HUGUES DES 1118. fon nom d'un endroit fitué à deux ou trois lieues au-deffous de Troyes, fur la Seine (9). Le fecond, nommé Geoffroi de Saint-Omer, n'étoit ni Toulousain, ni de la famille de S. Adhémar, ainfi qu'on l'affure dans le Dictionnaire Héraldique, mais de celle des Châtelains de Saint-Omer en Flandre, qui a fleuri jufqu'en 1617. A ces deux premiers fe joignirent fept autres François, auffi recommandables par leur naiffance que diftingués par le courage & la valeur. Une chronique de Cîteaux nous a confervé les noms de quatre, qui font: Roffal, Geoffroi Bifol, Payen de Montdidier, & Archambaud de Saint-Agnan. Une lettre du Roi Baudoin nous en fait connoître deux autres fous les noms d'André & de Gondemare; André étoit de la famille de Montbard, & oncle maternel de S. Bernard (10). Le neuvieme fut, felon toute apparence, Hugues Ier., feptieme Comte de Champagne, & fondateur de Clairvaux. Il fe joignit aux autres en 1125, ce qui lui attira, de la part du faint Abbé, une lettre, dans laquelle on le félicite d'être devenu pauvre foldat, de Comte & de riche qu'il étoit. Ce Hugues mourut en Palestine, vers 1126 (11). Ce fut en 1118, fous Baudoin II, troifieme Roi de Jérufalem, que ces Gentilshommes exécuterent le deffein qu'ils avoient conçu 1118 jufqu'en d'embraffer un état où ils puffent vivre en commun, fuivant l'inftitut des Chanoines réguliers, fous la regle de S. Auguftin (12). Ils prononcerent les trois vœux ordinaires entre les mains du Patriarche Gormond, & s'engagerent, par un quatrieme, à la sûreté des chemins, & à défendre les pélerins des embûches de ceux qui en vouloient à leur vie & à leurs dépouilles, ce qui a rendu cet Ordre originairement régulier & militaire, différent en cela de celui des Hofpitaliers, que le (9) Chronic. Cifterc. apud Miraum, de origine (10) Regula, conftitut. & privilegia Ordin. Ordinum Equeftrium. Cifterc., pag. 477 ; necnon Manrique, tom. 1, pag. 375. Ciftercienf. Annalium. Quelques autres, mais moins fondés, font Hugues originaire de la Maison de Pagan, en Languedoc, laquelle porte d'azur à quatre barres d'argent, deux lions paffans de fable l'un fur l'autre brochans fur le tour. (11) Chronicon Alberici ad annum 1125. Baugier, tom. 1, pag. 129 de ses Mémoires. (12) Jacob, de Vitriaco, Hift. Jerol,, c. 64. HUGUES DES PAYENS. 1128. B. Gerard, leur fondateur, n'avoit destinés qu'à fervir les étrangers pauvres ou malades dans les Hôpitaux, & qui ne prirent les armes que fous Raimond Dupui, à l'imitation de la Chevalerie du Temple (13). 1118 jufqu'en Celle-ci ne fut donc jamais fille de l'Hôpital, quoi qu'en difent les Hiftoriens de Malte, d'après Brompton: un d'entre eux fe plaint de la négligence & du filence des écrivains orientaux fur les exploits de fes confreres jufqu'en 1130, parce qu'en cette année le Pape Innocent II, dans une bulle, affure qu'on ne parloit dans toute l'Europe que des fervices importans qu'ils rendoient au Roi de Jérufalem contre les infideles, ce qui fuppofe, ajoute-t-il, qu'il y avoit déja du tems qu'ils étoient armés, & en conféquence il préfume qu'ils prirent les armes la même année que les Templiers (14). Cette induction me paroît peu juste; voici ce que la bulle porte: "C'est par eux que Dieu purge l'Eglife orientale de la corruption des » Païens, & qu'il force les ennemis du nom Chrétien. (Mais com"ment?) En ce que les membres de cette maison ne craignant pas » d'exposer leur vie pour le prochain, entretiennent, à leurs frais "des cavaliers & des chevaux deftinés à défendre les fideles des infultes des barbares, en les accompagnant, tant à leur retour » qu'à leur arrivée (15). " Ces termes n'annoncent affurément aucun exploit militaire, mais feulement que les Freres Hofpitaliers, trente