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Rubruquis

fe tranfportent facilement; les autres, pofées fur des roues, font traînées par un grand nombre de boeufs. En-dedans celles des riches font ornées de peintures & de broderies; en-dehors le feutre eft enduit d'huile ou de lait de brebis, afin que la pluie ne puiffe pénétrer. Le maître eft affis au milieu, vêtu de quelque piece de bougran, ou de drap rouge; des chiens, des loups, des renards, des chevaux, & même dans un befoin, la chair humaine, des poux, des rats & des fouris font fa nourriture. Ces Mogols n'ont point communément de linge dans leurs feftins. Chez la plûpart les bottes leur fervent à effuyer leurs mains, d'autres ont quelques petits mouchoirs. Lorfqu'ils font à table, l'un tranche la viande, & l'autre la diftribue en la prenant avec un couteau. Ils ne lavent leurs plats qu'avec le bouillon même, qu'ils confervent. Le lait de jument, de brebis, de chevre, de vache, ou de chameau, eft leur boisson ordinaire; celle Rubruquis de lait de jument fermenté s'appelle Cofmos (a). Les Grands boivent du cara-cofmos, qui eft plus clarifié. Rubruquis dit que c'eft une boiffon fort agréable, & qui a de grandes vertus. Dans l'hyver il n'y a que les riches qui faffent usage de la premiere, les autres boivent de l'eau, dans laquelle ils ont fait bouillir du millet. Ils en prennent un verre ou deux le matin, & cela leur fuffit pour le refte de la journée ; le foir ils ont un peu de viande avec du bouillon. Ils mangent moins de viande pendant l'été à cause du lait qu'ils ont en abondance. Dans tous leurs repas ils font très-fales, & fe font un mérite de s'enyvrer; ils font avares, & envieux de tout ce qui appartient aux étrangers. Par-tout où ils vont, ils font fuivis de leurs maifons; ils font riches en bœufs, en chameaux, en brebis, en chevres & en chevaux, mais ils n'ont point de porcs.

Plan Car

pin. Haiton.

M. Paul.

Ils reconnoiffent un Dieu, créateur de toutes chofes, qu'ils appellent Natagaï, mais ils ne lui rendent aucun culte. Ils adreffent leurs prieres & leurs facrifices à des idoles ticulieres, qui font couvertes de feutre ou de quelque étoffe de foie; ils les placent dans leurs tentes, & fouvent fur des

(a) C'eft ce que M. Paul appelle par corruption Chuinis, ou Chemius.

par

chariots plus ornés que les autres, & les regardent comme les protectrices de leurs troupeaux. C'est parmi eux un crime digne de mort, que de voler quelques-unes de ces divinités. Les chefs de mille hommes & de cent hommes en ont toujours une au milieu de leur tente, à laquelle ils offrent les prémices du lait de leurs jumens, & en général de tout ce qu'ils mangent ou boivent pour la premiere fois. Lorfqu'ils égorgent une bête, ils portent le cœur devant l'idole, & le laiffent jusqu'au lendemain. Il y a toujours une de ces idoles richement ornée devant la tente du grand Khan, ils lui font des préfens, & lui offrent principalement des chevaux, qui font alors regardés comme facrés, & qui ne fervent plus à aucun ufage dans la fuite. Ils ont une vénération finguliere pour le côté du midi, probablement parce que Fo, qui eft leur divinité, a pris naiffance dans les pays méridionaux. Ils adorent le foleil, le feu, l'eau & la terre, mais ils ne font point jaloux de faire embraffer leur religion aux étrangers. Ils laiffent une entiere liberté à cet égard. Ils ne rompent jamais les os, ils les brûlent, & les éclats caufés par l'impreffion du feu, leur fervent de présages. C'eft un crime chez eux de mettre un couteau, ou une coignée, dans le feu, ou de s'en fervir proche le feu, de s'appuyer fur un fouet, de toucher des flèches avec cet inf trument, de prendre ou de tuer, de jeunes oifeaux, de battre un cheval avec la bride, ou de le laiffer paître avec fon frein, de rompre un os avec un autre, de répandre du lait, ou de laiffer tomber à terre de la viande, & de faire fes néceffités dans l'enclos de fon logement. Celui qui fait ces fortes de fautes de propos délibéré, eft puni de mort, autrement il en eft quitte pour une amende, qu'il eft obligé de payer au Devin, qui vient purifier ce qui a été fouillé, en le faifant paffer entre deux feux; avant cette cérémonie perfonne n'y peut toucher. Ils puniffent encore de mort ceux qui ne pouvant avaler un morceau de viande, font obligés de le rejetter à terre, & ceux qui marchent fur le feuil de la porte de la tente Impériale. Ils ont une grande confiance dans les prédictions de leurs forciers, & dans les préfages tirés du yol des oifeaux, & ils ne font aucune entreprise

