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BERNARD

1153.

se répandent dans la plaine, l'ennemi vient à eux avec d'autant plus DE TRAMELAI. d'afsurance qu'il fe voit supérieur en nombre : dans peu l'espace qui les fépare difparoît, les bataillons fe joignent, les efcadrons fe mêlent, les deux armées fe confondent, & on fe bat avec toute l'ardeur imaginable. La victoire paroissant ensuite fe déclarer tantôt pour les uns, tantôt pour les autres, cette alternative porta les combattans à des efforts qui firent de cette action non plus une bataille, mais une cruelle boucherie. Le Sarrafin, étonné de trouver dans les Francs une résistance à laquelle il ne s'attendoit pas, & défefpérant de tenir contre de fi furieux affaillans, penfoit à la retraite, & commençoit à plier, lorfque Baudoin, reprenant de nouvelles forces, & s'abandonnant, avec les Chevaliers, au gré de fa bonne fortune, revint à la charge, répandit par-tout le défordre, & repouffa jufque dans la ville ceux qui avoient échappé à la valeur du Soldat Chrétien. Tout l'avantage de cette action fut d'encourager le vainqueur à rentrer dans fes lignes, & d'obliger les vaincus à demander une fufpenfion d'armes, pour avoir le tems d'enterrer leurs morts. Le nombre & la qualité de ceux qu'ils trouverent étendus fur le champ de bataille ne leur fit que trop comprendre la faute qu'ils avoient faite de s'expofer aux fuites d'une action générale, eux qui étoient invincibles, s'ils fe fuffent contentés de fe défendre dans l'enceinte de leurs murs.

:

Selon toute apparence, les affiégés ne pouvoient tenir long-tems après un tel échec; cependant ils ne fe rendirent qu'à la derniere extrémité il fallut pour les réduire, que l'affiégeant redoublât fes efforts, qu'il fît jouer fes batteries jour & nuit, & qu'il continuát à lancer fur la ville une grêle de ces roches énormes, dont une feule écrafa quarante hommes du même coup. Les Bourgeois enfin désespérés à la vue de cette constance opiniâtre du Chrétien, députerent les principaux d'entre eux vers le Roi, pour implorer fa clémence en lui livrant la ville.

Baudoin leur. accorda tout ce qu'ils demanderent, c'eft-à-dire, trois jours pour évacuer la place, la permiffion de charger leurs

meubles,

meubles, & une fauve-garde pour les conduire ejufqu'en lieu de fûreté. Ainti, après plus de fix mois de fiége, les Croifés entrerent dans la ville en triomphe, ou, pour mieux dire, en proceffion, au chant des Hymnes & des Cantiques : le Patriarche, à la tête des Eccléfiaftiques, ouvroit la marche, portant cette portion de la vraie croix que l'Impératrice Hélene avoit donnée à l'Eglife de Jérufalem; marchoient enfuite les Chevaliers des deux Ordres, les Templiers à droite & les Hospitaliers à gauche, fuivis d'un grand nombre de Seigneurs, jufqu'à ce qu'on fut arrivé à un Oratoire magnifique qu'on avoit préparé pour y dépofer la croix, & pour y rendre grâces au Dieu des armées. Cette entrée mémorable fe fit un mercredi, 12 d'Août de l'année 1153, & non pas 54, ainfi que l'a cru M. Deguignes d'après Guillaume de Tyr (29).

Quelques jours après la prife d'Afcalon, les Croifés & Chevaliers d'Espagne enleverent aux Maures la ville de Miravel, qui avoit résisté aux efforts des Chrétiens pendant plufieurs fiecles. Cette forteresse de l'Eftramadure eft bâtie fur le penchant d'une colline, & défendue. par un château bien fortifié on la donna à Pierre de la Rovere, Grand Précepteur du Temple en Espagne, qui en prit poffeffion au nom de tout l'Ordre (30). L'Historien d'Aragon raconte que vers ce même tems Dom Pedro Dartal, premier Baron de ce royaume, donna aux Chevaliers des deux Ordres la cité de Boria avec fes dépendances, qu'ils échangerent depuis avec Raimond Bérenger, Prince d'Aragon, contre Dumbel, le Château d'Alberci & celui de Cabanos (31).

