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recommander au Roi de Chypre, & à s'intéreffer auprès des Seigneurs Orientaux, pour obtenir, par échange ou autrement, la liberté de ces illuftres prifonniers. Tandis qu'on y travailloit, il arriva des commiffions de Rome aux deux Grands - Maîtres, pour les engager à rétablir la paix entre les gens de l'Empereur, la nobleffe & le peuple, qui avoient chaffé d'Acre les Allemands, & les avoient contraints de fe réfugier à Tyr. Par refpe&t pour l'autorité & la puiffance des deux Ordres, on accepta leur médiation, & on voulut bien recevoir de nouveau les Allemands dans Acre: la tranquillité y fut rétablie & maintenue par les Chevaliers, qui gouvernoient en Souverains les débris du Royaume; car, malgré la préfence du Lieutenant de Fridéric, c'étoient eux qui difpofoient de la plupart des charges & des emplois publics, & qui faifoient la loi tant aux étrangers qu'aux naturels du pays.

Cet empreffement du Pape à réunir les Orientaux, les foins qu'il prenoit d'exciter les peuples à fe croifer, démontrent combien il avoit à cœur le recouvrement des Lieux Saints: il preffoit, dit-on, d'autant plus cette affaire, « qu'il avoit la douleur d'apprendre jour»nellement la défunion & l'acharnement avec lequel les deux Ordres " cherchoient à fe détruire entr'eux pour des intérêts de peu d'im"portance (29). :

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Il y a dans cette raifon quelque chofe de plus que de la méprife; elle eft fauffe & calomnieufe: le Chevalier Jauna, à qui elle eft échappée, pour s'être mis fur le pied de ne citer aucune Hiftoire, & s'être vanté d'écrire avec plus d'exactitude qu'aucun Auteur moderne, n'en doit pas être plus croyable. Si les Chevaliers euffent été acharnés les uns contre les autres dans le tems que nous parcourons, comment eft-ce que le Pape, qui les chargeoit de réconcilier les Barons, ne les exhortoit pas à commencer eux-mêmes à vivre en paix ? Dans la lettre qu'il adreffa aux Templiers cette année, on ne trouve rien de ces divifions journalieres entre les deux Ordres (30);

(29) Hift. génér. de Jérufalem, &c, tom. 1, (30) Odoric Rainald., n. 85. pag. 158.

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ils cherchoient fi peu à fe détruire en ce tems, que le Maître de PERIGORD. THôpital ayant à répéter au Sultan de Hama des fommes confidérables dont on lui refufoit le paiement, celui du Temple rassembla tout ce qu'il put de fes gens pour fe joindre aux Hofpitaliers, & aller, de concert avec eux, répéter à main armée ce qu'on leur refufoit injuftement (31). Ils l'obtinrent à la fin; mais ce ne fut que par la médiation du Sultan de Damas, qui, voyant le dégât que les Francs faifoient fur le territoire de fon neveu, le porta à exécuter fes engagemens, d'autant qu'il s'y étoit foumis de bonne foi & fans contrainte.

Après ces fervices rendus aux Hofpitaliers, Herman réunit fes forces à celles de Boëmond V, Prince d'Antioche, dans le deffein de pénétrer fur les terres d'Arménie, & de venger l'outrage qu'il prétendoit avoir reçu en la perfonne de quelques-uns des fiens condamnés par le Roi à une mort infamante. Ce Prince étoit Haïton, gendre & fucceffeur de ce Léon ou Livon tant de fois brouillé, mais enfin réconcilié, du moins en apparence, avec les Chevaliers en 1213. Haïton, héritier de la haine que fon beau-pere portoit aux Sujets du Temple, ayant appris qu'ils s'étoient échappés en paroles, au point de menacer d'introduire des troupes en Arménie pour fe faire juftice par eux-mêmes, fit faifir les coupables, & porta le reffentiment jufqu'à faire pendre les uns & fouetter les autres. Les Chevaliers, qui fe tenoient pour indépendans de toute autorité féculiere, & qui penfoient être en droit de fe défendre les armes à la main contre un Chrétien même, lorfqu'ils étoient les premiers attaqués (32), s'avancerent en bon ordre, & firent irruption fur les terres d'Arménie; mais au premier bruit de leur marche, Haiton leur envoya des députés, & foit qu'il fe fentît coupable, ou qu'il ne fe crût pas en état de leur faire face, il s'offrit à les fatisfaire. Après s'être remis de part & d'autre leurs injures mu

(31) Tyrii continuata Hiftoria, colum. 715.

(2) Voyez ce que nous avons rapporté fur l'an 1208, liv. 6 de cette Histoire.

tuelles, on fit un accommodement tout à l'avantage des Chevaliers, qui fe retirerent auffi contens du fuccès de cette expédition, que s'ils euffent eu affaire à un Prince Mahométan (33).

Cependant le Roi d'Aragon fe difpofoit à continuer fes conquêtes fur le royaume de Valence; déja il étoit maître d'Enefe, pofte avantageux dans le voifinage de la capitale, & avoit affemblé à Monçon fes États, compofés des Prélats & des Chevaliers des deux Ordres, pour en obtenir des troupes & de l'argent. En vue d'attirer la protection du ciel fur fes armes, il fit un vœu par lequel il s'engageoir, au cas qu'il vînt à bout de chaffer les Maures du Royaume de Valence, d'en doter les Eglifes, fur-tout l'Archiépifcopale & celles qui en dépendoient, felon qu'il feroit réglé par l'Archevêque de Tarragone, par les Maîtres du Temple & de l'Hôpital, ou par leurs fucceffeurs. « Nous promettons auffi, dit le Roi, à " tous les Prélats, Clercs & Chevaliers qui feront des avances pour cette expédition, que non-feulement elles leur feront rembour" fées, mais qu'ils auront leur part des terres conquifes, fuivant. n la diftribution qui en fera faite par l'Archevêque de Tarragone » & les Précepteurs des deux Ordres. Nous défendons en outre à "tous nos Baillis, Viguiers & Militaires de Catalogne & d'Aragon, "de prendre par force aucun logement dans les Eglifes, Maifons, » Monasteres, Fermes & licux privilégiés du Temple & de l'Hô"pital (34).

