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LIVRE HUITIEME.

N peut regarder le temps d'une négociation de paix comme le moment décifif qui regle le fort des vainqueurs & celui des vaincus. Jufqueslà les conquêtes des uns & les pertes des autres font indécises. C'est le traité de paix qui les fixe, qui y met le sceau, qui affure aux Princes le fruit de leurs victoires, ou qui les en dépoüille pour toujours. Plus la France avoit fait de conquêtes, plus il lui étoit difficile de les conferver. Un ennemi ne confent qu'avec peine à figner fa ruine, fût-il encore plus abbattu que ne l'étoit alors la Maison d'Autriche. Le Cardinal de Richelieu fongeant dès le commencement de la guerre à faire une paix avantageuse, avoit imaginé pour y réuffir un moïen qui lui paroiffoit infaillible. C'étoit d'engager tous les peuples & les Princes ennemis de la Maifon d'Autriche à feconder de tous leurs efforts les demandes de la France dans le traité de paix, comme la France elle-même confentoit à foutenir auffi leurs prétentions. C'étoit là le reffort qu'il fe propofoit d'emploier dans la négociation, & c'étoit pour ce deffein que la France avoit tant menagé la Suede, la Hollande & les autres Etats dont elle achetoit fi cher l'alliance. Comme le temps étoit venu de faire agir ce grand reffort, elle songea à ramaffer toutes fes forces pour ne pas manquer coup, & à s'unir plus étroitement que jamais avec fes Alliez. Elle étoit déja sûre de Madame la Lantgrave de Heffe & des Suedois par les traitez paffez,

fon

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confirmez tout récemment depuis la minorité de AN. 1643. Louis XIV. & plus que tout le refte par l'ambition même de la Suede qui avoit de grandes vûës fur la Pomeranie, & qui avoit pour executer ces vûës, autant de besoin des François, que ceux-ci en avoient des Suedois pour executer les deffeins qu'ils avoient fur l'Alface.

II.

Si la Cour de France comptoit fur les Suedois, elle devoit raisonnablement compter encore plus fur les Etats des Provinces -Unies. Cette nouvelle République étoit redevable à la France de son origine, de fes progrès & de fa confervation. La France n'avoit, pour ainsi dire, qu'à retirer fon bras, & les Païs-Bas feroient retombez fous la domination de leurs anciens maîtres. Le traité d'alliance renouvellé en 1635. entre Louis XIII. & les Etats étoit encore un gage de leur fidelité. Cependant foit qu'on cût quelque fujet de tiaires de France fe fe défier de leur conftance, foit qu'on voulût ranimer leur attachement & leur reconnoiflance nouvelles liaisons ; la Reine-Régente crut qu'il étoit à propos de renouveller les anciens traitez, & les Plenipotentiaires nommez pour Munster curent ordre de paffer par la Haye & de s'y joindre à M. de la Thuillerie pour y négocier avec la République un renouvellement d'alliance. Un obftacle imprévû les arrêta plufieurs jours à Mezieres.

Les Plenipoten.

rendent à la Haye avant d'aller à Munster.

III.

Ils font arrêtez dans leur route.

par

de

Le Roi de Portugal perfuadé que le Roi d'Ef pagne n'accorderoit point de fauf-conduit à fes Plenipotentiaires, avoit pris le parti d'envoïer en France un fimple Envoïé avec ordre de fuivre les Ambasfadeurs François à Munster à la faveur de leur faufconduit. Cet Envoïé devoit veiller aux interêts de

Portugal, & faire l'office d'Ambaffadeur fans en por

d'Avaux, 22.

ter le nom ni le caractere. C'étoit Dom Louis Pe- AN. 1643. reira de Caftro. Les Catalans qui vouloient auffi Lettre du Roi de avoir leurs Députez au traité avoient fuivi l'exemple Portugal au C. du Roi de Portugal. Mais les Efpagnols en aïant été Avril 1643. avertis prétendirent s'oppofer au paffage des Portugais & des Catalans, & pour cela voulurent obliger le Comte d'Avaux à déclarer les noms & les fonctions de tous ceux qui étoient à fa fuite. Douze jours fe pafferent en conteftations entre le Comte & les Efpagnols; après quoi ceux-ci réparerent en quelque forte leur faute par les honneurs qu'ils firent rendre aux François fur toutes les autres terres de leur dépendance.

pas

Les Plenipotentiaires ne furent fi bien reçûs dans quelques Villes des Provinces-Unies, & ce fut çûs peut-être l'effet des déclamations des Prédicans qui de publioient que la paix feroit naître des divifions intestines dans l'Etat. On s'en plaignit au Prince d'Orange & aux Etats qui donnerent dans la fuite de meilleurs ordres.

