Imágenes de páginas
PDF
EPUB

HUGUES DES

PAYENS.

1136.

protecteur, & de s'être fouftraite à son obéissance. Mais, s'agit-il d'examiner quand & comment la chose est arrivée on ne trouve que fauffeté, contradiction, & fentimens hafardés. L'un prétend que 28 jufqu'en c'eft fous Gelafe II, en 1119, & ofe apporter en preuve un texte de Matthieu Paris qui ne fe trouve plus (75), & qui eft contraire au fentiment de l'Hiftorien Anglois; car il dit en termes formels, après. Guillaume de Tyr, que les Templiers perfifterent long-tems dans leur louable deffein (76). Un autre veut que ce foit fous Calixte II, dans un Concile tenu à Reims cette même année 1119, ce qui n'est pas moins deftitué de fondement (77). Perfonne n'a rapporté plus au long l'Hiftoire de ce Concile qu'Orderic Vital: qu'on prenne la peine de le confulter (78), je fuis bien trompé fi on y voit un feul mot de ce que Volfius y a trouvé, à moins qu'on n'y prenne l'Evêque de Mâcon pour le Patriarche de Jérufalem, & pour Templiers les Clugniftes, qui défendoient là leurs exemptions. Il feroit fort étrange que Hugues & fes premiers disciples, quelques mois après avoir prononcé leurs vœux, euffent dédaigné de reconnoître l'autorité de celui qui les avoit reçus fi favorablement, & qu'ils euffent mendié des priviléges qui leur étoient très - inutiles alors. Il eft plus naturel de penfer que le Saint-Siége les leur accorda, du moins en partie, par la bulle de confirmation en 1128, ainfi qu'on pourroit l'inférer des paroles de Ferdinand Ughelli (79).

Ce fut vers 1136 que Hugues -des-Payens, qualifié de premier Maître du Temple, passa à une meilleure vie, regretté de tout ce qu'il

y

avoit de Chrétiens zélés dans la Palestine, de fes Chevaliers fur-tout, qui furent témoins, pendant dix-huit ans, de fa tendre piété, de fon zele & de fa charité envers les pauvres & les pèlerins. Le Comte de

(75) Gurtleri Hift. Templariorum, loco citato. Balaus in Gelafium 11.

(79) Italia Sacra, tom. 1, col. 253. Matthaus Albanenfis fub Honorio 11, in Galliis (76) Matthaus Parifius, ad annum 1118. legatione functus, in Trecenfi Concilio Militare (77) Volfius in Memorabilibus. Item, Hofpi- Templariorum inftitutum favorabilibus diplomanianus, de origine Monachatus, lib. 5, p. 338.tibus indultis confirmavit. (78) Ecclef. Hift., l. 12, p. 857, ad an. 1119.

HUGUES DES
PAYENS.

1128 jufqu'en

1136.

ROBERT DE
CRAON.

[ocr errors]

Pagan le met au nombre de fes ancêtres. Hugues avoit été marié, & Thiebauld, un de fes fils, fut fait Abbé de Sainte-Colombe à Sens en 1139 (80). C'est ce Thiebauld qui a écrit & enseigné que l'ExtrêmeOnction ne pouvoit pas plus fe réitérer que le Baptême, & qui est réfuté par Pierre le Vénérable, dans une lettre que cet Abbé de Clugni lui adreffa (81). Hugues eut en mourant la confolation de voir fes éleves universellement aimés des grands & du peuple, & devenus auffi chers à toute la chrétienté, qu'ils étoient redoutables aux Infideles. Il eut pour fucceffeur Robert, furnommé le Bourguignon, qu'il ne faut pas confondre avec fon aïeul de même nom. Guillaume de Tyr le qualifie grand capitaine, habile dans l'art militaire, & 1145. auffi illuftre par la pureté de ses mœurs que par l'éclat de sa naissance. Il étoit troisieme fils de Renaud II, Seigneur de Craon, fondateur de l'Abbaye de la Rue en Anjou. "On prétend que Wulgrin II, " Comte d'Angoulême, fon parent, le fiança à la fille de Jourdain II, Seigneur de Chabanois & de Confolens; que Wulgrin investit "Robert de ces deux feigneuries qui lui appartenoient, mais que " le Duc de Guienne, de qui ces biens relevoient, trouva moyen » de s'en emparer, ce qui fâcha tellement Robert, que de dépit il s'en » alla en Terre-Sainte, & y prit l'habit de Templier ( 82 ). »

