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Raoul de Couci entre autres, qui, après avoir commis des violences dans une de leurs Chapelles, avoit ofé la renverfer. Enfin, fur les remontrances des Chevaliers, il prétend qu'on rendra la fépulture eccléfiaftique à un particulier exhumé mal-à-propos de leur cimetiere, par crainte de l'Ordinaire, à qui on s'étoit plaint injustement que mort avoir été excommunié, & enterré fans réconciliation.

le

Il eft à remarquer dans ces lettres d'Alexandre, que le Frere Euftache, alors Maître du Temple près de Paris, étoit dépofitaire de l'argent destiné pour Rome; que les Templiers avoient des prébendes dans les Cathédrales (19); que le Saint-Siége étoit leur refuge ordinaire dans les affaires qu'on leur fufcitoit, & que s'ils méritoient la protection des Evêques, ce n'étoit pas moins pour leur mérite perfonnel que pour les fervices qu'ils continuoient de rendre à l'Eglife d'Orient.

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Il ne fut question cette campagne d'aucune expédition militaire, la Syrie ayant effuyé de fi violens tremblemens, que plufieurs villes, tant des Chrétiens que des Mahométans, furent, les unes entiérement détruites, les autres à moitié renversées, & grand nombre d'habitans ensevelis fous leurs ruines: les plus endommagées furent, du côté des Francs, Tyr, Antioche & Tripoli; du côté des Infideles, Hama, Baalbek, Hemeffe, Schizour & Barin dans Alep & Tripoli il ne refta pas une maifon fur pied. Le défaftre fut affreux : par-tout on ne rencontroit qu'habitans alarmés, familles errantes; par-tout on ne voyoit que tours & murs renversés, que châteaux à demi ruinés & ouverts à l'ennemi. La Chronique de Pife fait monter à près de fix mille le nombre des Francs & Sarrafins écrafés fous les ruines des bâtimens (20).

Pendant les quatre mois que dura cette calamité, on reffentit des fecouffes jufqu'à quatre & cinq fois dans vingt-quatre heures. Alors les deux nations, également frappées de terreur, & logées fous des

(19) Veter. Scriptor, ampliff. Collec. tom. 2 (20) Chronica Pifana, ad annum 1172.

col. 647.

I'HILIPPE

DE

NAPLOUSE.

1170.

PHILIPPE

DE

NAPLOUSE.

1170.

tentes, fongeoient moins à fe battre qu'à fléchir le Ciel irrité & à réparer leurs pertes (21). Toutefois le bruit s'étant répandu, vers la mi-décembre, que Saladin affiégeoit le château de Daroun, Amauri partit d'Afcalon à la hâte, ayant à peine deux cents cinquante chevaux & deux mille hommes de pied, avec quelques Chevaliers de l'Hôpital. Pour augmenter fes forces, il dirigea fa route vers Gaza, d'où il tira, en paffant, une partie de la garnison qui étoit à la folde du Temple, auquel cette ville appartenoit. Avec cette poignée de monde, le Roi fut tellement régler fa marche, qu'il fe fit jour à travers l'ennemi, & parvint à introduire une partie de fes gens dans le château, tandis que l'autre fe logeoit dans les faubourgs & chaffoit les Turcomans.

L'ennemi déconcerté décampa la nuit; & comme il fentoit Gaza dépourvue, il marcha contre cette place, éloignée de Daroun de quatre milles feulement, & la furprit au point du jour. Bientôt il s'apperçut que tous les Templiers n'étoient pas en campagne; ce ne fut qu'après avoir effuyé une forte réfistance, & perdu bien du monde, qu'il vint à bout de s'emparer de la ville pour la citadelle, elle tint ferme contre Saladin, qui l'abandonna pour retourner vers Daroun, d'où, après avoir refufé la bataille que les Francs lui préfenterent, il reprit le chemin d'Egypte (22).

