CHAPITRE XXV.

Suite des obfervations fur la définition de l'ame humaine, felon les Anti-Cartéfiens.

N convenons avec les Anti

Cartéfiens, que la fubftance fpirituelle créée, que nous appellons l'ame humaine, n'est pas effentiellement celle qui veut, ou qui ne veut pas, celle qui hait ou qui aime; mais nous nions qu'elle ne foit pas effentiellement celle qui fent qu'elle exifte; & qui, en conféquence de ce fentiment, aime ou n'aime pas fa façon d'exifter, par une opération propre à fa nature... Auffi, fubftance Spirituelle, efprit, ame, intelligence font-ils termes fynonymes quand il s'agit de la principale partie de l'homme; c'est-à-dire, de celle qui fent, qui connoît & qui agit?

Quant à la faculté de vouloir, ou de ne pas vouloir, d'aimer, ou de haïr dont les Anti-Cartefiens affectent de Tome I.

L

fans

faire plufieurs facultés, & qu'ils ne conçoivent, difent-ils, dans l'ame, qu'après autre chofe, c'eft-à-dire doute après la fubftance... Si cette fubftance n'est pas une chose finguliere réellement existante, & qui a le sentiment de fon être ; qu'ils difent ce que c'eft (a). Et fi tout ce que nous appellons les opérations de l'ame ne prend pas fa fource dans ce fentiment intime, toute fubstance qui n'eft point corps, a néceffairement de fon existence ; qu'ils affignent eux-mêmes une autre fource, fans tomber dans le Spinoffme; & fi ce fentiment intime, qu'une fubftance fpirituelle a néceffairement de fon existence, n'est pas une pensée ; qu'ils lui donnent un autre nom 2 qui indique mieux fa nature. Car enfin

que

(a) Mentem humanam diximus effe rem cogitantem, unde fequitur illam ex folâ fuâ natura, aliquid agere poffe, videlicet cogitare, hoc eft affirmare, negare... Quandoquidem ipfa eft fubftantia, ex cujus effentia cogitante, multe actiones cogitativa fequi debent. Spin. Cogit. Metaph. Append. Part, 2. Cap. 12.

qu'est-ce que fentir que l'on exifte, fi ce n'eft pas connoître que l'on exifte ? Qu'est-ce que vouloir, haïr, aimer défirer, craindre, fi ce n'eft pas penser Et tout cela peut-il fe faire fans avoir le fentiment intime de fon existence, qui eft comme le centre d'où partent toutes

les lignes?

Lorfque les Anti-Cartéfiens difent qu'il fuffit à l'ame humaine, pour être ce qu'elle eft, de pouvoir devenir propre à penfer; autant vaudroit-il qu'ils définiffent le cercle, une figure qui peut devenir capable d'une circonférence & d'un centre... Cela eft vrai, pendant que cette figure n'exifte que dans l'imagination, c'est-à-dire, dans la fuppofition qu'elle peut exifter; mais peut-elle être actuellement exiftante fans avoir un centre & une circonférence ? Ainfi en concevant l'ame humaine avant fa création, on peut en avoir l'idée comme d'une fubftance qui pouvant exifter pourra conféquemment penser; mais fi cet Etre conçu dans l'imagination, exifte réellement, fa définition fera-t-elle exacte, fi on dit qu'il peut parvenir à avoir le fentiment de fon existance ?

Pas plus, que fi en définiffant l'effence d'un cercle confidéré dans fon existence actuelle, on difoit que c'eft une figure qui a la capacité d'un centre & d'une circonférence. Ce mot de capacité fait envisager comme abfent & comme accidentel, ce qui eft préfent & effentiel ... On demande fi c'eft-là raifonner, que dire d'une chofe qui exifte actuellement, qu'elle peut exifter? La poffibilité n'eft point une faculté ; ce qui n'eft rien, ne peut rien; autrement ce qui n'exifte pas, auroit la faculté d'exifter.

C'est donc mal définir l'ame humaine qui fent effentiellement qu'elle exifte, que de dire que c'eft une fubftance fpirituelle qui peut penfer & fentir qu'elle exifte. Cette façon de parler induit à croire que la fubftance fpirituelle n'est qu'un fujet dans lequel le fentiment de l'existence n'eft qu'un accident; ou comme un fond & une espece de canevas fur lequel les penfées viennent fe broder accidentellement (a); ou enfin

(a) Inftar tabulam rafam omni cogitation carentem, mentem humanam effe dixit quidam.

comme une horloge qui a toutes les 'piéces requifes pour marquer les heures, mais qui cependant ne les marquera point, fi on ne la monte pas (a).

Comme il n'y a rien dans la matiere qui ne foit matiere, de même, il n'y a rien dans l'ame qui ne foit ame; & comme la forme & toutes les modifications imaginables n'ajoutent, ni ne changent rien à la nature de la matiere; de même, par une comparaison imparfaite, les différentes opérations de la fubftance fpirituelle, fes différens états n'ajoutent, ni ne changent rien à fa nature. Car fi l'ame humaine étoit un fujet dont la pensée fût l'accident, on pourroit les féparer du moins intellectuellement, ou les confidérer indépendamment l'un de l'autre or en fé

Profeffor Leidenfis. Cogit. Metaph. Spin. Append. Part. 2. Cap. 12.

(a) Anima eft quafi automa fpirituale. Spin. de Intellect. Emend. Mais il fe contredit, ou il fe retracte. Append. Part. z. Cap. 12. Cogit. Metaph.