ans après leur fondation, avoient gens à leur folde, & faifoient par autrui ce que les Templiers faifoient par eux-mêmes dès leur inftitution. Si, avant 1130, l'histoire (comme on eft obligé d'en convenir,) ne dit rien de ces importans fervices rendus au Roi de Jérufalem, dont parle l'hiftorien de Malte, où a-t-il trouvé que fes confreres commencerent en 1118 à prendre les armes & à forcer, en (13) Jacob. de Vitriaco, Hift. Jerol. Pradicti Auffi trouve-t-on des Chronistes, tels que enim Hofpitales Fratres, ad imitationem Fra-Udalric Onforg, Chron. Bavaria, pag. 360, qui trum Militia Templi, armis materialibus uten-ne placent le commencement des Hofpitaliers tes, Milites cum Servientibus in fuo Collegio, receperunt. Item, Epitome bellorum facrorum, apud H. Canifium, tom. 5, pag. 431. qu'en 1128, parce qu'ils ne les confiderent que (14) Hiftoire de Malte, in-4., pag. 61, 62, HUGUES DES 11.8. 1119 (16), les Turcs, en bataille rangée, à la fuite de Baudoin, fous les ordres de Raimond Dupui? Il feroit aifé de faire voir que 1118 jufqu'en Raimond, dans les premieres années de fa fupériorité, qui commença en 1118, ne fongeoit guere à rendre fes fujets militaires. Son principal objet fut de leur dreffer des ftatuts concernant l'office divin & les trois vœux ordinaires feulement, & de leur donner des regles de conduite à obferver, lorfqu'ils feroient occupés à recueillir les aumônes; mais dans tous ces réglemens il n'y a pas un feul terme dont on puisse inférer que Raimond avoit eu le deffein de métamorphofer fes confreres en guerriers: il n'y prend même d'autre qualité que celle de Gardien de l'Hôpital, & de Serviteur des Pauvres. Dans un monument de 1125 (17), où Hugues des Payens fe donne la qualité de Maître du Temple, Raimond Dupui n'y en prend aucune, fi ce n'eft celle de Procureur de l'Hôpital de Jérufalem: c'eft donc à tort que l'on accuse M. Fleuri de s'être trompé en faisant l'Ordre du Temple, le premier de tous les Ordres Militaires; car, quand celui de Saint-Jean auroit été approuvé quinze ans avant celui du Temple, & quand le premier auroit eu des habitations en France avant le fecond, il s'enfuivroit feulement que les fujets de l'Hôpital font plus anciens religieux que ceux du Temple; mais on en concluroit fort mal qu'ils font plus anciens militaires. Ce n'eft donc pas l'Abbé Fleuri, mais le P. Longueval lui-même qui fe trompe, en confondant l'érection des Hofpitaliers en Ordre Militaire avec leur inftitution premiere en Société d'Hofpitaliers (18). Ceux qui prétendent qu'Hugues & fes compagnons firent profession de l'ordre de S. Benoît entre les mains du Patriarche Etienne, & qu'ils en reçurent l'habit blanc, avec une croix patriarchale par-deffus (19), n'ont pas confulté les hiftoires orientales: ils y auroient vu que durant les neuf premieres années de leur engagement, ceux du Temple ne (16) Hift. de Malte, in-4., tom. 1, p. 64. (17) Rerum Italicarum Scriptores, tom. 12, column. 276. (18) Hift. de l'Eglife Gallicane, t. 8, p. 497. (19) André Favyn, Théâtre d'honneur & de Chevalerie, tom. 2, liv. 9, pag. 1627. Item, Mennenius, pag. 76. porterent d'autre habit que HUGUES DES 1128. celui des clercs féculiers, fans aucune croix, ni simple, ni double (20). Celle qui leur fut accordée en 1145 étoit simple, rouge, & femblable en tout, excepté la couleur, à celle 1118 jusqu'en des Hofpitaliers, qui n'étoit pas à huit pointes, telle que fe le font imaginé l'abbé de Vertot & fon graveur (21). Il eft vrai que le Pape Honorius & le Patriarche Gormond confeillerent à Hugues de prendre une regle particuliere, & lui défignerent la couleur de l'habit qui devoit diftinguer fon inftitut; mais le tout ne s'exécuta qu'au concile de Troyes en 1128. La fin de