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NAPOLEON ET WELLINGTON.

PAPIERS INÉDITS DE P.-J. PROUDHON

PUBLIÉS PAR CLÉMENT ROCHEL

Sous ce titre général le lecteur trouvera, non une étude parfaitement achevée, mais une série de notes demeurées dans les papiers inédits de Proudhon. Je n'ai pas cru devoir en éliminer certains passages qui, sans se rapporter directement à Napoléon et à Wellington, m'ont paru de nature à intéresser la critique et l'histoire.

CLÉMENT ROCHEL.

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HIER soir, 8 septembre 1859, conversation avec le professeur Altmeyer, de l'Université de Bruxelles. Il m'a parlé de Courtois, David, surtout de Barère, Thuriot de la Rosière. Il a connu les proscrits de la Convention, et vu seulement Sieyès, Cambacérès. L'opinion de Barère sur la Révolution, après l'Empire, était très formellement, que cette Révolution était INUTILE ; que la situation de la nation avait empiré : la conscription, la police, l'impôt, la guerre et la centralisation, tout cela lui faisait horreur.

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Jean-Jacques Altmeyer, ami de Heinrich Sybel, naquit en Luxembourg, à Luxembourg, où il fit ses premières études. Il apprit le droit et la philosophie à l'Université de Louvain, placée sous le patronage du roi Guillaume. Vers 1832, M. Verhaegen et le parti libéral l'appelèrent à l'Université de Bruxelles. I devait y donner des cours d'histoire ancienne et moderne, d'antiquités grecques et romaines. C'était un esprit touffu, abondant; sa parole avait du pittoresque et de l'expression; son imagination était brillante. Il avait le talent de "faire naître énormément d'idées dans les jeunes cervelles confiées à ses soins." Ses cours étaient très suivis ; ils ont eu une influence réellement politique. Sous ses dehors un peu rudes, avec ses phrases brusques et son érudition détonante, Voltairien et Saint-Simonien en même temps, comme conférencier, professeur,

Il disait qu'ils avaient été emportés par les évènements, sans le savoir, ni le comprendre.

Il riait de l'Histoire de la Révolution, de Thiers, disait que tout y était faux, et sur les hommes et sur les choses; que notamment, il n'entendait rien à la question diplomatique. Barère avait été Ministre des Affaires Etrangères. La Révolution, selon lui, fut le fait d'un emportement national, d'une impatience sanguine. "Pourquoi, lui demandait le jeune Altmeyer, avez-vous fait la Révolution ?-C'est que nous avions besoin d'en faire une et que nous étions taillés pour cela. -Pourquoi ne publiez-vous pas les matériaux que vous avez amassés sur la question étrangère ? Il n'y aurait plus au monde, répondait Barère, un seul coin où je pusse reposer ma tête." Les papiers ont été acquis par Louis-Philippe; que sontils devenus ?...

Barère et la plupart des proscrits saluèrent avec transport la Révolution de Juillet. Louis-Philippe fut pour eux un nouvel Henri IV. Leur haine invétérée des Bourbons, leurs éloges du duc d'Orléans-Egalité, prouvent deux choses: qu'un parti pour mettre Louis-Philippe sur le trône a réellement existé, et que tous ces révolutionnaires de 89-93 ne furent réellement pas républicains. Ce qu'ils voulaient était la monarchie constitutionnelle.

Barère, interrogé sur Napoléon, répondait que cet homme ne valait rien. Son prestige lui vint de la campagne d'Italie, de celle de Marengo, de la Paix. La victoire, la paix, voilà ce qu'on voulait. Il fit semblant de les donner, et trahit le pays en trompant son attente.

conseiller provincial du Brabant, Altmeyer avait de bonnes qualités. Il prend une place à part dans la vie de la Belgique de cette époque. Il fréquentait ou recevait la plupart des proscrits du Second Empire: Victor Hugo, Michelet, Proudhon, Quinet, Pascal Duprat, Michel de Bourges, etc. Outre ses cours à l'Université libre, il fut aussi chargé, à l'Athénée, des cours d'économie politique et d'histoire du commerce. On lui doit plusieurs ouvrages d'histoire générale. Son style est trop souvent déclamatoire. Citons, après son premier essai publié à Ypres, Manuel d'Histoire universelle, quelques livres à retenir : Précis de l'Histoire du Brabant, les Gueux de Mer, le Tribunal de Sang, Histoire des Campagnes de Louis XIV en Belgique, Précis de l'Histoire ancienne envisagée sous le point de vue philosophique et politique, et une Histoire des Relations commerciales et diplomatiques des Pays-Bas avec le Nord de l'Europe. Il collabora aussi à divers journaux et revues, écrivit maintes notices. Mais son œuvre importante, qui accapara toute sa vie, fut l'Histoire des Pays-Bas au XVIe Siècle. C'est dans un journal très rare, le Radical, dont le premier numéro parut le

