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fortes d'armes. Une armée de Tartares ne paroît pas nombreuse, parce qu'ils marchent tous en peloton. Ils font braves, & foumis aux ordres de leur capitaine, qui leur fait faire les mouvemens & les évolutions par le moyen des fignaux. Les troupes n'ont pas de paye, chaque foldat vit de la chaffe, ou du butin qu'il prend fur l'ennemi. Ils font habiles à faire les fiéges des villes & des châteaux, & ils ne rougiffent point de fuir lorfqu'ils y font contraints.

Telle eft la nation qui fous la conduite de Genghizkhan Genghiz& de fes enfans foumit toute l'Afie. Les Mogols qui le re- khan. Hif. géné gardent comme leur plus grand Prince, lui donnent une ori- des Tatars gine miraculeuse. Ils prétendent qu'un de leurs anciens Marakefch Khans (a), nommé Julduz, eut deux enfans, qui moururent avant lui; l'un laiffa un fils appellé Dejun-baïan; & l'autre, une fille nommée Alancava; on les maria enfemble. Dejun-baïan, qui survécut peu à fon grand-pere Julduz, laissa Alancava veuve avec deux enfans, le premier nommé Belgadei, âgé de 7 ans, le fecond appellé Begdfadei, âgé de 6 ans (b). Alancava, occupée du foin de les élever, ne voulut point fe remarier. Mais on rapporte que quelque tems après, en s'éveillant un jour, elle vit dans fa chambre une grande lumiere, qui fe changea en la figure d'un homme de couleur orangée, & qui avoit des yeux d'une beauté parfaite ; qu'elle en fut fi épouvantée qu'elle voulut appeller du monde, mais que fes forces lui manquerent, & que cet Efprit coucha avec elle. Alancava n'avoit d'abord ofé publier cette aventure, dans la crainte qu'on ne crût qu'elle en impofoit; mais l'Esprit étant venu plufieurs fois, elle fe trouva enceinte, & on s'apperçut de fa groffeffe. Cet évenement fit beaucoup de bruit dans la horde: pour fe Marakefchỉ juftifier, elle dit qu'elle confentoit à être traitée en coupable fi elle n'accouchoit pas de trois enfans mâles. En effet elle mit au monde trois enfans, qui furent nommés Bocum catagun, Boskin faldgi, & Bouzendgir; on les appella tous les trois les Nouranioun, c'eft-à-dire, les Illuminés, par

(a) Voyez ce que j'en ai dit, T. I. Pau. II. pag. 370.

Tom. III.

(b) On les nomme encore Belgajut & Bugnat.

B

Apr. J. C.
Genghiz

khan.

Kam-mo.

L'an 1147.

Gaubil
Pétis.

ce qu'on les regarda comme fils du foleil ; c'eft du dernier
defcend Genghizkhan.
que

Quoi qu'il en foit de cette fable, la horde particuliere des Mogols (a) étoit déja puiffante dans la Tartarie vers l'an 1135. Elle demeuroit au nord du pays des Niu-tché. L'Empereur de ces Tartares fut obligé d'envoyer des troupes contre ces Mogols, qui firent voir par leur vigoureuse réfiftance qu'ils étoient très-braves & bien armés. Le Général des Niu-tché (b), obligé de s'en retourner après avoir confommé fes provifions, fut battu dans un endroit appellé Hai-ling. Dans la fuite quelques rebelles des Niu-tché fe retirerent chez les Mogols, & les troupes que l'Empereur des Niu-tché envoya contre cette horde, ne purent parvenir à la foumettre ; ce Prince, quoique maître de la Tartarie & de la moitié de la Chine, fut contraint de faire la paix avec eux, de leur donner des terres, & d'honorer leur chef de quelques titres. Alors le petit Khan des Mogols fe fit appeller Empereur, comme les Monarques Chinois.

