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CHAPITRE IX.

Suite des obfervations fur l'harmonie préétablie.

LA définition que donne M. Leib

nifme rend propre à de certains mouvemens plutôt qu'à d'autres, eft vraie dans le principe; mais elle nous paroît fauffe dans les conféquences

Il est très-certain que le corps d'un fauteur ou d'un voltigeur ne reffemble en rien pour les combinaifons requifes à de telles opérations, au corps d'un homme né cut de jatte. Mais doit-il s'enfuivre de-là, comme le veut M. Leibnitz, que Dieu pour affortir des ames à deux méchanifmes fi différens, ait fondé leurs inclinations, & qu'en conféquence il ait mis avec le corps du danfeur, celle qui avoit du goût pour la danfe; & avec le corps tronqué, une ame cazaniere & amie du repos? Mais il eft cependant fort fingulier

que l'affortiment contraire foit fi fréquent; car c'eft une vérité d'expérience la plus commune, qu'il y a une infinité d'ames qui voudroient faire de leurs corps une infinité d'opérations, & qui ont le chagrin de n'y pouvoir réuffir par le défaut des combinaisons de la machine qui leur a été afsortie.

Les rues font pleines de gens qui font nés mutilés, ou impotents, qui ne demanderoient pas mieux que de travailler, & qui fe traînent comme ils peuvent pour chercher de quoi fubfifter; pendant que les équipages brillans font remplis, pour la plûpart, de corps bien conformés, mais qui n'ont de membres que pour le coup d'oeil, ou pour de frivoles & fouvent de coupables ufages. Seroit-ce une méprise de la part de Dieu ? Seroit-ce un effet de fa volonté ? Ce ne peut être une méprise; c'eft donc un effet de fa volonté. Conféquemment M. Leibnitz n'a pas eu raifon de dire que Dieu met enfemble l'ame & le corps, qui ont un rapport mutuel; c'est-à-dire, du côté de de l'ame, une fuite de volontés ; & du côté du corps, une fuite de mouvemens

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réciproquement conformes . . . Ainfi c'eft Leibnitz qui fe mécompte, & non pas Dieu, qui diftribue aux ames les corps qu'il juge à propos, felon les vûes de fa Providence...

Quand un homme, faute d'attention, fe heurte & fe bleffe, il eft le premier à s'appeller étourdi. Mais il eft bien dans l'erreur, & tout le genre humain avec lui, felon Leibnitz... Car premierement, ce ne peut être fon corps qu'il doive avoir en vûe, parce que felon M. Leibnitz, il ne lui eft donné d'agir qu'en raifon de la fuite des mouvemens dont fa difpofition machinale le rend capable, avec les impreffions des corps extérieurs; ainfi, bien ou mal, il opere néceffairement; ce ne peut être non plus l'ame qui doive être traitée d'étourdie, puifque par le fyftême elle eft entiérement difculpée, n'ayant aucune action fur fon corps... Que M. Leibnitz dife donc à qui il faut attribuer l'étourderie... De même, quand on crie à un enfant de prendre garde de tomber, cet avertiffement ne peut regarder le corps, puifqu'il n'a point d'intelligence, ni l'ame, puifqu'elle n'a

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point d'action fur lui... A qui donc parle-t-on ?

Voici notre raifonnement & notre arrangement, (fauf meilleur avis). Dieu, en donnant à l'ame un corps organifé, lui donne en même tems la propriété de le rendre végétable, & capable en lui communiquant cette forte de vie, que l'on appelle animale, d'occafionner en elle, par la médiation des ofganes, une infinité de fenfations, & conféquemment de penfées... Et voilà ce que nous appellons informer ou animer; expreffion qui ne fignifie rien du tout chez M. Leibnitz; parce que l'ame n'a avec le corps qu'un commerce apparent, dont tout le monde a été dupe pendant plus de fept mille ans... Et cette action ou présence de l'amé déterminée par le Créateur au corps humain, s'étend non-feulement à tout le méchanisme en général, comme nous l'avons déja obfervé, mais encore à chacunes des plus petites parties du méchanifme; & c'eft en quoi confifte le fentiment univerfel de l'ame qui peut être occafionné d'une façon particuliere dans un endroit particulier, & dans

la plus petite partie de cet endroit, jus qu'à la réduction d'un point, & c'eft ce que l'on éprouve dans la piquure d'une aiguille, ou d'un infecte ..... L'action interne qui eft donnée à l'ame fur la difpofition intérieure de la machine eft ce qui produit la vie animale & la végétation, tel que le battement des arteres, la circulation du fang, &c... Cette action, il eft vrai, n'eft pas foumise à fa volonté, quoiqu'elle foit une propriété de fa fubftance; parce que le Créateur voulant qu'elle anime un corps, fans lui donner l'option ; cette action interne eft une condition fans laquelle l'animation ne peut avoir lieu... Et Dieu n'a pas voulu qu'il fût poffible à l'ame de détruire ce principe de la vie, par un fimple mouvement de fa volonté, comme d'ouvrir ou de fermer les paupieres; parce qu'il a trouvé bon que s'il ne lui étoit pas impoffible, du moins il lui fût difficile & douloureux de rompre l'union intime qu'il a établie entre le corps & elle... Et fi quelqu'un fait obferver que cela n'eft pas exactement vrai, parce que l'on peut fe procurer une mort fort prompte, & d'une auffi

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