Sur Robespierre, il disait, avec hésitation, qu'on était envers lui trop sévère. Mais ici Barère plaidait sa propre cause. Du reste, il avait fini par ne plus pouvoir juger les évènements. La portée révolutionnaire de 89 échappait aux hommes du temps; surtout par le côté économique. Il n'y avait pas de paupérisme en France avant 89.

Courtois, auteur du rapport sur Robespierre, et dépositaire de tous ses papiers. Triste sujet, qui mourut à Bruxelles entre les mains des prêtres. Sous la Restauration, M. Decazes fit le voyage de Belgique pour soutirer à Courtois les papiers importants qu'il avait conservés, lui promettant sa rentrée en France. Courtois livra les papiers et resta en exil. Il s'y trouvait une vingtaine de lettres, adressées par Louis XVIII à Robespierre ce sont ces lettres qu'il importait de ravoir. Mais Courtois ne découvrit pas de réponses de Robespierre au prince il paraît que le Dictateur se contentait de recevoir les communications du Prétendant; elles étaient pleines d'éloges de sa politique; on le félicitait de ses efforts pour le rétablissement de l'ordre; on attendait beaucoup de lui. Autant en disaient les diplomaties étrangères. Cela ne prouve point que Robespierre conspirât la rentrée des Bourbons, comme l'en accusait violemment Thuriot; et, bien moins encore, que Robespierre fût vendu. Mais cela accuse invinciblement une tendance politique éminemment réactionnaire et odieuse; car ce n'était pas moins que l'extermination du jeune parti républicain formé par Danton, Desmoulins, Marat, la Gironde

16 avril 1837, qu'on retrouverait, peut-être, le point de départ de cette histoire des Pays-Bas, dans un article sur la Belgique, signé Eugène de VieuxManoir. Altmeyer appartenait à plusieurs Sociétés, et prenait cet anagramme, qui, du reste, le déguisait à peine. Le Radical avait été fondé pour défendre les idées de Baboeuf et de Buonarroti. Il forme une source de documents indispensables pour la vie des réfugiés et des proscrits en Belgique. Parmi ses fondateurs et rédacteurs on relève les noms suivants : Auguste Durant, Félix Timmermann, Félix et Alexandre Delhasse, A. Gendebien, le général Lehardy de Beaulieu, Lucien Jottrand, Seron, représentant en 1830, secrétaire de Danton, Félix Mathé, Joachim Lelewel, A. Ysabeau, Francinetti, Thadée Krempowski. On y lisait souvent des extraits ou articles de Ch. Teste, Buonarroti, Azémar, George Sand, Lammennais, A. Marrast, etc. Altmeyer se mêla au mouvement et aux Sociétés secrètes qui naquirent alors, mais n'y prit jamais une part très active. A sa mort, ses papiers ont été achetés par la ville de Bruxelles, et M. Potvin, le directeur du Musée Wiertz, en a fait le classeIl n'a publié jusqu'ici, croyons-nous, avec toutes ces notes, dont l'Angleterre avait offert cent mille francs, que deux volumes.

ment.

surtout; c'était, en 94, la contre-révolution, un mensonge au peuple, une trahison.

Parmi les papiers de Courtois, se trouvaient aussi de nombreuses lettres de Napoléon Bonaparte à Robespierre; elles furent livrées au général, devenu tout-puissant, par cet infidèle dépositaire, et brûlées immédiatement. Napoléon avait été un des plus grands admirateurs et des plus chauds partisans de Robespierre. C'est un trait que M. Thiers dissimule.

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Thuriot présida la Convention dans la journée du 9 thermidor et ne fit qu'agiter la sonnette. C'est à lui que Robespierre adressa l'apostrophe: Président d'assassins, me donneras-tu la parole? Thuriot avouait encore, à vingt-cinq ans de date, qu'il avait eu une peur sérieuse. Il représentait le Dictateur comme un laid chat-fouin, vert, venimeux, d'un parler désagréable, nasillant, myope. Quand on lui demandait d'où avait pu venir à Robespierre cette force et cette autorité, il répondait De rien autre que de la popularité. Du reste, Robespierre, comme Barère, St-Just, affectait une mise aristocratique, soignée; il dédaignait profondément la vile multitude qui faisait son unique force. Il eût voulu garder sa place dans un monde plus relevé, qui le repoussait. Sur cette journée du 9 thermidor, Thuriot ne savait que dire: Il faut y avoir été.