1136 jufqu'en

[ocr errors]

Dans ce peu de mots il y a beaucoup à rectifier: Robert fut nonfeulement fiancé, mais engagé par un mariage légitime avec Richeze, fœur unique de S. Anfelme, Archevêque de Cantorbéry. Il eut de fon épouse plusieurs enfans, qui moururent tous en bas âge, & dont il ne lui refta que l'aîné, nommé Anfelme, qu'il confacra au fervice des faints autels dans l'Eglife de Cantorbéry, & dont l'Archevêque prit un foin particulier. Le jeune Anfelme, devenu religieux, fut fait Abbé de Saint-Edme, & demeura affez long-tems en Angleterre. Il fit le voy age

(80) Chronicon Senonenfe, apud Dom. Mar-
tenne, Thef. anecdot., tom. 3, columnâ 1452.
Rofcelino fucceffit Theobaldus de Pahens, filius
Hugonis, primi Magifiri Templi Jerufalem.
(81) Lib. 5, epiftolâ 7.

(81) Hiftoire de Bourgogne, tom. 1, liv. 4, pag. 578.

Hiftoire généalogique de plufieurs Maisons de Bretagne, par Aug. Dupaz, pag. 748.,

par fes

de Rome, & fut très-considéré du Pape Pascal, qui le fit Abbé de
Saint-Sabbas, & lui conféra l'Evêché de Londres. Il a mérité,
écrits, d'être compté au nombre des Auteurs eccléfiaftiques (83).
« Il aime Dieu, dit le faint Prélat écrivant à Robert, & tout ce que
» l'on doit aimer; c'eft pourquoi vous ne fauriez trop affectionner
» ceux qui lui ont infpiré cet amour de Dieu & de fon état : c'est
» fans doute parce que vous avez donné à Dieu votre premier né,
» que le ciel vous a ravi vos autres enfans, avant qu'ils fuffent en
» état de contracter aucunes fouillures: rendez-en graces à Dieu; &
" vous, ma chere fœur, je vous conjure de n'être pas infenfible à
» cette grâce, dont vous avez été prévenue fans l'avoir méritée.
"Confidérez que Dieu ne vous a privée de cette confolation, que
» pour vous rendre plus libre de vous attacher à lui feul, & pour
" vous ôter toute occafion d'aimer le monde. Rappellez-vous fouvent
» à l'efprit l'un & l'autre le terme de vos espérances; faites-en l'objet
» de vos entretiens du jour & de la nuit ; dites-vous à vous-mêmes : que
"faifons-nous? que tardons-nous? à quoi se passent nos jours? quelles
" fatisfactions offrons-nous à Dieu pour nos péchés? Nous fommes à la
"veille de paroître devant le Souverain Juge, qu'avons-nous fait pour
» nous le rendre propice? Tels doivent être les pensées de votre
esprit & les fentimens de votre cœur (84). »

Cette femence ne tomba pas fur une terre ingrate : les deux époux, dociles aux instructions réitérées du faint Archevêque, couloient tranquillement leurs jours dans la pratique de toutes fortes de bonnes œuvres, lorfqu'il vint en pensée à Robert de faire le voyage de la TerreSainte. Il s'en ouvrit au faint Prélat, qui lui répondit en ces termes : « S'il est vrai que vous ayiez conçu le deffein de faire le voyage de "Jérufalem pour l'honneur de Dieu & le falut de votre ame, & » que vous n'ayiez pas voulu vous mettre en route fans m'avoir con" fulté & votre fils Anfelme, je loue vos difpofitions, & vous confeille

(83) Hiftoire littéraire de France, tom. 9, pag. 416.

(84) S. Anfelmus, lib. 3 Epiftolarum, epift. 43, 63, 66 & 67.

ROBERT DE
CRAON.

1136 jufqu'en 1146.

ROBERT DE
CRAON.

1136 jufqu'en 1146.

