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donne, quoique l'ufage & les réflexions puiffent la perfectionner. Il est des perfonnes nées avec un esprit fi faux ou fi étroit, qu'il feroit dangereux, quelque droiture de cœur qu'on remarque en elles, de leur confier des détails de quelque conféquence. Avec de bonnes intentions, elles fe trompent ordinairement dans le choix des moyens ; & il ne faut pas croire que ce foit une faute légère. Elle attaque les premiers principes du gouvernement, foit par le mépris qu'elle attire à ceux qui gouvernent, foit par les maux qu'elle caufe, au lieu du bien qu'ils vouloient procurer.

C'est beaucoup pour un homme en place d'avoir gagné l'eftime & la confiance de fes

inférieurs. Prefque toutes les difficultés font applanies devant lui, lorfque fes démarches font précédées de la haute opinion que l'on a de la folidité de fon jugement & de l'étendue de fes lumières. On est perfuadé qu'avant de fe déterminer, il a prévû toutes les fuites, il a pefé le pour & le contre, & qu'il n'a pris fon parti qu'avec une pleine & entière connoiffance. Dans cette perfuafion qui peut blamer fa conduite & quelque chofe qu'il exige que peut-on lui refufer? Mais fi l'on s'apperçoit au contraire que fes vûes font courtes, fon efprit rempli de travers & de faux préjugés, on le méprife comme un homme incapable de gouverner, & ce mépris commence par fes inférieurs,

qui s'apperçoivent les premiers de fon incapacité.

Voilà d'abord un mal réel & un mal très-confidérable; l'aviliffement du fupérieur, & par une fuite néceffaire l'affoibliffement de l'autorité. Mais c'est peu de chofe en comparaison des autres maux que la petiteffe & la fauffeté de l'efprit produifent dans le gouvernement. La douceur & la condefcendance font elles néceffaires? Un efprit faux emploie la févérité, qui aigrit les cœurs, & envenime une plaie qui pouvoit être guérie par d'autres remèdes. Faut-il ufer de rigueur & montrer de la fermeté ? C'est alors qu'il met en œuvre l'indulgence, qui n'eft plus, étant déplacée, qu'une molle & pernicieufe foibleffe. Convient-il

de tempérer la févérité par la douceur? Un fi fage tempérament eft pour lui un mystère incompréhensible; & comme un efprit faux eft toûjours extrême, il fe jette dans l'un ou l'autre de ces deux excès. Ses refus ou fes graces, fes châtimens ou fes récompenfes, font injuftes, parce qu'en aimant la vertu & en haïffant le vice, il fe laiffe éblouir par les moindres lueurs, qui lui déguisent les objets, & confondent à fes yeux l'apparence avec la réalité.

Un efprit de cette trempe auroit plus befoin qu'un autre de confeil. Mais ou il ne confulte point par une présomption qui accompagne ordinairement la fauffeté de l'efprit, ou il ne fait pas des confeils qu'il prend,

l'ufage qu'il devroit en faire. Car un homme en place doit écouter les avis; mais il eft fort à plaindre, s'il ne fait pas diftinguer ceux qui méritent d'être fuivis. C'eft une fcience, dont un efprit faux eft dépourvû. Les meilleurs confeils ne font pas ceux qui font fur lui le plus d'impreffion. Il préfere les mauvais, comme plus affortis à fa manière de penfer. Suppofons même quil ait heureufement placé fa confiance. Combien d'occafions où un fupérieur doit paroître, doit parler, doit agir par lui-même; où il eft prefque également dangereux de ne pas prendre fon parti fur le champ, ou de le prendre mal? Il n'eft pas temps alors de chercher des confeils, ou de fe fubftituer des

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