Saladin ou Sélah-Eddin étoit neveu de Schirkouh, & fon éleve dans le métier de la guerre : après la mort de fon pere, il lui fuccéda en qualité d'Emir, ou Généraliffime des armées d'Egypte. Ce fut le Calife Adhed qui honora cet Officier d'un grade auquel il ne devoit pas apparemment afpirer. Auffi tôt après fon élévation, l'ingrat Saladin entreprit d'enlever à fon bienfaiteur & à la Maison. des Fatimites l'autorité califale, pour la reporter dans la Dynastie des Abaffides, où elle avoit fubfifté plus de deux cent cinquante ans auparavant. Le Calife en mourut de chagrin, & c'est à tort que Guillaume de Tyr accufe Saladin de l'avoir tué. Adhed n'eut pas

(21) Willel, Tyrius, lib. 20, cap. 19.

(22) Ibidem, cap. 10 & 21.

plutôt les yeux fermés, que le nouvel Emir prit poffeffion du palais impérial & des richeffes immenfes qui s'y trouverent. Ainsi parvenu à pouvoir se foutenir par lui-même, il conçut le deffein de s'emparer de la fouveraineté d'Egypte, & l'exécuta en moins de quatre ans. On voit, par l'Histoire de ce héros (23), que plus il eut d'ambition, d'avarice & de fourberie dans le tems qu'il n'étoit que Général plus il devint grand, libéral & magnifique lorsqu'il fut reconnu pour Sultan. C'est avec ce Prince, ou plutôt cet homme de fortune, que nous allons voir déformais les Francs fe mefurer.

Après le fiége de Daroun, Amauri, perfuadé que loin de pouvoir exécuter aucune entreprise, il n'étoit pas même en état de réfifter aux forces fupérieures de fes ennemis, assembla fes Barons, pour leur déclarer que la derniere députation faite en Europe ne devant pas avoir grand fuccès felon toute apparence, il avoit résolu d'aller lui-même en perfonne implorer le fecours de l'Empereur de Conftantinople, puifqu'il n'y avoit plus que ce Prince fur lequel on pût fonder quelque efpérance. Malgré l'avis de fes Généraux, il s'embarqua en effet pour Conftantinople au mois de mars 1171, après avoir fait prendre les devans, par terre, à Philippe de Naploufe, qui venoit de faire abdication de la grande maîtrise.

Philippe fut remplacé par Eudes ou Odon de Saint-Amand, Seigneur François, né d'un pere & d'une mere connus dans l'Hiftoire par la pureté de leurs mœurs, encore plus que par la nobleffe de leur fang, & qui, d'un commun confentement, firent profeffion de l'état religieux, après avoir eu, en mariage légitime, trois enfans: Eudes dont il s'agit, avec deux filles, Flandrine & Mathée, qu'on dit avoir été mises au nombre des Saintes. Avec un peu plus d'attention, le Chevalier de l'Hermite - Souliers auroit vu que Mathée, qu'il appelle Marthe, ne fut point fille d'Eudes, mais fa fœur (24).

(23) Par M. Marin, à Paris, en 1758.

(24) Inventaire de l'Histoire généalogique de la Nobleffe de Touraine, pag. 82.

PHILIPPE

DE NAPLOUSE.

1170.

1171.

ODON DE

S. AMAND.

1171.

ODON DE

1171.

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Mathée époufa le frere de Saint Guillaume, Archevêque de S. AMAND. Bourges, nommé Gerault de Berruyer, dont elle eut Saint-Philippe, foixante onzieme Prélat de la même Eglife. Flandrine fut auffi mariée, & avoit une fille unique, qui eft reconnue pour Sainte dans l'Ordre de Cîteaux, dont elle embraffa l'Inftitut. L'Hiftorien que nous fuivons, plus porté à nous transmettre la vertu & les exemples du pere d'Odon que fon nom & fes qualités, nous dit feulement qu'après s'être fait honneur dans la milice féculiere, il s'engagea dans celle du Temple, où il fe diftingua par fa religion, fon zele & fa valeur contre les ennemis de la foi, & qu'à fa perfuafion, fon épouse Dame d'un rare mérite & d'une piété exemplaire, fit profeffion de la regle de Saint-Benoît dans le Monaftere de Beaumont, fitué au midi de la ville de Clermont en Auvergne (25).

