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FAUSSETE

DES

VERTUS

HUMAINES.

Quis enim virtutem amplectitur ipfam?
Juven. Sat. x.

Par Mr. ESPRIT. de l'Academie

Françoife.

PREMIERE PARTIE.

A AMSTERDAM,

Aux dépens d'ESTIENNE ROGER, Marchand Libraire,
chez qui l'on trouve un affortiment général de toute forte
de Mufique très exactement corrigée, & qu'il vendra
toujours à meilleur marché que qui que ce foit,
quand même il devroit la donner pour rien.
M. D. C. C. IX.

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A

MONSEIGNEUR

LE

DAUPHIN.

MONSEIGNEUR,

Il n'en eft pas des Princes qui doivent unjour monter fur le Trône, comme du refte des hommes: Ceux-cy n'étant chargez que de leur conduite particuliere, ils font feulement obligez de fuivre l'avis des Sages qui leur ordonne de fe connoître; au lieu que cette étude ne fuffit pas aux Princes que Dieu fait naître pour gouverner les peuples: ils ont encore une indifpenfable obligation d'étudier & de connoître les autres.

Cette connoiffance, MONSEIGNeuk, n'eût pas été difficile fi l'homme fût demeuré dans l'état de fon innocence; car fes paroles auroient toûjours été l'image de fes penfées, & fes actions celle de fes defirs & de fes intentions. Mais

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depuis qu'il s'eft mis en la place de Dieu, qui devoit être l'objet unique de fon amour, & qu'il eft devenu amoureux & adorateur de luy-même; depuis que fon interêt eft la regle de fes actions & le maître de fa conduite; fon cœur qui fe laiffoit voir, fe cache dans fa profondeur & apprend à l'homme à y cacher fes deffeins. De forte que l'homme s'étant inftruit & perfectionné depuis tant de fiecles, en l'art de diffimuler & de feindre, ce long ufage de feintes & d'artifices luy a donné une pente prefque invincible à fe déguifer.

Il a été forcé en quelque maniere de fe fervir de rufes & de fineffes, parce que fon amour propre, qui luy eft fi cher, eft fi odieux aux autres qu'il n'ofe fe montrer tel qu'il eft, de peur de trahir fes propres deffeins; il eft même obligé pour les faire réuffir, de fe prefenter aux autres fous plufieurs figures differentes qu'il fçait leur être agreables, & de donner la gêne à fon efprit, pour imaginer celles qui font les plus propres à le faire paroître entierement dévoué à leurs intcrêts.

De là vient que tous les hommes font autant d'énigmes qu'il eft fi malaifé d'expliquer, & que ce qui paroît de l'hom

me

De là

me eft fi different de l'homme. vient que jugeant de luy par ce qu'on fait ordinairement, on fe trompe dans la plupart des jugemens qu'on en fait, & que ceux qui luy font les plus favorables font prefque toûjours les plus legers & les plus injuftes. De la vient enfin que Dieu condamne le cœur de la plupart de ceux dont tout le monde admire les actions, & que n'ayant égard qu'à nos difpofitions interieures & à nos veritables intentions, il voit comme de faufles vertus, les vertús qui brillent le plus, & qui paffent pour les plus excelentes.

Mais encore qu'il foit difficile de connoître l'homme, on ne doit pas neanmoins fe perfuader que cela foit impoffible, pourvû qu'on ait obfervé les inclinations de l'amour propre. Car comme c'eft luy qui eft l'inventeur de tous les ftratagèmes que l'homme met en ufage, & la caufe de la faufleté de toutes les vertus; & que l'homme en eft fi fort poffedé qu'il n'a point d'autres mouvemens que les fiens, ni d'autre conduite que celle qu'il luy infpire, l'on ne fauroit representer l'un qu'on ne fafle en même temps le portrait de l'autre.

C'est par cette raison, MONSEI

* 4

GNEUR,

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