qu'au commencement de la lune, ou à la pleine lune. Ils appellent cet aftre la grande Reine.

Lorfqu'il arrive chez eux des Ambassadeurs

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ils ont

un grand foin de les purifier, en les faisant paffer avec leurs préfens entre deux feux. Ils obfervent la même cérémonie pour ce qui a été frappé du tonnerre, & même pour ceux qui fe font trouvés dans la tente d'un homme qui a été ainfi tué, & en général pour tous ceux dont les parens font morts, & qui habitoient avec le défunt. Ils allument alors deux feux, auprès defquels ils plantent deux lances ils attachent au haut avec une corde quelques piéces de bougran, & ils font paffer deffous ceux qui font fouillés. Pendant ce tems-là deux femmes, l'une d'un coté, l'autre de l'autre, jettent de l'eau fur la perfonne, & récitent des prieres. Si quelques chariots viennent à fe rompre en passant fous les lances, tout appartient aux Devins. Lorfque quelqu'un tombe malade, on plante devant fa porte une lance enveloppée d'un feutre noir; alors perfonne n'ofe plus entrer, & lorfque le malade eft à l'agonie, tous ceux qui l'approchent se retirent, parce que s'ils étoient préfens à fa mort, ils ne pourroient plus fe préfenter à la horde de l'Empereur, ou de leur capitaine, avant la nouvelle lune.

Quand quelqu'un eft mort, on l'enterre fecrettement à la campagne avec fa loge, où il eft affis ayant une table devant lui, fur laquelle on met un plat de viande, & une taffe de lait de jument. On enterre avec lui une jument & fon poulain, un cheval fellé & bridé; ils tuent un autre cheval, qu'ils mangent, & dont ils rempliffent de paille la peau, qu'ils mettent enfuite fur quatre pieux. Ils prétendent par-là que le défunt trouve dans l'autre monde tout ce qui lui eft néceffaire. Ils rompent enfuite le chariot qui le portoit, abbattent fa maison, & perfonne n'ofe proférer fon nom jufqu'à la troisieme génération. Ils enterrent avec des cérémonies particulieres les Grands de la nation. Ils fe rendent fecrettement à la campagne; là ils arrachent toutes les herbes jufqu'aux racines, font enfuite une grande foffe, & à côté une autre qui eft entierement fous terre. C'est dans cette derniere qu'ils placent le mort. Ils mettent

fous lui le ferviteur qu'il chériffoit le plus de fon vivant, & le laiffent jufqu'à ce qu'il foit près de mourir ; alors ils le retirent pour lui faire prendre refpiration; cette cérémonie fe répete trois fois, & quand ce ferviteur a le bonheur de la foutenir, il devient libre & puiffant dans la horde. Ils laiffent enfuite le mort dans la feconde foffe avec fes richesses, & les autres provifions dont on a parlé, remplif fent la premiere, & la couvrent des mêmes herbes qui y étoient auparavant, afin qu'on ignore le lieu de la fépulture. A l'égard de leurs Empereurs & des Princes de fa famille, ils ont un endroit particulier, où on les porte en quelque pays qu'ils meurent. Cette fépulture eft fituée dans un lieu appellé Burcan caldin. M. Paul rapporte que ceux qui accompagnent le convoi, font mourir tous ceux qui fe rencontrent fur le chemin, en leur difant: Allez fervir notre Seigneur & Maître dans l'autre monde. Mais ce fait eft contredit par tous les Ecrivains, & on fe contente de faire périr quelques esclaves.

