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gagner; pendant ce temps-là je travaillerai à votre liberté. L'ouvrage, j'en conviens, est difficile mais je connais un esclave adroit, dont j'espère que l'industrie ne nous sera pas inutile.

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Je vous laisse, poursuivit-il; l'affaire veut de la diligence: nous nous reverrons. Je vais trouver le dey, et tâcher d'amuser par des fables son impétueuse ardeur. Vous, madame, préparez-vous à le recevoir : dissimulez, efforcezvous: que vos regards, que sa présence blesse, soient désarmés de haine et de rigueur; que votre bouche, qui ne s'ouvre tous les jours que pour déplorer votre infortune, tienne un langage qui le flatte : ne craignez point de lui paraître trop favorable; il faut tout promettre pour ne rien accorder. C'est assez, repartit Theodora, je ferai tout ce que vous me dites, puisque le malheur qui me menace m'impose cette cruelle nécessité. Allez, don Juan, employez tous vos soins à finir mon esclavage; ce sera un surcroît de joie pour moi si je tiens de vous ma liberté.

Le Tolédan, suivant l'ordre de Mézomorto, se rendit auprès de lui. Hé bien, Alvaro, lui dit ce dey avec beaucoup d'émotion, quelles nouvelles m'apportes-tu de la belle esclave?

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l'as-tu disposée à m'écouter? Si tu m'apprends que je ne dois point me flatter de vaincre sa farouche douleur, je jure, par la tête du grand seigneur mon maître, que j'obtiendrai dès aujourd'hui par la force ce que l'on refuse à ma complaisance. Seigneur, lui répondit don Juan, il n'est pas besoin de faire ce serment inviolable; vous ne serez point obligé d'avoir recours à la violence pour satisfaire votre amour. L'esclave est une jeune dame qui n'a point encore aimé; elle est si fière, qu'elle a rejeté les vœux des premiers seigneurs d'Espagne : elle vivait en souveraine dans son pays; elle se voit captive ici : une ame orgueilleuse doit sentir longtemps la différence de ces conditions. Cependant cette superbe Espagnole s'accoutumera comme les autres à l'esclavage; j'ose même vous dire que déjà ses fers commencent à luimoins peser: ces déférences attentives que vous avez pour elle, ces soins respectueux qu'elle n'attendait pas de vous, adoucissent ses déplaisirs, et triomphent peu à peu de sa fierté. Ménagez, seigneur, cette favorable disposition; continuez, achevez de charmer cette belle esclave par de nouveaux respects, et vous la yerrez bientôt, rendue à vos désirs, perdre dans vos bras l'amour de la liberté.

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Tu me ravis par ce discours, s'écria le dey : l'espoir que tu me donnes peut tout sur moi. Oui, je retiendrai mon impatiente ardeur pour mieux la satisfaire; mais ne me trompes-tu point, ou ne t'es-tu pas trompé toi-même ? Je vais tout-à-l'heure entretenir l'esclave: je veux voir si je démêlerai dans ses yeux ces flatteuses espérances que tu y as remarquées. En disant ces paroles, il alla trouver Theodora, et le Tolédan retourna dans le jardin, où il rencontra le jardinier, qui était cet esclave adroit dont il prétendait employer l'industrie pour tirer d'esclavage la veuve de Cifuentes.

Le jardinier, nommé Francisque, était Navarrois : il connaissait parfaitement Alger pour y avoir servi plusieurs patrons avant que d'être au dey. Francisque, mon ami, lui dit don Juan, vous me voyez très-affligé. Il y a dans ce palais une jeune dame des plus considérables de Valence: elle a prié Mézomorto de taxer lui-même sa rançon; mais il ne veut pas qu'on la rachète, parce qu'il en est amoureux. Et pourquoi cela vous chagrine-t-il si fort? lui dit Francisque. C'est que je suis de la même ville, repartit le Tolédan: ses parents et les miens sont intimes amis; il n'est rien que je ne fusse capable de faire pour contribuer à la mettre en liberté.

Quoique ce ne soit pas une chose aisée, répliqua Francisque, j'ose vous assurer que j'en viendrai à bout, si les parents de la dame étaient d'humeur à bien payer ce service. N'en doutez pas, repartit don Juan; je réponds de leur reconnaissance, et surtout de la sienne. On la nomme dona Theodora : elle est veuve d'un homme qui lui a laissé de grands biens, et elle est aussi généreuse que riche en un mot, je suis Espagnol et noble, ma parole doit vous suffire.

Hé bien, reprit le jardinier, sur la foi de votre promesse je vais chercher un renégat catalan que je connais, et lui proposer.... Que ditesvous? interrompit le Tolédan tout surpris; vous pourriez vous fier à un misérable qui n'a pas eu honte d'abandonner sa religion pour... Quoique renégat, interrompit à son tour Francisque, il ne laisse pas d'être honnête homme; il me paraît plus digne de pitié que de haine, et je le trouverais excusable, si son crime pouvait recevoir quelque excuse. Voici son histoire en deux mots.

Il est natif de Barcelone, et chirurgien de profession. Voyant qu'il ne faisait pas trop bien ses affaires à Barcelone, il résolut d'aller s'établir à Carthagène, dans la pensée qu'en

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changeant de lieu il deviendrait plus heureux qu'il n'était. Il s'embarqua donc pour Carthagène avec sa mère; mais ils rencontrèrent un pirate d'Alger qui les prit, et les amena dans cette ville. Ils furent vendus sa mère à un Maure, et lui à un Turc qui le maltraita si fort, qu'il embrassa le mahométisme pour finir son cruel esclavage, comme aussi pour procurer la liberté à sa mère, qu'il voyait traitée avec beaucoup de rigueur chez le Maure son patron. En effet, s'étant mis à la solde du bacha, il alla plusieurs fois en course, et amassa quatre cents patagons : il en employa une partie au rachat de sa mère; et, pour faire valoir le reste, il se mit en tête d'écumer la mer pour son compte.

Il se fit capitaine; il acheta un petit vaisseau sans pont; et, avec quelques soldats turcs qui voulurent bien se joindre à lui, il alla croiser entre Alicante et Carthagène : il revint chargé de butin. Il retourna encore, et ses courses lui réussirent si bien, qu'il se vit enfin en état d'armer un gros vaisseau, avec lequel il fit des prises considérables; mais il cessa d'être heureux. Un jour il attaqua une frégate française qui maltraita tellement son vaisseau, qu'il eut de la peine à regagner le port d'Alger. Comme on

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