.... la pauvre petite fe mit à pleurer amèrement, en disant : Je n'en ai plus !.... Adèle, fondant en larmes, fe jette à fon col, & la ferrant dans fes bras Maman fera la tienne, chère enfant, s'écria-t-elle... Alors la petite me regardant avec des yeux remplis de pleurs: Eft-il vrai, me ditelle, refterai-je toujours avec vous? .... Elle fir cette question avec une ingénuité fi touchante, un air si tendre, un fon de voix fi doux, que je me fentis émue jusqu'au fond de l'âme .......... Oui ́, répondis-je, vous ne nous quitterez plus. Ces pa roles caufèrent au moins autant de joie à Adèle qu'à l'enfant, d'autant mieux que j'ajoutai que je me décidois en effet à la garder pour toujours, puifqu'elle paroiffoit être auffi fenfible qu'elle étoit jolie. Mais, Maman, dit Adèle, vous m'avez promis auffi que je ferois fa gouvernante? Nous verrons cela, répondis-je, nous en cauferons ce foir. En effet, à huit heures & demie, lorsque F'enfant fut couchée, j'eus à fon fujet une longue converfation avec Adèle. Étoit-ce férieusement lui dis-je, que vous me demandiez d'être chargée de cette petite fille ? Oui, en vérité Maman.... J'aime les enfans à la folie, & Mais vous-même, à peine êtes-vous fortie de l'enfance! vous n'avez que treize ans & demi .... Ma chère Maman me dit quelquefois que j'ai de la raifon pour mon âge.... Cela eft vrai ; cependant croyez-vous, Adèle, que vous soyez en état de bien élever un enfant?....=Non Maman, je n'ai pas cette préfomption; mais avec vos confeils, il me femble qu'il n'y a rien qu'on ne puiffe faire .... Si j'avois une petite four de cet âge, sûrement je pourrois lui être de quelque utilité; à mes récréations, je m'amuserois à lui enfeigner différentes chofes, je la ferois lire, je lui apprendrois de petits contes, & puis je la reprendrois doucement fi elle ne s'appliquoit pas.... Par exemple, fi elle étoit curieufe, moqueufe Ah, je fais par cœur tout ce qu'il faudroit lui dire !... je lui conterois tout ce qui m'est arrivé, & la veillée des quarante, & la Bambolina Francese.... Et tout cela ne ferviroit à rien, fi vous ne lui donniez pas d'excellens exemples .... Comment lui, prouverez-vous qu'on doit être appliquée, fi elle vous voit deffiner fans attention, jouer de la harpe, fans regarder votre mufique? .... Maman, en = Qui, en général, j'en conviens, mais les bons exemples ne font utiles qu'autant qu'ils font donnés constamment.... Je fens que la crainte de gâter un enfant, en lui donnant de mauvais exemples, feroit pour moi une raifon de plus de me bien conduire.... Cela peut être, & je vous avoue que je fuis tentée d'en faire l'effai....Oh, Maman, je vous en conjure ! .... — Il eft vraisemblable que vous ferez mariée un jour, & par conféquent mère de famille: fi cela arrive, vous vous trouveriez alors une expérience qui feroit très-utile à vos enfans: vous avez un bon cœur & de la générofité, je fuis donc très-sûre que, malgré votre extrême jeuneffe, vous fentez parfaitement l'importance des devoirs d'une gouvernante ; je vous le répète, ils fe réduifent tous à ce feul point, de donner toujours l'exemple des vertus qu'on exige j'aurai une attention fur moi-même! raison, car eft-il rien de plus horrible que de gâter & de corrompre un enfant né avec un bon naturel?.. .... Cette feule idée fait frémir........ Dieu vous demanderoit compte un jour de cet enfant malheureux, il diroit: Je l'avois créé bon, & tu l'as rendu méchant: à la fois barbare, impie & facrilège, tu as gâté & défiguré mon ouvrage !...... Il n'eft point de châtiment trop rigoureux pour toi!... O Ciel! Mais auffi il n'eft point de récom Oh, Avec penfes qu'une mère comme la mienne ne foit en droit d'attendre! .... En difant ces mots, Adèle laiffa tomber doucement fon visage fur le mien, & je fentis fes larmes couler für mes joues! . . . Vous m'effrayez, Maman, me dit-elle; maintenant je n'ofe plus defirer de me mêler de l'éducation de cette charmante petite fille! .... fentez trop combien ce devoir eft facré Vous pour ne Maman!.... Vous penfez! - Oh, je = Quelle joie vous me caufez != D'ailleurs, fi cette enfant vous devient chère l'aimerai paffionnément!.... Eh bien, rien ne vous coûtera ; dans l'espoir de la rendre parfaite, vous vous corrigerez fans effort de tous vos défauts .... Et le defir de justifier votre confiance & de faire votre bonheur..... Voilà qui est dit, je veillerai fur votre conduite, je vous donnerai des avis, & je confens que vous foyez entièrement chargée de cette enfant.... Entièrement! ah, Dieu! ....Oui, c'est-à-dire, elle couchera toujours dans votre chambre, elle ne vous quittera pas, elle jouera dans le cabinet où vous faites vos études; à vos heures de récréation, vous lui enfeignerez les petites. chofes que fon âge la rend susceptible d'apprendre; vous lui donnerez par la fuite les maîtres que vous jugerez néceffaires, & vous ferez enfin sa maîtreffe, fa gouvernante & fa mère Sa mère! Pauvre petite! .... Puis-je m'en faire appeler Maman?....Oui fans doute, puifque vous lui en tiendrez lieu. Elle m'appellera Maman!.... Oh, que je voudrois être à demain pour lui dire cela! ... Maman, vous lui direz qu'elle doit m'obéir.... qu'elle doit m'appeler Maman, car peut-être ne me croira-t-elle pas Je fuis fâchée d'être fi petite pour mon âge: fi vous me permettiez de porter des talons, je parie qu'elle me respecteroit davantage. Il eft vrai que vous n'avez pas une figure bien impofante, mais de la raifon, de l'application & de la douceur vous feront bien autant refpecter que des talons. Après cet entretien, Adèle alla fe coucher; fon premier foin, en entrant dans fa chambre, fut d'aller regarder fa fille qui dormoît profondément au rifque de l'éveiller, elle l'embrassa plufieurs fois, & sûrement, durant la nuit, ne vit qu'elle dans fes rêves. Le lendemain, auffi-tôt que je fus éveillée, Adèle entra chez moi en tenant fon enfant par la main, & en me difant qu'elle lui avoit donné un nouveau nom, ne |