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LERAT.

nombrable de peuple. Mais l'Ufurpa- GEOFROY teur agité par les remords de fa confcience, & encore plus par la crainte d'être livré par des ennemis fecrets aux Croisés, s'enfuit de nuit dans une barque avec fa famille & fes tréfors, & par fa fuite fit tomber les armes des mains des gens de guerre & des habitans, qui ouvrirent les portes aux Latins. Le même jour vit un tyran fugitif & déferteur de fa propre armée, le Prince légitime tiré de prifon, & rétabli fur le trône, & les Conrtifans avec les principaux citoyens, applaudir à un fuccès auquel la veille ils s'étoient oppofés de toutes leurs forces.

Les premiers foins du vieil Empereur furent d'affocier à l'Empire le Prince Alexis fon fils: cette cérémonie fe fit le premier jour d'Août de l'année 1203. Les chefs de la croifade l'accompagnerent enfuite dans la plupart des Provinces de l'Empire, où ils firent reconnoître fon autorité. Ils en furent mal récompensés: Alexis fe voyant tranquille fur le trône, fous differens prétextes, éloignoit le payement des fommes aufquelles il s'étoit engagé par le traité. Ses fineffes le perdirent; les Grecs qui craignoient de fe voir foumis à l'Eglife Romaine, le haïffoient, & par

GEOFROY fon manque de parole, il étoit odieux Croifés.

LE RAT.

1204.

aux

Un Prince de la famille Ducas appellé Murzulphle, à caufe qu'il avoit les fourcis épais, & qui fe joignoient, forma le deffein de le détrôner : par de baffes complaifances & une adulation continuelle, il s'empara de fon efprit : lui feul gouvernoit l'Empire,& en même tems qu'il exhortoit le Prince à rejetter les demandes des Croifés, fes émiffaires publioient que l'Empereur ne les retenoit aux portes de Conftantinople, que pour forcer les habitans à reconnoître. l'autorité du Pape. Le peuple s'émeut, prend les armes, & crie qu'il faut détrôner Alexis. L'Empereur Isaac fon pere, accablé de vieilleffe, mourut alors de douleur, de voir renouveller fes malheurs. Alexis étonné, a recours à fes bien-faicteurs, & les conjure de faire entrer dans la Ville quelques troupes pour fa fûreté. Le Marquis de Montferrat, fans faire attention à fon ingratitude, promet de venir à fon secours, & ils conviennent qu'on lui tiendra la nuit prochaine une des portes de la Ville ouverte. Le perfide Murzulphle en fait avertir fecretement les mutins : cette nouvelle augmente la rumeur toute la ville prend les armes,

& on fe difpofe à élire un autre Empereur. Murzulphle, le chef muet de la révolte, & qui fe défioit de l'inconftance du peuple, pour effayer le péril, fait élire pour Empereur, un jeune homme de grande naiffance, mais fans crédit & de peu d'efprit, appellé Nicolas Canabe. Le perfide Alexis voyant que tout le peuple, par averfion pour fonneveu, fe difpofoit à faire couronner fon idole, s'aflure fecretement de la perfonne de ce phantôme d'Empereur, & la nuit il va au Palais, fait éveiller le Prince, & l'exhorte à fe fouftraire à la fureur d'une populace mutinée qui le cherchoit, difoit-il, pour le mettre à mort. Lejeune Empereur s'abandonne à fes perfides confeils, le fuit, & Murzulphle, fous prétexte de le cacher le conduit dans un endroit retiré du Palais, où ce malheureux Prince n'est pas plûtôt entré, qu'il le voit arrêté & chargé de fers. Le Tyran lui arrache les brodequins femés d'aigles, & les autres marques de la dignité Imperiale, s'en revêt, & accompagné de fes parens & de fes complices, il se préfente au peuple; l'exhotte à rompre tout commerce avec les Latins, & propose de leur faire la guerre. Ce difcours qui flattoit l'animofité de cette multitude

GEOFROY LERAT.

GEOFROY effrenée, eft reçû avec de grands ap LE RAT. plaudiffemens. On le proclame Empereur fur le champ ; & pour ne pas laiffer rallentir l'ardeur du peuple, il fe fait couronner, L'histoire ne dit point ce qu'il fit du malheureux Canabe qui difparut, & dont on n'entendit plus parler. A l'égard de l'Empereur Alexis dont la vie lui donnoit de l'inquiétude, il fit mêler deux fois de fuite du poifon dans fes alimens; mais le poifon n'agiffant pas affez promptement, ce barbare, dans l'im patience de fe défaire de ce jeune Prince, defcendit dans le cachot où il étoit enfermé,& l'étrangla de fes propres mains.

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Quelque jufte indignation qu'euffent les Croifés contre ce jeune Prince ils ne laifferent pas de déplorer une destinée fi malheureuse, & ils réfolurenc de venger fa mort. La guerre fut déclarée au Tyran; il fe prépara à la foutenir, & fit prendre les armes aux habitans. Ce fut un nouveau fiege que les Croisés entreprirent pour la feconde fois ; ils y porterent le même courage;" & fans s'arrêter aux formes ordinaires de la guerre, ils tenterent l'efcalade ; & après un combat qui dura prefque tout le jour, ils s'emparerent de quelques tours où ils se fortifierent pendant la nuit. Ils étoient bien réfolus de con

le peu

LE RAT.

tinuer l'attaque dès le point du jour, GEOFROY mais ils furent agréablement furpris par quelques habitans, qui leur apprirent que le Tyran avoit pris la fuite. Dès le matin ils renouvellerent leur attaque: de réfiftance qu'ils rencontrerent, & le défordre & la confufion qui regnoient dans cette grande ville, leur firent bien-tôt connoître qu'une nouvelle auffi furprenante étoit veritable. Les François & les Venitiens entrent. dans Conftantinople l'épée à la main, fe jettent dans le palais & dans les maifons des principaux Seigneurs, & commettent tous les défordres qui font les fuites ordinaires de la fureur & de l'avidité du foldat.

Il fut queftion enfuite de choisir un Empereur; les Croifés remirent ce choix. à douze Electeurs, fix François & fix Venitiens, & on convint que le Patriarche feroit pris de la nation dont l'Empereur n'auroit pas été élû. Si le Doge avoit voulu concourir dans l'Election pour l'Empire, il eft certain. qu'il y auroit eu la meilleure part. Mais ce fage Prince confiderant que la dignité imperiale dans un Venitien, feroit la ruine d'un gouvernement républiquain, il y renonça pour lui & pour fa nation: ainfi il ne fut plus

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