La joie qu'avoient occafionnée ces heureux fuccès, fut interrompue par la nouvelle de la mort de S. Bernard : les Orientaux, qui avoient eu souvent recours à lui pour obtenir des fubfides, mais fur-tout les Templiers, perdirent en fa perfonne un de leurs plus puiffans prote&eurs. Quelque tems avant fa mort, le faint Abbé écrivit trois

BERNARD

DE TRAMELAI.

1153.

(29) Pagi, tom. 4, pag. 176.

(30) Hifpania illuftrata, tom. 3, pag. 49. Tome I.

(31) Hift. de Malte, tom. I, pag. 122,

I

BERNARD

11536

lettres en Orient; l'une au Patriarche d'Antioche, l'autre à la Reine MéDE TRAMELAI. lifende, & la derniere à fon Oncle, le Frere André de Montbard. Dans la premiere, il exhorte le Prélat à l'humilité & à la ferveur, & finit par ces mots : « Si j'ai, comme on fe l'imagine, quelque afcendant fur " votre efprit, j'ofe vous prier de donner, en ma confidération, " quelques marques d'attachement & de protection aux Chevaliers "du Temple; vous n'en ferez par-là que plus agréable à Dieu & " aux hommes. » Dans la feconde il loue Mélifende de ce que,

parmi les gens de bien qu'elle affectionne, les Templiers tiennent un rang diftingué, & de ce qu'elle les confidere comme fes Confeillers & Confidens. Dans la troifieme il déplore les mauvais fuccès de la derniere Croifade, prédit fa mort prochaine, & charge fon Oncle de faluer le Grand-Maître, tous ceux du Temple & de l'Hôpital, fe recommandant à leurs prieres pour la derniere fois (32). Le GrandMaître, dont il eft ici fait mention, ne peut être que Bernard de Tramelai, dont on n'avoit pas encore appris la mort en Occident, & qui cependant étoit déja remplacé, non par Arnaud de Montefcot, ainsi qu'on le fuppofe dans l'Hiftoire de Languedoc (33), mais par le Frere Bertrand de Blancafort ou Blanquefort. Ce Chevalier, cinquieme Grand-Maître, dont Guillaume de Tyr releve la probité & la fageffe (34), étoit fils de Godefroi Seigneur de Blancafort, iffu d'une célebre famille de Guienne connue dès l'onzieme fiecle, & qui tire fon nom d'un ancien château fitué dans le Bordelois. C'est à cette Maison que la Commanderie du Fresne eft redevable, finon de fa premiere fondation, du moins de la plus grande partie de fes biens. Godefroi légua aux Templiers de ce lieu, fon cheval, fon armure, le droit d'ufage en toutes fes terres, prés, bois & pacages, du confentement de fes héritiers & de Billichilde, fon épouse.

Cette donation fut confirmée & augmentée par les defcendans de Godefroi, en préfence de Guérin, Archevêque de Bourges, &

(52) S. Bernardi Epiftola 288, 289 289 & 392, editionis Mabilloniana.

(33) Tom. 2, pag. 500,
(34) W. Tyrius, lib. 18, cap. 14.

de Thiebauld, Comte de Troyes, qui prit cette Commanderie fous fa protection (35).

Les commencemens de Blanquefort font remarquables par cette fameufe querelle qui s'éleva entre les Evêques Orientaux & les Hofpitaliers, à l'occafion des immunités dont ceux-ci avoient été gratifiés par les Souverains Pontifes. Le Clergé voyoit de mauvais œil les Chevaliers, foumis immédiatement au Saint-Siége, exempts de payer la dîme, exceptés des interdits généraux, & dans l'ufage d'inftituer & de deftituer des Prêtres dans les bénéfices unis à leur Ordre. Le Patriarche, fondé fur le droit commun, fe plaignoit de cé que les Chevaliers multiplioient les Chapelles & les Cimetieres dans les terres de leur dépendance; de ce qu'ils y enterroient non-feulement leurs Sujets & Oblats, mais encore tous ceux qui, à l'article de la mort, fe lioient de confraternité avec l'Ordre; de ce que, dans le cours des voyages qu'ils faifoient pour quêtes & autrement, leurs Chapelains pouvoient fe faire ouvrir, une fois l'année, chaque Eglife des lieux par où ils paffoient, afin d'y célébrer le Service divin, & d'y recevoir les offrandes des Fideles, & cela, dans les tems mêmes d'interdit. Ce qui tenoit le plus à cœur aux Bénéficiers, c'étoit de voir une bonne partie des offrandes auxquelles ils avoient droit, paffer entre les mains des Chevaliers, fans pouvoir y mettre oppofition, d'autant que le Pape Anaftafe venoit encore de confirmer tout récemment ces priviléges (*).

