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lût point être remarqué; ce qui lui étant ordinaire, a trompé bien des gens qui fe font imaginé qu'il étoit incognito. Le Czar n'en ufoit ainfi que parce que fa curiofité le conduifoit fouvent chez d'habiles ouvriers, ou chez des curieux où une nombreuse fuite auroit été auffi embarraffante que peu convenable. Auffi n'a-t-il déguifé fa qualité fous aucun nom qui difpenfàt du cérémonial à la manière des princes qui veulent être incognito. On lui a fait dans toutes les occafions publiques les traitemens qui fe pratiquent à l'égard des fouverains. Le Roi l'a visité le premier, accompagné de M. le maréchal duc de Villeroi, gouverneur de Sa Majefté, & des principaux officiers, fuivi d'un détachement de cinquante gardes du corps, leurs trompettes & timbales à la tête; & lorfque le Czar alla au palais des Tuileries, ce fut dans les carroffes du Roi, étant accompagné du comte Dolgorouky, lieutenant général de fes troupes, du baron Schaffirow, fon vice-chancelier, du prince Kurakin & de M. le maréchal de Teffé; les gardes françoifes & fuiffes étoient fous les armes, les tambours battant aux champs & les gardes de la porte à leur pofte ordinaire. Le Roi vint au-devant de ce prince jufqu'au carroffe & le reconduifit avec les mêmes cérémonies & les mêmes honneurs que Sa Majefté avoit reçus dans la visite qu'Elle lui avoit rendue. Le prévôt des mar

chands, & les échevins en habit de cérémonie l'ont falué & lui ont porté les préfens ordinaires de la ville. Enfin le Czar a toujours été accompagné de M. le duc d'Antin, furintendant des bâtimens, ou de M. le marquis de Bellegarde, fon fecond fils, qui a la furvivance, toutes les fois qu'on a fait voir les maisons royales à Sa Majefté czarienne.

Les nouvelles publiques ont fsuivi le Czar dans tous les lieux où il a été; & le Mercure a donné une relation exacte de tout ce que ce prince a fait depuis fon arrivée en France jusqu'à son départ (1); cependant, comme ce qui s'eft paffé aux Gobelins, & à la monnoie

extraordinaire, fort

(1) Dubois fait allufion à un rare du Mercure intitulé: Abrégé de l'hiftoire du czar Peter Alexiewitz, avec une relation de l'état présent de la Mofcovie & de ce qui s'eft passé de plus confidérable depuis fon arrivée en France jufqu'à ce jour. Dédié à Sa Majesté czarienne. A Paris, chez P. Ribou & Grégoire Dupuis, 1717, in-12. La dédicace eft fignée Buchet. L'abbé Jean-François Buchet fut rédacteur du Mercure de France, auquel il donna le titre de Nouveau Mercure, de 1716 à 1721, année de fa mort. La première partie de cet Abrégé renferme un réfumé de l'hiftoire de Ruffie, la feconde le journal du féjour du Czar jufqu'à fon départ pour Petit-Bourg & Fontainebleau. Dubois ne nous a malheureufement rien dit de ce dernier épisode, mais les articles » qu'il a confacrés à la vifite des Gobelins & à celle de l'Hôtel des Monnoies font beaucoup plus intéreffans que les fèches mentions de Buchet. Sur le féjour du Czar à Petit-Bourg, voyez l'Introduction.

des médailles, lorfque ce prince y a été, mérite d'être détaillé, on croit devoir s'y attacher, ce qui conduira d'ailleurs à donner l'histoire de ces deux endroits qui ne paroiffent connus que confufément.

ARTICLE XVIII.