IV.
Ils font mal re-

la

dans les Etats République.

V. Cerémonial avec

Les deux Ambaffadeurs fouhaitoient fur tout avec paffion que le Prince d'Orange Frederic-Henri con- le Prince d'O. fentît à rendre à leur caractere ce qui lui étoit dû. Ce range. Prince avoit reçû de Louis XIII. le titre d'Alteffe, & tous les peuples de l'Europe le lui donnerent enfuite à l'exemple des François. Cette diftinction qui ne le rendit gueres plus reconnoiffant envers la France, l'avoit rendu plus réservé à l'égard de ses Ambassadeurs. Il ne leur donnoit l'excellence qu'avec peine,

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titre distinctif des Ambassadeurs des Têtes couronAN. 1643. nées. Il fe croïoit auffi difpenfé d'aller comme autrefois au devant d'eux. La conjoncture étoit délicate pour les Plenipotentiaires qui étoient tout à la fois obligez de foutenir leur dignité & de menager un Prince dont l'amitié leur étoit neceffaire. Pour évi

potentiaires à M..

Novembre 1643.

Lyonne 26. Jan

vier 1644.

Lettre des Pleni- ter les fuites fâcheufes qu'auroient pû avoir des démarches trop précipitées on mit l'affaire en négociation avant que d'arriver à la Haye. Il fut reglé de Lettre de M. de concert avec les Etats & le Prince d'Orange luiServien à M. de même, que ce Prince iroit au-devant des Ambassadeurs & leur rendroit le lendemain la premiere visite, si sa santé le lui permettoit : finon, qu'il envoïeroit le Prince Guillaume fon fils les recevoir & les vifiter. Le Prince Frederic-Henri fe trouva effectivement attaqué de la goutte, lorfque les Ambassadeurs arriverent à la Haye. Ce fut le Prince Guillaume qui alla les recevoir à demie-lieuë de la Ville avec cinquante caroffes & toute la Nobleffe du Païs. Il excusa son pere sur son indisposition,& ses excuses furent reçûës comme un aveu de l'obligation où le Prince fon pere reconnoiffoit être à leur égard.

Les femmes plus jaloufes de leurs droits ne pûrent s'accommoder entre elles. Après la démarche que lc Prince d'Orange venoit de faire, il étoit naturel que la Princeffe fon épouse fît auffi la premiere vifite à Madame de Servien qui fuivoit fon mari dans fon Ambaffade; mais rien ne pût y faire réfoudre la Princeffe; l'Ambaffadrice fe croïant de fon côté en droit d'exiger les mêmes honneurs que fon mari, comme en effet l'usage l'a voulu de tout temps, refusa conf

tamment

tamment de rendre la premiere visite ; de sorte qu'elles ne fe virent point pendant tout le temps que Madame de Servien demeura à la Haye.

Ces premieres difficultez que les Plenipotentiaires trouverent à leur arrivée en Hollande,n'étoient rien au prix de celles qu'ils devoient rencontrer dans leur négociation avec les Etats. Il est à propos pour faire comprendre toute la fuite de cette affaire,d'exposer en peu de mots les difpofitions où fe trouvoit alors la République.

guerre recom

AN. 1643.

VI.

Difpofitions de

1579.

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Il y avoit plus de foixante ans que les ProvincesUnies s'étoient fouftraites à la domination Efpa- la République des gnole, & depuis ce temps-là les peuples avoient Provinces- Unies. toujours eu les armes à la main pour repouffer les efforts continuels que les Rois d'Efpagne faifoient pour rentrer en poffeffion d'un fi bel appanage. A peine les Provinces eurent-elles goûté les douceurs de la paix & de la liberté pendant une treve de douze ans qui fut concluë en 1609. que la mença avec la même fureur. Elle auroit enfin épuifé la République naiffante fans les puiffantes diverfions que les Suedois firent en Allemagne, & les affiftances continuelles que les Etats reçûrent de la France. La République aidée de ces fecours fut en état non-feulement de fe maintenir contre toutes. les forces de l'Espagne, mais encore de faire des conquêtes jufques dans le Nouveau Monde. Ces avantages & la crainte des divifions intestines faifoient fouhaiter à quelques-uns la continuation de la guerre. Mais comme l'Etat étoit extrémement accablé & fur-tout la Province de Hollande qui avoit contracté des dettes immenfes, la plûpart deman

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