Des Templiers qui furent de cette affemblée, nous ne connoiffons guere que Raimond Patoce, Bernard Campana, Hugues de Montlaur, & un quatrieme, favoir Raimond Bérenger, qui comparant les forces des Maures avec celles de Don Jacques, crut devoir lui confeiller de renoncer à fon entréprife.

Ce Prince n'avoit en effet pas plus de deux mille hommes lorfqu'il ouvrit la campagne; & fans les fecours qui lui vinrent de France

(33) Tyrii continuata Hißoria, col. 716 (34) Conciliorum Hifpania, tom. 5, pag.. & 717..

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& d'Angleterre, jamais il n'auroit pu, fans miracle, réfifter aux Infideles, bien moins encore les réduire; auffi l'accufoit-on ouvertement de témérité. Il fut cependant fi bien régler fes démarches & ménager fes avantages, qu'il eut tout le tems de raffembler près de Valence une armée de plus de foixante mille hommes, dont il inveftit cette opulente & forte place. Secondé par la valeur de fes Chevaliers, il la battit pendant fix mois fans difcontinuer, avec toutes les machines qui étoient d'ufage en ce tems: ce ne fut qu'après avoir effuyé tous les dangers & travaux imaginables, qu'on vint à bout d'enlever pour toujours, fur les Maures, cette ville dont dépendoit la conquête de tout le Royaume. La réfistance opiniâtre des affiégés, & l'efpérance des fecours qu'ils attendoient, firent durer le fiége, jufqu'à ce que les Bourgeois, dépourvus de vivres, menacerent de traiter eux - mêmes avec les affiégeans, fi la garnifon ne fe rendoit. Elle propofa donc enfin une capitulation, qui parut fi avantageufe à l'Aragonois, qu'il ne balança point à l'accepter. On convint que non-feulement Valence, mais toutes les places du Royaume fituées en-deçà du Xucar feroient rendues aux Chrétiens; qu'il y auroit treve pour huit ans à l'égard de celles qui font au-delà; que la garnifon & les bourgeois auroient cinq jours pour évacuer la place, & en tranfporter leurs meubles & équipages. Cinquante mille Maures fortirent de Valence, & les victorieux y firent leur entrée le 28 Septembre de 1238. Le premier foin des Aragonois, fut d'établir folidement le Chriftianifmne dans la ville, fous l'autorité d'un Pasteur, & n'ayant trouvé perfonne plus en état de répondre à leur louable deffein que le Prévôt de SaintMartin de Tarragone, ils l'envoyerent au pape, qui le facra Evêque de Valence à la recommandation du Roi & des Précepteurs des deux Ordres (35).

Cette ville eft fituée à trois milles de la mer, dans une cam

(35) Bernardinus Gomefius, lib. 9 & 10.
Item., J. Marian. lib. 12, cap. 19.

Item., Hiftoire des Révolutions d'Espagne, fur l'an 1238.

pagne

pagne agréable, où la nature femble avoir répandu fes dons à pleines mains on y refpire un air fi doux & fi tempéré, qu'on n'y fent prefque jamais d'hiver; on y trouve en abondance tout ce qui fert aux befoins & aux délices de la vie. La beauté de ce lieu, les agrémens de fa fituation, la fertilité de fon terroir, le voifinage de la mer, toutes ces chofes réunies font de Valence & de fes environs un lieu enchanté, que Mariana ne fait pas difficulté de comparer aux Champs Elyfiens. Le Roi abandonna cette charmante plaine aux Chevaliers & à la nobleffe, qui fe la partagerent à proportion de ce que chacun avoit contribué aux frais du fiége (36). La ville, qui étoit de figure ronde, avoit quatre portes principales, dont l'une fut appellée dans la fuite la Templaire, à caufe des bâtimens que les Templiers firent élever dans le voifinage,

Celui des Templiers, qui fe fignala le plus en cette expédition, fut le Frere Hugues de Montlaur, Précepteur de Provence, qui, peu auparavant, avoit moyenné une réconciliation entre le Roi Jacques & Nugnès, fils du Comte de Rouffillon, & qui, l'année précédente, avoit renouvellé avec le Roi S. Louis le pariage de plufieurs villages, que Gilbert d'Eracle avoit fait autrefois avec PhilippeAugufte. Nous ignorons fi ce Hugues étoit de la Maifon de Montlaur en Vivarais, ou de celle du Diocese de Maguelone, ou enfin d'une troisieme de même nom dans le Toulousain (37).

Comme on n'avoit diftribué aux nobles Aragonois les terres conquifes, qu'à charge d'en défendre les frontieres, il fut réglé que cent d'entr'eux tiendroient continuellement garnifon dans les villes; qu'ils feroient remplacés par cent autres tous les quatre mois; qu'ils auroient pour commandans le Frere Nafturce de Beaumont, Précepteur, avec trois autres Seigneurs de la premiere nobleffe, & connus par leurs faits d'armes. Il reftoit encore à donner des loix aux colonies qui étoient venues prendre dans Valence la place des

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(36) Mariana, lib. 12, cap. 19. Templariis (37) Hift. générale de Languedoc, tom. 3a Militibus & Hofpitalariis fua premia fuere. pag. 409. Z z

Tome I.

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