Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les regles & les beautés de l'Art de Melpomene. Tel eft le privilége des grands Hommes : les momens d'imperfections font pour eux des momens de courte durée, & leur goût se développant par une impulsion naturelle, ils marchent à pas de géant dans la carriere, devancent bientôt ceux qui les avoient précédés, & fe rendent inimitables à ceux qui doivent les fuivre. De tels prodiges font rares fans doute, dans le Monde Littéraire, par la raifon qu'ils font des prodiges, & la nature ne doit ni ne peut les répéter fou

vent.

Jamais personne n'a porté plus loin que Cora neille les reffources de l'imagination & l'énergie du fentiment. Aucun Tragique ne l'a égalé dans l'art unique d'imaginer des plans hardis, de les fubjuguer, de les varier felon le choix du fujet, de donner à fes perfonnages une ame, une dignité, une chaleur, un caractere toujours conforme à leur fiecle, à leur nation, à leurs mœurs, à leur fituation. Il poffédoit fur-tout ces refforts puiffans qui attachent le cœur & l'esprit par de grands intérêts. Placer fes Héros dans des circonftances embarraffantes, les en tirer fans effort; étonner le fpectateur par des fentimens des réponses, des raifonnemens imprévus; réunir à la fois l'élévation des penfées, la grandeur des images, la variété & l'énergie du styleż

[ocr errors]

tout cela n'étoit qu'un jeu pour un Génie devant qui les difficultés s'applaniffoient d'elles-mêmes.

Les Grecs, quoique les premiers modeles de Corneille, n'ont jamais développé avec autant de force & de hardieffe les grands mouvemens dont l'ame humaine eft fufceptible. On diroit qu'il crée les fentimens & les expreffions. On pourroit feulement lui reprocher d'avoir trop dirigé les effors de fa Mufe vers l'admiration ; mais s'il fubjugue trop defpotiquement l'efprit, il a tant de reffort dans l'action, une marche fi aifée, fi impofante, fi ferme, fi rapide; fes intrigues font fi habilement ménagées, conduites avec tant de dextérité, terminées par une explofion qu'on nous paffe ce terme ) fi lumineufe, fi frappante, que la terreur & la pitié qui naiffent au gré du Poëte, & faififfent le Spectateur, ne font jamais affoiblies par le fentiment de l'admiration.

Il eft inutile de s'étendre davantage fur cet étonnant Génie; ce n'eft qu'à la représentation ou à la lecture qu'un homme de goût peut en faifir les nuances & en découvrir les riches beautés. Quand nous renvoyons à la lecture de fes Pieces, on fent bien que nous ne prétendons pas indiquer l'Edition commentée par M. de Voltaire ce feroit renvoyer aux cendres de Corneille, & n'offrir de ce grand Homme qu'un fque

lette décharné par le fcalpel de la malignité. Ce n'eft pas par des Remarques plus fubtiles que juftes, par des Réflexions plus fauffes que conformes au goût, par des Analyses infidelles & infidieufement préfentées, par des Critiques minutieufes & fouvent puériles, par des Notes grammaticales auxquelles on attache une importance d'autant plus ridicule, que les fautes de langue qu'on y releve appartiennent moins au Poëte qu'au temps où il vivoit; qu'on pourroit fe former une idée sûre du Héros de la Tragédie.

Quels motifs ont pu porter un Ecrivain dont la réputation n'a rien de commun avec ce grand Poëte Tragique, à s'acharner contre les hommages rendus de tout temps à fa fupériorité? M. de Voltaire a fait des Tragédies, il est vrai; mais fa touche est fi foible auprès de celle de l'Auteur de Cinna, de Polieute, de Rodogune, des Horaces, qu'il auroit dû fe borner au genre de fuffrages qu'il mérite, fans chercher à détruire une espece du culte dont la France & l'Europe Littéraire ne fe départiront jamais en fa faveur. Si la jalousie étoit la fource de cet acharnement, elle cefferoit d'être odieuse pour devenir ridicule. Il y aura toujours une extrême diftance entre les Chef-d'œuvres de Corneille & Ves meilleures Pieces de M. de Voltaire. Nous ne craignons même pas de dire que dans Othon, Sertorius, Sophonisbe, Edipe,

Surena, on trouve des Scenes qui supposent plus d'élévation & de vigueur dans l'ame, qu'Alzire, ou Mérope, ou Mahomet. Cette affertion, qui trouvera fans doute des contradicteurs, n'en eft pas moins fondée, & ne fauroit être démentie que par des Elprits étroits, plus jaloux des petites convenances, que propres à s'élever à la hauteur des grandes idées, & par cette raison incapables d'apprécier les grands traits. Une efquiffe feule de Rubens est préférable aux tableaux les plus achevés d'un Peintre dont tout l'art fe borneroit au coloris, & même quelquefois au vernis feul.

Corneille ne ceffera donc jamais d'être LE GRAND CORNEILLE, malgré les efforts de ceux qui n'ayant pu l'imiter, cherchent à miner le Coloffe de fa réputation. De petits Auteurs froids & compofés auront beau differter, raisonner, fubtilifer, reffaffer ces mots impofans de vues juftes & fines, de difcernement sûr, de fentiment, de convenances de fenfibilité, le Héros de notre Tragédie fera toujours en droit de dire, au fujet de les fentimens & de fa poéfie,

[ocr errors]

Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis.

Ses Ouvrages conferveront fans altération la vive: expreffion de fon génie & du caractere de fon ame, c'est-à-dire qu'ils retraceront le tableau de

pas

ces Edifices antiques, majeftueux, folides, qui, malgré quelques irrégularités, n'en font moins fentir la petiteffe de cette Architecture moderne, où l'ornement & la fymmétrie s'efforcent en vain de fuppléer à la noblesse & à la magnificence.

2. CORNEILLE, [ Thomas ] Frere de Pierre, de l'Académie Françoise & de celle des Infcriptions, né à Rouen en 1625, mort à Andely eu

1709.

que

Quand il n'auroit fait qu'Ariane & le Comte_ d'Effex, le Baron d'Albicrack & le Feftin de Pierre, Pieces qu'on joue encore avec beaucoup de fuccès, il feroit fupérieur à prefque tous les Tragiques & Comiques de nos jours. On a dit le nom de fon frere étoit un honneur dangereux pour lui: on doit en convenir; mais, malgré cela, fon frere ne pouvoit être mieux remplacé à l'Académie Françoife. D'ailleurs il eft tant d'Auteurs qui n'ont un nom que parce qu'ils n'ont pas de frere, qu'il y auroit de l'injustice à lui refufer la gloire qu'il mérite, parce qu'il en a eu un plus célebre que lui.

,

On ignore affez communément qu'on lui doit d'excellentes Obfervations fur Vaugelas un Dictionnaire des Arts, pour fervir de fupplément au Dictionnaire de l'Académie, & un Diction

« AnteriorContinuar »