Le douze de mai, le Czar alla à l'hôtel royal des Gobelins. Quoique M. le duc d'Antin n'eût été prévenu que la veille à onze heures du foir, il donna néanmoins des ordres fi précis & fi prompts que tout fut prêt à tems. Ce lieu eft particulièrement renommé pour les belles tapifferies qui s'y font; & il y en a une telle quantité, que non feulement on en tendit toutes les cours, mais qu'on les mit doubles, afin de les pouvoir expofer toutes, ce qui ne fe put faire dans une nuit qu'à force de monde. Il vint de grand matin un détachement de foldats avec quatre fergens pour garder la porte. A fept heures & demie, le Czar arriva. Il fut reçu par M. le duc d'Antin & M. le marquis de Bellegarde, accompagnés de M. de Cotte (1), premier architecte du Roi, intendant général des jar

(1) Robert de Cotte, né à Paris en 1656, mort à Passy le 14 juillet 1735.

dins, arts & manufactures de Sa Majefté, & de M. de Cotte (1), fon fils, contrôleur des bâtimens du Roi & directeur de la manufacture royale des Gobelins. Ce prince fut conduit dans les cours; & à mesure qu'il avançoit, on abaiffoit avec des poulies les tapifferies qu'il avoit vues pour découvrir celles de deffous; en forte qu'en revenant il trouva les cours tendues de nouvelles tapifferies. Enfuite on lui fit voir les grands ateliers où fe font les tapifferies de haute liffe & de baffe liffe. Il s'arrêta longtems, parla aux ouvriers, & les regarda travailler avec beaucoup de fatisfaction; furtout de petits enfans qui n'ont pas plus de fept ans, comme il parut par les careffes qu'il fit à un de ces enfans qu'il embraffa. Le Czar paffa après dans l'endroit où se teignent les laines dont on fait les tapifferies. On teignit en fa préfence, & il fit plu

(1) Jules-Robert de Cotte, né à Paris en 1683, mort à Paffy le 8 feptembre 1767. Son fils, Jules-François, né à Paris le 19 avril 1721, mort dans la même ville le 22 janvier 1810, étoit un bibliophile & un numifmate distingué. Il avoit commencé à acheter des livres fort jeune (à dixfept ans) à la vente du comte d'Hoym, où fon précepteur l'avoit accompagné. Le catalogue de fes livres, rédigé par De Bure, a paru en 1804. Celui de fes médailles, dont la vente eut lieu le 8 octobre 1810 & jours suivans, eft précédé d'une notice anonyme qu'une note de Dumersan, fur l'exemplaire du cabinet de France, attribue à La Porte du Theil.

fieurs queftions au teinturier (1), homme très habile dans cet art que fa famille exerce dans ce lieu de père en fils depuis l'établiffement de cette manufacture. Enfin Sa Majefté czarienne vit les ouvrages de ce beau vernis ployable nouvellement inventé, comme on le dira dans l'article fuivant, & ils lui plurent beaucoup.

· Il étoit midi quand le Czar fortit des Gobelins, fi fatisfait qu'il a fouhaité d'y revenir une feconde fois, qui fut le 15 de juin. Les chofes s'y paffèrent comme la première.

M. le duc d'Antin ayant remarqué que le Czar avoit regardé avec beaucoup d'attention & de plaifir toutes les tapifferies, reçut ordre du Roi d'offrir à ce prince celles qui lui plaifoient. Sa Majesté czarienne choifit deux tentures de haute liffe: l'une de quatre pièces

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(1) M. Kerchoven (D.). Van der Kerchoven eft défigné par les Comptes des bâtimens du Roi (septembre 1665) comme ayant foin de marquer les ouvrages de tapifferie qui fe font aux Gobelins". Sa fille Charlotte époufa, le 21 novembre 1673, Sébastien Le Clerc, & ne lui donna pas moins de treize enfans, de 1676 à 1695. Un feul fuivit la carrière des arts & fut membre de l'Académie royale. On a fous fon nom un Catalogue de deffins, bronzes, eftampes & autres curiofités (17 décembre 1764) où, fuivant un curieux exemplaire annoté, appartenant à M. le baron Pichon, figuroient en majeure partie des objets provenant de Blondel d'Azincourt, Joullain père, Houël, Prault, Dupleffis, Dehémant, Demarteau, Delezé & un anonyme.

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