent mille hommes, dont la derniere croifade étoit compofée (20).

Tandis qu'on traitoit de ces articles, les Officiers & Soldats des deux Nations paffoient tous les jours d'un camp à l'autre, & fe régaloient réciproquement: on les vit même s'amufer à différens jeux; tantôt c'étoient des courfes de bagues & de têtes (21), tantôt

(20) Hiftoire des Arabes, au tom. 16 de bride; la premiere, pour enlever avec la lance l'Hift. Univ., par une Société d'Anglois.

(21) Courir les têtes, forte d'exercice à cheval, qui fe fait en quatre courfes à toute

une tête de carton pofée pour cet effet fur un poteau; la feconde, pour lancer un dard contre une autre tête femblable; la troisieme, pour

des combats de barrieres, qui étoient fuivis de repas fomptueux. Au milieu de ces réjouiffances, Richard fit appeller le GrandMaître Robert, pour lui confier le deffein qu'il avoit de s'en retourner: « Vous n'ignorez pas, lui dit-il, combien je fuis peu » aimé ici, & quel eft le nombre de mes envieux; j'ai tout à "craindre de leur mauvaise volonté; ils n'auront pas plutôt appris " la nouvelle de mon départ, qu'il s'en trouvera d'affez vindicatifs " pour attenter à ma vie ou à ma liberté; je ne vois qu'un moyen » de leur échapper, qui eft de me déguiser sous l'habit de Templier, & de mettre à la voile dans un bâtiment monté par quelques"uns des vôtres, qui me conduiront comme un des leurs jufqu'au» delà des mers (22), & de-là, par terre, jusque dans mes Etats; " c'est un service que j'attends de votre fidélité & de votre atta"chement à ma perfonne (23). "

Robert approuva fon deffein, & difpofa lui-même fans bruit & fans éclat tout le néceffaire de l'embarquement. Richard ayant fait fes adieux aux Templiers, & défigné à la Reine, comme à toute fa fuite, la route qu'elle devoit prendre, partit fur une galere, accompagné de Baudoin de Bétun, d'un Chapelain, d'un fecrétaire, de quelques domeftiques & de quatre Templiers. Pendant plufieurs jours, ils furent battus d'une tempête, qui les jetta fur les côtes d'Istrie, où la galere fe brifa contre un rocher. Afin d'éviter la route de la Pouille, où l'Empereur avoit des troupes, ils prirent celle de Daimatie, & pafferent fur les terres du Duc d'Autriche, où Richard, malgré toutes fes précautions, fut découvert par l'indifcrétion de fes gens, & livré à Léopold, qu'il avoit fi indignement outragé en Syrie. Le Duc le fit conduire à l'Empereur comme un ennemi qu'on auroit pris en guerre, & il ne fut remis en liberté qu'après quinze

lancer un dard contre une tête de Médule, peinte fur un rond de bois; & la quatrieme, pour relever de terre une troifieme tête avec la pointe de l'épée.

(22) Imperiale folum cultu Templarius intrat

privato ut tectus habitu fecurior iret. Ita W.
Brito, lib. 4, Philipp.

(23) Tyrii continuata Hiftoria.
Tolnerus, Hift. Palatina, pag. 368.

ROBERT DE
SABLE

1192.

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SABLE.

1492,

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mois de prifon, en payant, pour fon rachat, une fomme de cent cinquante mille marcs d'argent (24).

Aventure humiliante pour un Prince qui venoit de difpofer du Royaume de Jérufalem en faveur de fon neveu le Comte de Champagne, & de celui de Chypre en faveur de Lufignan; mais aventure nécessaire pour mortifier ce cœur de lion, qui joignoit à la force & au courage tant & de fi grands défauts, que l'Hiftoire en fait un des plus mauvais Rois d'Angleterre. A peine eut-il quitté la Palestine, que le Duc de Bourgogne paya le tribut, & fut enterré chez les Templiers d'Acre. Le Comte de Champagne, que les Barons & Chevaliers avoient couronné Roi, & fur qui devoit naturellement tomber tout le poids des affaires, refufant de s'en charger, foit par indolence, foit par trop d'attachement à ses plaifirs, les Ordres Militaires fe virent obligés de contenir cette multitude d'Occidentaux qui reftoient auffi peu unis entr'eux que l'avoient été les Chefs qui les avoient amenés.

L'année suivante, la mort délivra les Chevaliers, de Saladin leur plus terrible fléau. Il étoit fils d'un Gouverneur de Tecrit : l'ingratitude envers fes bienfaiteurs, la fraude & la perfidie, furent les moyens par lefquels il parvint au Califat. Une ambition démefurée l'ayant élevé jufqu'au degré de Sultan, il fut s'y maintenir par la force, & l'illuftrer cependant par des exemples de frugalité, de modération & de défintéreffement, bien plus dignes d'être tranfmis à la postérité que la fable du drap mis au bout d'une pique & porté par les rues de Damas, pour montrer aux hommes que la mort ne met aucune différence entr'eux.

En Occident, un autre Saladin, j'entends le Miramolin d'Afrique, faifoit trembler les Espagnols: il remporta fur eux, en 1194, une victoire fignalée, prés d'Alarcos, où le Roi de Castille fut battu de même que les Ordres militaires, qui faifoient le fort de fon

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(24) Ce qui feroit fept millions cinq cent le calcul de ceux qui prennent le marc marca mille livres de notre monnoie, à cinquante liv. pour demi livre, méprile affez ordinaire. le marc, & quarante millions d'écus, fuivant

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