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l'occasion, mais très peu d'étendue; un horizon restreint ; dans ces limites, une supériorité réelle.

Ce n'est pas du tout un homme de génie, à moins que la guerre n'implique génie. Napoléon ne comprend pas la Révolution; il ne conçoit pas son siècle, il ne lit pas dans l'avenir; il manque littéralement de principes comme de philosophie; souvent il cherche la justice, aussi souvent il tombe dans l'arbitraire. Il ne connaît rien aux lois de l'histoire, rien à l'économie politique; il a perdu le sentiment religieux et fort affaibli le sens moral en lui. C'est un vrai Voltairien. Mais, dans cette sphère étroite, où se promenait sa pensée, et qui était, qui est encore celle de la grande majorité des Français, il n'avait positivement pas d'égal, comme Voltaire, dans ses petites idées et ses conceptions mitoyennes, n'a positivement pas d'égal. Ayant assez d'esprit pour saisir les côtés faibles du système représentatif, il ne vit pas, à plus forte raison, que ce système aboutissait à une constitution de plus en plus réaliste, économique. Manquant de l'idée de progrès, il n'hésite pas devant l'imitation ou la restauration du passé; il refit une Eglise, un Concordat, un Empire; il tendit à la monarchie universelle; il créa une féodalité; il aimait s'entendre comparer à Cyrus, à Alexandre, à César, à Constantin, à Charlemagne, ne faisant pas grande distinction entr'eux tous et comprenant seulement que, comme eux, il régnait par la Victoire, et qu'il devait refaire l'unité politique des nations.*

Influence du militarisme sur l'âme de Napoléon Ses injustices lui sont communes avec la plèbe; ses ingratitudes, effet de son machiavélisme; c.f. Villeneuve, Dupont, Junot,

* C.f. Conversation de l'Empereur avec M. de Barante et M. de Fontanes : "Je compare quelquefois son sort au mien," disait-il en parlant de Henri IV : "La couronne lui appartenait, et combien il lui fut difficile de la gagner. Il règne en bon et habile souverain et on l'assassina. Tandis que moi, qui n'étais pas né pour monter sur un trône, j'y suis arrivé tout simplement à grand'peine, et si je puis m'y maintenir avec calme, sans péril, c'est que je suis l'œuvre des circonstances; j'ai toujours marché avec elles..." Puis, Napoléon passa de Henri IV à César et à Alexandre. Il admirait César comme un grand homme de guerre, mais il en faisait peu de cas comme politique: "Il aimait trop à plaire au peuple,” affirmait-il, "aussi il ne pouvait réussir à s'emparer du pouvoir." Quant à Alexandre, son admiration était sans aucune critique: "des royaumes conquis, des villes fondées, des expéditions lointaines en Asie, une mémoire laissée dans les trois parties du monde." -Souvenirs du Baron de Barante, t. 1, pp. 369, 371, 372.

Masséna, Davoust, Ney, etc. Il n'y a pas un de ses lieutenants qui, après s'être dévoué jusqu'à la mort dans les moments difficiles, n'ait été par lui accusé de faute lourde, et vitupéré.

Napoléon, en 1800, était placé entre deux systèmes : le système parlementaire, politique, bourgeois, étroit, juste-milieu, mêlé de liberté et d'arbitraire, de justice et de bon plaisir ; et le système impérial, système illogique et corrupteur.

La vérité est que la France, après la Révolution, devait marcher à la Constitution du droit économique.

Le système impérial, aboutissant à la prépotence, est jugé ; le système juste-milieu l'est aussi. Napoléon 1er et LouisPhilippe sont les deux pendants. Il faut sortir de là.

Le système impérial a fini, on sait comment.

Mais le système de M. Thiers a conduit aussi Charles X à Holy-Rood, et Louis-Philippe à Claremont.

Ces deux systèmes peuvent se contrôler l'un l'autre ; aucun n'est justifié.

La République est venue, purement politique et parlementaire elle périt à la fois sous son illogisme et le poids des questions soulevées. Elle est illogique : elle est militaire et veut repousser les militaires; jacobinique et ne veut pas de César; démocratique, avec l'inégalité de fortunes et l'anarchie économique.

Tout est usé à cette heure: ni principes, ni mœurs-Quid? Refaire une âme, en posant des principes et créant une morale.

(A suivre.)