M. Paul

Les Tartares font de tous les peuples les plus foumis & Plan Carles plus obéiffans aux ordres de leur Prince, & en même pin. tems les plus fiers & les plus orgueilleux à l'égard des autres nations. Entre eux ils n'ont ni conteftations ni querelles qui les obligent d'en venir aux mains, quoiqu'ils foient fujets à s'enyvrer. On n'entend point parler de vol. Lorfqu'une bête eft perdue, ou on la ramene, ou on la laiffe fans la prendre. Ils font fort charitables entre eux, fe donnent réciproquement tout ce dont ils ont befoin, ne font point envieux les uns des autres, n'ont point de procès, aiment leurs femmes qui font fages, fupportent la faim, le chaud, le froid avec une patience extraordinaire. Ils font fort hofpitaliers, mais ils veulent être reçus pareillement. Ils ont une averfion extraordinaire pour le menfonge. Un criminel avoue fur le champ fon crime, & un homme n'ofe jamais se vanter de quelque belle action qu'il n'auroit pas faite. Tels font Haitoni les Tartares entre eux, ils ont un grand mépris pour tous les autres peuples, & ne cherchent qu'à les tromper. Ils ont l'ambition de vouloir les foumettre, & ce n'eft qu'à cette condition qu'ils font la paix. Ils prennent aux peuples fou

Haiton.

Haiton.

mis la dixme des biens, même des filles qu'ils font esclaves, & rarement ils obfervent les traités.

Les loix leur permettent de tuer un homme ou une femme furpris en adultere, un homme & une fille qui tiennent un commerce scandaleux & un voleur ; ils puniffent de coups de bâtons celui qui révele leurs projets à l'ennemi, & celui qui offenfe fon fupérieur. Quand un Tartare a plusieurs femmes, ce qui lui eft permis par les loix, chacune a fon logement & fa famille à part, mais il y en a toujours une que l'on regarde comme la premiere. Ils n'admettent aucune différence entre les enfans des femmes légitimes & ceux des concubines; le pere peut donner à l'un ou à l'autre ce qui lui plaît. C'eft une coutume chez eux que le fils, après la mort de fon pere, épouse sa belle-mere, & le frere fa belle-four, après le décès de fon frere. Les hommes ne s'occupent qu'à faire des fléches, à garder les troupeaux, à la chaffe, ou à tirer de l'arc; les femmes font tout le travail, c'eft-à-dire, les habits, les fouliers, les bottes ; elles conduifent & raccommodent les chariots, chargent les chameaux ; elles font auffi habiles que les hommes à monter à cheval & à lancer des fléches.

L'Empereur est très-absolu fur toute la nation; les Grands reçoivent fes ordres avec une entiere foumiffion; ils ne peuvent dreffer leur tente, que l'endroit ne leur ait été affigné; où ce Monarque eft, tout lui appartient, biens, meubles, troupeaux & hommes. Les Princes ont la même autorité fur leurs vaffaux. Lorfqu'ils envoient des Ambaffadeurs, les fujets font obligés de fournir toutes les chofes nécessaires à ces Miniftres. Les chefs de horde donnent tous les ans à l'Empereur plufieurs jumens pour lui fournir du lait, & les fujets font tenus à la même redevance envers les chefs de hordé. En général, il n'y a perfonne de libre dans cet Empire, l'Empereur & les Princes prennent tout ce qui leur plaît furle peuple, mais auffi le moindre Tartare qui passe dans un pays conquis, s'y comporte en maître.

Lorfqu'ils font la guerre, les combats font très-meurtriers à cause de la grande quantité de fléches qu'ils lancent directement, & avec tant de force, qu'elles percent toutes

fortes

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