[ocr errors]

» de ne pas traîner après vous le fardeau de vos péchés, mais de vous » affermir dans la réfolution de vivre en bon Chrétien, conformément » aux obligations de votre état : commencez par une bonne confeffion générale de toute votre vie, & que votre abfence n'occafionne " aucun tort à votre épouse, dont le caractere bienfaifant vous eft mieux connu qu'à perfonne; faites en forte de ne pas l'abandonner » fans fecours ni confeils, & que, fi la Providence vient à difpofer de » vous, elle ne foit pas obligée de fortir de votre maifon contre fon gré, mais qu'il lui foit libre d'y fervir Dieu tant qu'elle vivra, & d'y "prier pour votre conservation & le falut de votre amie. Mettez "donc ordre à vos affaires, comme s'il s'agiffoit de paroître à ce » moment devant Dieu. Quant à ma bénédiction que vous demandez, " je prie le Seigneur de vous accorder lui-même la fienne, de vous » combler de fes graces, & de vous feconder dans toutes vos >> entreprises. »

[ocr errors]

Ce ne fut donc qu'après avoir bien confulté, & non par dépit, que Robert de Craon partit pour la Terre-Sainte; ce fut encore moins pour se faire Templier, puifque, quand il quitta fon épouse, c'est-àdire, vers 1107, avant la mort de S. Anfelme, il n'étoit pas encore question de cette Chevalerie: ce ne fut que vers 1130, après la mort de Richeze, que Robert prononça fes vœux.

Il ne fut pas plutôt mis à la tête de fes confreres, qu'il trouva l'occafion de juftifier le choix qu'on venoit de faire de fa perfonne. Une troupe de brigands, retranchés au-delà du Jourdain, dans les cavernes d'une montagne escarpée, faifoient de fréquentes irruptions fur les frontieres de la province. Le Roi Foulques, réfolu de leur donner la chaffe, fe mit à la tête de l'armée chrétienne; les Infideles, de leur côté, profitant de l'absence du Roi, pafferent le Jourdain par un autre endroit, dans le deffein de ravager cette contrée de la Palestine qui échut en partage à la Tribu de Juda. Robert, qui étoit resté à Jérufalem, raffembla ce qu'il put des fiens & de quelques autres qui n'avoient pas fuivi l'armée, & fans perdre de tems courut à l'ennemi, accompagné d'un bon nombre de bourgeois qu'il

avoit armés à la hâte. Les Sarrafins, qui ne s'attendoient à rien moins qu'à une vigoureuse réfiftance, prirent la fuite, & fe répandirent dans la plaine d'Afcalon. La prudence demandoit qu'on s'en tînt à cet avantage, & c'étoit l'intention de Robert; mais l'insatiable avidité du butin, qui a rendu fi fouvent douteux le fort des armes, rendit la fuite de cette journée fatale aux Chrétiens. Après avoir poursuivi quelque tems les fuyards, n'observant plus aucun ordre, ils se débanderent pour courir au pillage, & l'ennemi, qui s'en apperçut, se ralliant, vint fondre fur cette multitude en confufion. Robert fit tous fes efforts pour arrêter les progrès des Sarrafins, mais ce fut fans fuccès: à mesure que les fiens accouroient par pelotons pour le feconder, ils étoient repouffés & accablés par le grand nombre. On perdit à cette affaire quelques gentilshommes & quelques Chevaliers de marque ; mais celui qui mérita le plus d'être regretté, fut le brave Templier Eudes de Montfaucon, qui s'étoit déja fait remarquer dans plufieurs autres rencontres par fa valeur & fon courage (85). On ne voit pas fur quel fondement le Chevalier Jauna & l'Hiftorien de l'Eglife de Paris ont prétendu que Robert périt à cette journée. Matthieu Paris' & Gurtler après lui fe font trompés en rapportant cette action à l'an 1133, & en difant que tous les Templiers y furent tués : le plus grand nombre de ceux-ci étoient à la fuite du Roi, au-delà du Jourdain.

La nouvelle de cet échec parvint dans peu jufqu'à l'armée : loin de décourager les chefs, elle ne fit que les animer à refferrer de plus près les payfans dans leurs rochers, de façon qu'au bout de quelques jours, on se vit maître de la montagne, & confolé de la perte que Robert venoit d'effuyer.

Cependant l'Ordre fe multiplioit fenfiblement dans les contrées occidentales; déja les Templiers exiftoient en Italie, puifque, en 1138, S. Bernard, fe trouvant à Rome, alla leur demander le fuffrage de leurs prieres, & leur accorder fa bénédiction paternelle. On dit que le faint Abbé logea une nuit chez eux, & qu'il y oublia, ou voulut

(85) Willel. Tyrius, lib. 15, cap. 6. Tome 1.

E

ROBERT. DE
CRAON.

1136 jufqu'en 1145.

« AnteriorContinuar »