LETTRES D'IVAN TOURGUENEFF

A MME PAULINE VIARDOT, A GUSTAVE FLAUBERT ET A MME COMMANVILLE

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"Sur la page suivante vous trouverez un morceau de poésie dicté par un maître d'école à la classe (à l'occasion du NouvelAn), que le fils de notre concierge, un garçon de huit ans, vient d'offrir à ses parents. La mère (qui, par parenthèse, ne sait pas lire) est venu montrer cette belle chose à Mme Viardot. Elle en était fière, et avait la larme à l'œil; et moi je me suis háté de copier ce pur chef-d'œuvre pour vous l'envoyer. Sondez, si vous pouvez, les profondeurs de cette âme de pion, dissous dans la rhétorique !

"Je suis pris au genou par une attaque de goutte; j'espère que cela ne sera rien, mais pour le moment je ne puis pas bouger.

"Et vous, vous travaillez toujours bien ?

'La santé est bonne ?

"Je vous embrasse affectueusement.

"IV. TOURGUÉNEFF.”

CHERS PARENTS

Un nouvel an commence sa carrière,

Et vous savez les vœux que mon cœur peut former.
Il en est un surtout que l'amour nous suggère :
C'est de vous voir toujours m'aimer

Autant que je cherche à vous plaire !

Jaloux du bonheur des amants

Le temps s'amuse à détruire leur chaîne,

Ce nœud, qui leur fut cher, les fatigue et les gêne.

Le vent emporte leurs serments.

Et pour l'amante infortunée

Le plus souvent la bonne année

Est celle qui vient de finir !
Mais la tendresse filiale

N'est point sujette au repentir:
Toujours vive, toujours égale,

Le temps ne peut arrêter ses progrès.
Semblable aux feux de la Vestale,
Son ardeur ne s'éteint jamais!

"Mon cher vieux,

XLIII

"Paris, 50, rue de Douai. "Mercredi soir 24 janvier 1877

"Je vous envoie deux n" du Temps, où il y a une petite bêtise de moi. Lisez ça quand vous n'aurez rien de mieux à faire.

"La première partie de mon roman qui a paru en Russie semble faire beaucoup de plaisir à mes amis et fort peu au public. Les journaux trouvent que je suis usé, et m'assomment avec mes propres choses passées (comme vous avec Madame Bovary).

"Je suis heureux de savoir que vous travaillez ferme, et Mme Commanville, que j'ai vue et trouvée de bonne santé et de bonne humeur, m'a dit que vous reviendriez plus tôt que vous ne l'aviez supposé. Bravo! Vous me manquiez ici. Quant à moi, je ne partirai pas avant les premiers jours de mars.

"Zola m'a envoyé son Assommoir. C'est un gros volume, je vais m'y mettre.

"Le pauvre Maupassant perd tous les poils de son corps! (Il est venu me voir.) C'est une maladie d'estomac, à ce qu'il dit. Il est toujours très gentil, mais bien laid à cette heure.

"Je persiste malgré tout à croire à la guerre au printemps. "Et maintenant je vous embrasse, et au revoir.

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"Mon cher vieux,

"15, rue de Mesmer.
"Mardi 24 juillet 1877.

"Je ne vous ai pas répondu tout de suite parce que j'avais un vague espoir d'aller à Croisset vous porter votre robe de chambre moi-même, mais cet espoir s'est évanoui pour le moment, et je vous écris, et je vous envoie la robe de chambre par le chemin de fer.*

"Mon pied va mieux, mais il me serait encore impossible de marcher beaucoup. Je crois que je finirai par essayer le nouveau médicament qu'on prône tant dans les journaux, et dont le nom commence en sal, et finit en ate. Cette gredine de goutte prend chez moi une tournure mi-chronique et mi-aigue qui m'ennuie. C'est dommage que B. et P. aient fini leur médecine, j'aurais demandé leur avis.

"J'ai fait en Russie le quart de ce que je voulais faire, ce qui est déjà quelque chose; naturellement je n'ai pas fait le principal. Je n'ai pas vu mon frère. Tout cela est dans l'ombre. "Je voudrais bien que cette guerre finisse, afin que le cours La situation actuelle Vous travaillez, c'est vous vous le rappelez,

du rouble russe puisse remonter. paralyse complètement mes moyens. bien; et les affaires, cette chose qui, promettait tant, comment ça va-t-il ?

"Ma littérature à moi est pour le moment au plus profond des abîmes.

"J'ai vu la petite nouvelle de Zola dans l'Echo Universel. Le commencement est surtout remarquable. Mes amitiés à

tous.

"Je vous embrasse.

"I. T."

Présent de Tourguéneff à Flaubert; une robe de chambre en soie, brodée de fils d'or et de soie par les femmes tartares de la Crimée.

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