Yefoukai Bahadour étant devenu Khan des Mogols, étendit bien loin fa domination. On ignore le détail de fes expéditions, & les Hiftoriens n'en ont confervé qu'une qui eft relative à la naiffance de Genghizkhan. Les Sou-Mogols ou les Tartares proprement dits, avoient infulté Yefoukai, & celui-ci pour fe venger étoit auffi-tôt entré fur leurs terres à la tête de fes troupes. Temoudgin, alors Khan des Sou-Mogols, fut vaincu, & fon armée fut mise en déroute. Yefoukai revenant victorieux dans fes Etats, apprit qu'il venoit de lui naître un fils; il lui donna, pour conferver la mémoire de fa victoire, le nom du Khan qu'il avoit vaincu. Ainsi le fils d'Yefoukai fut appellé Temoudgin; c'eft le fameux GenghizL'an 1163 khan, qui nâquit dans le pays appellé Blunjulduk (c). Comme Hift.géné. des Tatars. il tenoit, en venant au monde, un morceau de fang caillé dans fa main, le pere confulta fes Devins dont il ne fut pas fatisfait; il s'adreffa enfuite à fon Miniftre nommé Soughoud

(a) Les Chinois la nomment Mumku. Ils l'appelloient auparavant Mumou, & Mum-ko-fu.

(6) Il étoit appellé Hou-cha-hou

(c) M. Petis l'appelle Dilon Ildac. Genghizkhan naquit l'an 559 de l'Hegire, appellée Tongouz, ou du Porc chez les Mogols.

gin, homme fort expérimenté, & qui lui dit que le Prince nouvellement né foumettroit un grand nombre de Nations, GenghizApr. J. C. & qu'il forceroit tous fes ennemis de lui obéir. Lorfque khan. Temoudgin fut forti de l'enfance, fon pere Yefoukai lui donna pour Gouverneur Carafchar Nevian, fils de Soughoudgin qui étoit mort quelque tems auparavant. Yefoukai ne vit point élever ce fils fur lequel il avoit fondé de grandes efpérances, il mourut lui-même à la fleur de fon age, laiffant Temoudgin héritier de fa puiffance & de fon petit Etat. Temoudgin n'étoit alors âgé que de 13 ans, & L'an 11764 fes freres étoient encore plus jeunes que lui. La Princeffe fa mere nommée Oulun-ika (a), fut chargée du gouvernement de l'Etat qui étoit devenu affez confidérable, puifqu'Yefoukai comptoit fous fon obéiffance trente ou quarante mille familles qui lui payoient tribut. Elles avoient toutes une origine commune, & defcendoient d'une même fouche. Plufieurs Hordes voisines étoient également foumifes à celle des Mogols, & tous leurs tributs appartenoient de droit à Temoudgin en qualité d'aîné. C'eft une coutume en Tartarie que les freres foient foumis à l'aîné comme les autres fujets, & qu'ils lui payent le tribut; mais ils ne font obligés que de lui donner par an une tête de chaque forte de bétail. Leurs enfans ne jouiffent pas de ce privilége, & rentrent dans la claffe des fujets ordinaires.

Tel fut dans les commencemens ce Prince qui devint maître de prefque toute l'Afie, fimple Chef de Horde, & un Paftre qui vivoit à peu-près comme nos Fermiers, dans fes campagnes, finon qu'il avoit droit de faire la guerre ; fon courage l'éleva au-deffus des autres Chefs de la Nation, & après les avoir foumis tous, il alla attaquer les Empires les plus formidables, qui pouvoient mettre fur pied des millions d'hommes, où les Arts & les Sciences Heuriffoient, qui fubfiftoient depuis long-tems, & qui étoient gouvernés par des Loix que les plus grands hommes de l'antiquité avoient dictées.

Toutes les familles qui avoient été foumises à Yefoukai,

(a) Les Chinois la nomment Yue-lun veut dire grand par corruption. Ika en langue Mogole

Genghiz

khan.