Les Chevaliers, de leur côté, confidérant leurs exemptions comme un dédommagement des dépenfes qu'ils faifoient pour rendre service à la religion & à l'État, foutenoient qu'elles n'avoient rien d'odieux, parce qu'en s'écartant, à certains égards, de la regle générale, elles rentroient par d'autres voies dans le bien commun; qu'après tout,

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(35) Histoire de Berri, liv. 10, pag. 809, famille, felon le P. Anfelme, tom. 9 pag. 4ƒ par Thomas de la Thaumafiere, qui, fans de la Table générale, & le nouveau Gallia fondement, fait de Blanchefort & de Blanca- Chriftiana, tom. 2, in indice generali. fort deux Maifons différentes. Blanquafort, Blanquefort, Blancesfort, Blanqueffort, Blanchefort, ne défignent qu'une feule & même

(*) La plupart de ces priviléges font difcutés dans le cinquieme livre des Décrétales, titre 33.

BERTRAND

DE

BLANQUEFORT.

1154.

BERTRAND

DE

BLANQUEFORT.

1154.

l'ufage qu'ils faifoient de leurs biens, foit en combattant les Infideles,
foit en foulageant les pauvres dans les Hôpitaux, valoit bien les
services rendus à l'État par la Nobleffè féculiere, à qui, cependant,
perfonne n'envioit fes immunités. L'un & l'autre parti, également
obstiné à se défendre, ne ceffoit de récriminer tantôt en public,
tantôt en particulier delà les injures, les détractions, les voies
de fait. Il fallut porter l'affaire à Rome. Le Patriarche, comptant
que le fucceffeur d'Anaftafe fe rendroit à fes remontrances, fe mit
en route accompagné de fept Evêques, quoiqu'il fût âgé de près
de cent ans. Il fe plaignit que les Hofpitaliers, abusant de leurs
priviléges, donnoient la fépulture eccléfiaftique à des excommuniés;
que,
dans une ville interdite, ils ne laiffoient pas, contre la teneur
de leurs exemptions, de faire fonner leurs cloches; qu'ils affe&toient
même de les fonner continuellement pendant qu'il annonçoit à fon
peuple la parole de Dieu, afin d'empêcher qu'il ne fût entendu,
& qu'ils refufoient de payer la dîme dans tous les Dioceses de l'Eglife
orientale.

On ne trouve pas ce que les Hofpitaliers répondirent à ces plaintes ; mais on fait que leurs Députés. ayant devancé le Patriarche, prévinrent & difpoferent le Pape en leur faveur. Foulcher s'en apperçut par le peu d'accueil qu'on lui fit. Toutefois les parties eurent audience, & la caufe fut plaidée pendant plufieurs jours fans être jugée. Les Evêques, fe doutant que l'affaire tireroit en longueur, & pourroit bien ne pas tourner à leur avantage, prirent congé de la Cour de Rome, & s'en retournerent chargés de confufion (36).

Celui de qui nous tenons ces circonftances, étoit Archevêque de Tyr, intéreffé par conféquent dans cette affaire, & par-là devenu fufpect dans le récit qu'il en donne. Si nous l'en croyons, la Cour de Rome fe laissa gagner par les préfens des Chevaliers, &, de tous les Cardinaux, à peine s'en trouva-t-il deux affez équitables pour prendre le parti de la vérité. Il affure que les autres, fans en excepter

(36) W. Tyrius, lib. 18, cap. 6, 7, 8. Item, Histoire de Malte, liv. premier.

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