cette fociété naiffante étant, comme on l'a dit, de délivrer les chrétiens occidentaux des mains de leurs ennemis, il n'eft pas douteux que l'Auteur de tout bien n'ait infpiré à ces pieux gentilshommes le deffein dont ils étoient occupés : il n'appartient qu'à Dieu de fe former une fociété où l'on fe fait un devoir de facrifier à l'utilité du prochain, biens, talens, repos & la vie même. D'ailleurs, quoi de plus utile aux Chrétiens orientaux qu'un Ordre militaire qui dans peu alloit être en êtat de les défendre au-dehors par la force, & de les édifier au-dedans par une vie exemplaire? Tel fut l'objet principal d'Hugues & de fes compagnons ; telle a été l'origine de cette Chevalerie qui, pendant cent quatre-vingt-quatre ans, a fait tant de bruit dans le monde, & qui a eu tant de part aux affaires d'outre-mer. Une preuve que la vaine gloire n'entra pour rien dans leur projet, c'eft qu'ils ne cherchoient ni à s'agrandir ni à fe multiplier. Jufqu'au moment que l'Ordre fut approuvé, ils se bornerent à leur nombre de neuf, vivant dans une édifiante fimplicité, & confacrant au foulagement des étrangers les biens qu'ils avoient apportés en commun, ou qu'ils recevoient de la libéralité du Prince. Perfuadés que la force, l'intrépidité, la patience dans les travaux, & le fang-froid dans les périls, ne font que des vertus païennes, & que fi elles ne font liées (20) Jacob. Vitriacus, ad ann. 1128. Item, Epitome bellorum facrorum, loco citato. (21) Hiftoire de Malte, pag. 48. Bofio luimême convient que la croix moderne eft fort différente de l'ancienne. Voyez Acta Sanctorum, HUGUES DES 1128. à la religion, elles dégénerent en fougue, en dureté, en fureur, ils fe firent bientôt remarquer, & fe diftinguerent des militaires féculiers 118 jufqu'en par la douceur, la modeftie, la compaffion, la fenfibilité. L'amour fraternel, le premier mobile de leur conduite, ne les laissoit jouir d'aucun repos : toujours inquiets fur les dangers & les infultes auxquels les pèlerins de l'un & de l'autre fexe étoient expofés, ils étoient fur pied jour & nuit pour leur fervir d'efcorte; ils alloient les attendre fur le port, & ne les quittoient qu'après les avoir mis hors de danger, les prenant & les reconduifant jufqu'au-delà des défilés & des paffages les plus à craindre. Sept à huit ans s'écoulerent dans ce louable exercice d'humanité, qui leur concilia l'eftime & la confidération des Orientaux. Ceux-ci ne tarderent pas à prévoir les grands avantages que l'Eglife orientale pourroit un jour retirer du zele de ces pieux gentilshommes, s'il leur prenoit envie de fe multiplier. Le Roi Baudouin leur en fit naître l'idée, & leur en procura les moyens. Voyant qu'ils n'avoient encore ni chapelle ni domicile fixe, il leur accorda, pour un tems, la permiffion de se loger dans le quartier méridional de fon palais, contigu à ce qu'on appelloit alors le Temple de Salomon (22), d'où leur est venu le nom de Templiers, felon que tous les hiftoriens en conviennent, excepté le P. Hardouin, qui, toujours fingulier dans fes opinions, foutient que c'eft de l'emplacement qu'ils ont occupé à Paris, qu'ils furent ainfi nommés (23). A l'exemple de Baudouin, chacun fe fit un devoir d'encourager cette nouvelle milice par fes libéralités & par mille autres marques d'attachement. Les Chanoines réguliers du S. Sépulcre leur céderent, à certaines conditions, une place attenante au Palais-Royal, où ils bâtirent dans la fuite une églife & des lieux réguliers. Le Roi, plus intéreffé que perfonne à cultiver cette nouvelle plantation, envoya deux de ces Chevaliers à S. Bernard, & les chargea d'une lettre (22) Jacobus Vitriacus, Hiftoria Jerofoli mit. (23) Joh. Harduini, Societatis Jefus, Opera varia, pag. 641. conçue |