n'étant plus retenues dans le devoir par la force des armes, Apr. J. C. fecouerent bientôt le joug, & ne voulurent pas être fous la domination d'une femme & d'un enfant de treize ans. La Horde des Taizeuts (a) qui étoit une des plus confidérables & des plus riches fe révolta la premiere, elle fut fuivie de plufieurs autres, & toutes enfemble choifirent un Chef nommé Burganai Kariltuk (b). Celles qui refterent foumises à Temoudgin étoient compofées des descendans de fon bifayeul (c), de la moitié de la Horde des Mankats & de quelques autres familles. Les Cataguns, les Zipzuts, les Dfoigerats, les Nirons, le refte des Mankats, embrasserent le parti de Burganai Kariltuk, & d'un autre Chef nommé Gemouka (d). Temoudgin malgré fa grande jeuneffe fe mit en campagne, & livra une bataille aux rebelles. Mais la victoire étant reftée indécise, il fut obligé de fe retirer, & d'attendre un tems plus avantageux. Il resta ainfi jufqu'à ce qu'il eût atteint un âge plus avancé. Il apprit alors par un déferteur que les Taizeurs & les Nirons s'étoient joints aux Tatars (e) & aux Mankats, pour venir l'attaquer avec une armée de trente mille hommes. Il raffembla aufli-tôt les treize Hordes qui lui étoient foumises, & après avoir fait mettre les bagages & les beftiaux au milieu de fon camp, il rangea fon armée, qui étoit pareillement de trente mille hommes, fur une même ligne pour couvrir tout fon bagage & marcha à l'ennemi, il fit des prodiges de valeur & remporta une grande victoire; fes ennemis perdirent cinq ou fix mille hommes, & un grand nombre d'entre eux furent faits prifonniers, le Chef des Taizeuts fut tué, Gemouka prit la fuite.

Après cette action Temoudgin récompenfa fes Officiers & fes foldats, & leur donna de fes propres chevaux & de fes habits, enfuite pour punir les rebelles, il fit mettre fur

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Genghiz

le feu foixante-dix grandes chaudieres pleines d'eau bouillante, & y fit jetter les principaux Auteurs de la révolte; il Apr. J. C. marcha contre les autres Hordes, pilla leurs habitations, khan enleva leurs beftiaux, fit un grand nombre de prifonniers, réduifit en efclavage les enfans des Chefs, & diftribua les autres dans fes armées. Toute la Horde des Taizeuts fut entiérement foumife; le nom de Temoudgin devint célèbre dans la Tartarie, les Princes voifins rechercherent fon alliance, Po-tou qui commandoit dans les pays voifins de la riviere Ergoné, époufa Temoulun, foeur de Temoudgin, & devint dans la fuite un de fes plus fideles alliés.

Les Tartares de Niu-tché occupoient alors l'Empire de Gaubil. la Tartarie, & tous les Chefs des Hordes, Temoudgin luimême, comme vaffaux du Monarque Tartare, étoient obligés de lui payer quelques tributs, & de lui fournir des troupes. La Horde des Tatars venoit de fe révolter contre l'Empereur des Niu-tché, auffi-tôt les Chefs de Hordes furent commandés contre les rebelles. On s'affembla au bord de la riviere Onon, Temoudgin & Thogrul (a), Khan des Keraïts reçurent des récompenfes proportionnées aux fervices qu'ils rendirent dans cette occafion; le premier obtint une Charge confidérable dans l'armée ; & le fecond eut le titre de Vam, c'eft-à-dire, de Roi, qu'il joignit à celui de Khan; dans la fuite il n'a plus été appellé que Vam-khan, & par corruption Onk-khan. Ce Prince qui étoit Aboulfa Chrétien Neftorien, étoit appellé le Roi Jean par les Chré- radge. tiens, & il eft ce fameux Prêtre Jean dont il eft fi fouvent parlé dans l'Hiftoire; il faifoit fa réfidence à Caracorom. Il étoit petit-fils de Mergous khan, qui étoit très-puiffant en Péris Tartarie, & qui mourut prifonnier chez les Tartares de Niu-tché (b). Celui-ci laiffa deux fils, Kordgiacour furnommé () Buzruc & Gurkhan. Onkkhan étoit fils du premier. Il effuya plufieurs malheurs, fut vaincu par fon oncle Gourkhan, & fe retira auprès du pere de Temoudgin qui le rétablit dans fes Etats. Mais les divifions fubfifterent tou

(a) Aboulghazi le nomme Tairell, de Courgé.

& les Chinois par corruption Toli.
(b) C'est ce que M. Petis appelle Cans

(c) Petis le nomme Codgia boiruc,

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