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tre que la pensée du moins implicite que nous avons de notre façon d'exifter actuelle? Nous difons implicite; car l'effence de la pensée ne confifte nullement dans une idée claire & diftin&te; mais dans une idée claire ou obfcure, confuse ou réfléchie.

Descartes a dit, je penfe; donc je fuis. Il auroit pû dire avec autant de certitude, je fens; donc j'exifte. Car qu'est-ce que fentir, fi ce n'eft pas du moins connoître implicitement que l'on exifte? Et qu'est-ce que connoître, fi ce n'eft pas penfer?

La méprife vient de ce que les Matérialistes affectent de confondre l'impreffion avec la fenfation, pour en conclure que la pensée eft produite par le méchanifme. Ce qui n'eft pas concevable.

Le mouvement imprimé à un corps vivant par les autres corps, produit à la vérité un jeu dans le méchanifme qui donne lieu à la fenfation; mais tant s'en faut qu'il la produife. La production eft l'effet d'une caufe de même nature....Or quelle identité de nature peut-il y avoir entre le mouvement &

le fentiment (a)? C'est ce que nous

examinerons.

Par exemple, la lumiere en agiffant fur l'organe qui lui eft destiné, occafionne à l'ame une action fur ce même organe, en vertu de laquelle action elle apperçoit les objets; que ce soit par le moyen des efpéces que l'on appelle impreffes & expreffes; il importe peu, puifqu'il n'y a que l'intelligence qui puiffe en faire le difcernement, & qu'il en résulte que cette connoiffance n'eft ni dans la lumiere, ni dans l'orni dans l'objet . . . . Elle ne peut être dans la lumiere, puisqu'il faudroit fuppofer que la lumiere peut voir & difcerner; ce qui eft abfurde; elle fournit à l'ame une occafion d'agir fur l'organe; mais elle ignore effentiellement cette action... Če difcernement des objets ne sçauroit être davantage dans l'oeil, puifqu'il n'eft pas poffible que

gane,

(a) Quæ res inter fe nihil habent commune; earum una alterius caufa effe non poteft. Spinofa. Ethic Part. 1. Prop. 3. Vid. Demonftr.

cette portion de matiére, en vertu de fes combinaisons, ait la faculté d'appercevoir d'autre matiére. Cette connoiffance n'eft pas non plus dans l'objet; donc elle est toute dans l'aine.

Ainfi comme la faculté de voir ne peut appartenir qu'à l'intelligence, il s'enfuit que le méchanisme n'en eft que la caufe occafionnelle.

,

La conféquence que tire notre Matérialifte n'eft pas plus jufte que fon principe; donc le méchanifme, dit-il conftitue l'effence de la penfée; il faudroit, pour parler correctement, qu'il eût dit donc le méchanifine paroît conftituer l'effence de la penfée à celui qui ne veut connoître que la matiére & fes combinaisons.

:

Ce qui induit en erreur, c'est que l'impreffion qui fe fait fur le corps & la fenfation qu'elle occafionne, fe fuc cédent avec une telle rapidité, qu'il femble que la feconde foit produite par la premiére; mais en faifant attention à leurs natures, il n'eft pas poffible de les confondre; car quelqu'étroite que foit l'union qui fubfifte entre le corps &

l'ame; il eft cependant très-certain qu'il y a plus de différence entre ces deux fubftances qu'il n'y en a entre les vêtemens & le corps,entre la lunette & l'œil. Que l'on coupe un cadavre par piéces; on dit qu'il ne fent plus rien; ce qui n'eft qu'un préjugé fondé fur les apparences; car ce corps, mort ou vivant, n'a jamais rien fenti; mais en donnant à l'ame occafion de fentir. il a paru lui-même fentir ; & il n'en a pas fallu davantage pour établir cette opinion populaire humblement adoptée par les Philofophes Matérialistes, que c'eft le corps qui fent; & que la fenfation conféquemment eft propre à la matiere, pourvû qu'elle foit organifée, c'eft-à-dire arrangée d'une certaine façon; quoiqu'il foit pourtant indubitable que, lorsqu'une folution de continuité dans la chair d'un corps vivant fait reffentir de la douleur ; ce n'eft point le corps qui éprouve ni qui peut éprouver cette douleur; les Matérialiftes le fuppofent auffi groffiérement que fauffement. Mens eft quæ diros fentiat ictus, dit un ancien

Poëte (a). C'est l'ame feule, par une fuite de cette loi d'union que le Créateur du corps & de l'ame a établie entre eux, & par laquelle il veut qu'il ne fe puiffe faire aucune impreffion fur un corps vivant, que celle-ci qui par fon action le fait vivre n'en foit auffitôt avertie ou par le plaifir, ou par la douleur; ce qui à coup fûr admet un difcernement dont le corps par fa nature eft abfolument incapable; puifque la matiére ne peut être fuppofée connoître ni l'utile, ni le nuifible, ni le fâcheux ni l'agréable, puifqu'elle ignore même fon existence.

Donc la fenfation ne peut appartenir qu'à l'ame; c'eft-à-dire à une fubftance fpirituelle unie à un corps, & capable par fa nature de fentir. Donc le méchanisme n'eft que la caufe occafionnelle des fenfations.

(a) Métamorph. Lib. 4. Fab. 6. Vid. Princip. Cartefiana. Part. 1. Prop. 21.

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