C'est dans cette famille de Saints, & au milieu de ces exemples domeftiques, qu'Odon de Saint-Amand fut élevé & formé à la vertu. Il étoit beau & bien fait de fa perfonne, & par-deffus tout cela, fidele imitateur de la religion & de la vie édifiante de fes parens. Ce fut par la pratique de ce qu'il avoit appris à cette école, qu'étant paffé en Orient, il se fit connoître des Templiers, dont il fut GrandMaître, & du Roi Amauri, qui l'établit d'abord Maréchal du royaume, puis fon échanfon, & qui l'employa, conime on a vu, dans des affaires importantes.

Tout le tems qu'Amauri pafla chez l'Empereur Grec, ce ne fut à Conftantinople que fêtes, jeux & réjouissances, qui n'empêcherent pas cependant qu'on ne s'entretînt fur l'état de la Palestine, & fur les moyens d'en éloigner les Infideles. Après un traité conclu entre les deux Puiffances, Amauri se remit en mer fur dix galeres, efpece de gros bateaux, allant à la voile & à la rame, bien différens de ces édifices immenfes qui flottent aujourd'hui fur nos mers. A fon retour, le Roi eut le chagrin d'apprendre que, pendant fon abfence, Noradin s'étoit emparé de trois places, & avoit ravagé

(25) Patriarchium Bituricenfe, tom. 2. Bibliotheca Labbeans, pag. 110.

les environs de Tripoli; que l'Archevêque de Tyr, parti deux ans auparavant pour mendier des fecours en Europe, en étoit revenu fans fecours ni efpérance; qu'un Chevalier apoftat dévaftoit la Cilicie, à la tête d'un corps de troupes qu'il avoit demandé aux Mufulmans, en vue de s'ouvrir, par la force, un chemin au trône d'Arménie, qu'il prétendoit lui appartenir par la mort du dernier Prince Thoros, dont il étoit frere. C'eft ce Thoros qui avoit établi des Eglifes latines dans fes États, & qui fut un infigne protecteur des Templiers, auxquels il conféra de grands biens. Le Religieux apoftat, furnommé Melik ou Melier, étoit membre de la Chevalerie du Temple, & oncle de Thomas, qui avoit pris poffeffion de la principauté par le moyen des Grands d'Arménie. L'hiftoire ne dit pas fi Melier fut chaffé de fon Ordre, ou s'il ne déferta que pour faire valoir fes prétentions; mais on fait qu'il dépofféda Thomas, fon neveu, & que, pour envahir un héritage auquel il avoit renoncé par sa profession, il fut le premier Chrétien qui fit alliance avec les Infideles. Ses anciens Confreres furent les premiers contre lefquels il tourna fes armes; il les chaffa de fon pays, confifqua leurs biens, & leur fit tout le mal qu'il put, jufqu'à perfécuter le Prince d'Antioche qui les foutenoit. Les Francs, intéreffés à tirer vengeance de ce déferteur, accoururent en Cilicie; mais heureufement pour lui ils furent obligés de s'en retourner auffi-tôt pour défendre les limites de la Palestine contre Saladin. Cependant Melier ne jouir pas long-tems en paix des fruits de fon ambition; il fut tué par Rupin de la Montagne, fon parent, qui lui fuccéda (26).

Sur ces entrefaites il arriva aux Templiers une bulle d'Alexandre III, dans laquelle il commence par les féliciter de ce que leur inftitut eft en vénération par tout le monde chrétien; de ce que, dociles à la grace de leur vocation, ils marchent avec courage & perfévérance dans la voie étroite, en renonçant aux pompes & voluptés du fiecle; de ce qu'en vrais Ifraélites & foldats du Seigneur, ils

(26) Defcription de l'ifle de Chypre, par le P. Lufignan.

ODON DE

S. AMAND.

1171.

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