La réhabilitation de Robespierre, sa célébrité posthume, fut due à deux circonstances: la première que la Révolution réellement parut, à sa chute, rentrer dans son lit; la seconde, que le parti babouviste le prit pour son idole. Babeuf, qui avait attaqué Robespierre vivant, le canonisa mort. Buchez n'a fait que reprendre cette tradition stupide. La réaction fut commencée par Robespierre même. C'est en guillotinant, tour à tour, les Feuillants, la Gironde, les Cordeliers, les Hébertistes, Barnave, Vergniaud, Danton, Hébert, etc., qu'il réprima le mouvement révolutionnaire et abrégea l'existence de la République.

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Après 1815 Thuriot se retira dans les Pays-Bas, à Liège, où il exerça comme avocat. Il y est mort en juin 1829,

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† C.f. Taine, Régime moderne, t. I, p. 5: Boissy d'Anglas dit qu'il avait vu 2111 petit Italien, pâle, frèle, maladif, mais singulier par la hardiesse de ses vues et l'énergique fermeté de son langage." Visite de Bonaparte à Pontécoulant : "Attitude raidie par une fierté souffrante, dehors chétifs, figure longue, creuse et cuivrée..." (Récit de Pontécoulant.)—De Ségur, Histoires et Mémoires, t. 1, p. 150

Son discours diplomatique, sur les affaires d'Europe, du 7 mai 1794, peut être regardé comme le monument de son ignorance et de son imbécillité.

Courtois assistait à la séance des Cinq-Cents, au 18 brumaire. Il disait que Thiers avait singulièrement embelli la réalité. Il peignait Bonaparte, petit, laid, jaune, cheveux plats, sale, sans rien qui recommandât sa personne que l'impudence, et s'exprimant avec un accent italien tellement fort, qu'il en était inintelligible: J'ai avec moi lou Diou de la guerra et de la fortiouna! Telle était la langue parlée de Bonaparte. Même en 1815, il n'avait pu apprendre à parler le français. En famille il parlait toujours italien.

Thuriot, Courtois, Barère, s'accordaient tous à reconnaître à Robespierre cet esprit prêtre qu'a si bien dépeint en lui Michelet.

Deux choses, suivant Altmeyer, caractérisaient, en général, tous ces vieux Conventionnels: la haine du prêtre, l'esprit Voltairien, et les mœurs galantes. Ce dernier trait est d'autant moins surprenant que cette race de 89 était d'une grande force de tempérament et qu'elle vivait dans le combat. Barère, Levasseur, le terrible proconsul, faisaient des petits vers pour les jolies femmes de Belgique.

A propos de Barère, Altmeyer raconte qu'il l'a vu tél que l'avait représenté David, dans le Serment du Feu de Paume, prenant des notes. Toujours et partout, Barère prenait des notes.* La peur, suivant Barère, avait rendu les hommes de la Révolution furieux et sanguinaires. La terreur dont ils étaient pleins, ils la rendirent au monde; Barère l'avait conservée jusqu'à la fin. A Bruxelles, il s'enfermait soi

On a surnommé Barère "l'Anacréon de la Guillotine," pour ses rapports sur Vergniaud, Gensonné, Condorcet, Mme Roland, Mme Elisabeth, André Chénier, Barnave; tant d'autres, ceux des 9 et 10 thermidor sur Robespierre. Sa cause est difficile à défendre, et nous ne l'entreprendrons point. C.f. Louis Blanc, Révolution française, t. vII, p. 369; Biographies des Contemporains, t. 1, p. 234 ; Précis de la Conduite de Mme de Genlis depuis la Révolution; ses Mémoires, "portraits improvisés de souvenirs, comme une conversation piquante sur des noms propres," etc., pour faire la part de la vérité et de la justice. Voici un portrait qui n'est point banal ni connu, de Barère, pris en Belgique par M. Baron, Revue de Paris, t. XIX, p. 17: "Barère est un vieillard de taille moyenne, maigre, le teint gris terne, l'œil vif, le sourire gracieux, d'une exquise politesse, les mœurs naturellement douces. Ce dernier point étonne; pourtant, rien de plus vrai. La peur seule l'a fait cruel. La qualité qui le distingue par-dessus tout, c'est l'esprit. Il crée et approfondit tout ; aussi il résume admirablement une masse d'idées en

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