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véritable ufage de l'éloquence. Ils favoient l'un & l'autre que l'art devient fufpect, & dèslors inutile, quand il fe montre avec affectation; & qu'il n'eft réellement admirable, que lorfqu'il fe rapproche tellement de la nature, qu'on peut le confondre avec elle. Ils n'avoient garde d'avilir le talent de la parole, en ne l'employant qu'à fatisfaire une vaine curiofité & ils auroient crû trahir un devoir effentiel de leur miniftère, s'ils euffent plus pensé à faire valoir leur efprit que la caufe qu'ils foûtenoient.

On me répondra qu'en paroiffant ainfi renoncer à l'admiration publique, ils ne l'obtenoient que plus fûrement. & qu'ils connoiffoient bien la route qui devoit les conduire

loin

au terme qu'ils defiroient. J'en conviens, & j'ajoûte que la dévotion inspire des vûes plus faintes à l'Orateur qu'elle fait parler. Mais les motifs fupérieurs du chriftianifme de nuire à fon éloquence, lui donnent une perfection qu'elle n'auroit pas. Si dans une caufe purement humaine, il faut être vivement pénétré des fentimens qu'on veut communiquer à fes auditeurs; s'il faut s'oublier & fe faire, en quelque forte, oublier foi-même , pour rappeler tous les efprits à l'objet unique qu'on leur préfente, combien cette difpofition eftelle plus néceffaire en plaidant la caufe de Dieu & celle de fon évangile ? C'est alors qu'un Orateur doit être touché & convaincu le premier, pour

convaincre & pour toucher les hommes. Ses expreffions n'en feront que plus intéreffantes, lorfqu'elles couleront de fource; fes preuves n'en feront que plus folides, après avoir été long-temps & profondément méditées; & les figures qu'il emploiera dans fes difcours, n'en feront que plus vives ou plus pathétiques, fi elles font des tranfports de fon zèle, & non des jeux de fon imagina

tion.

Il reste encore une difficulté. Cet art, m'objectera-t-on, que vous admettez dans l'éloquence eft caché, mais il est réel. C'est une imitation de la belle nature, mais le fruit d'un long & pénible travail. Que n'ont pas fait ces deux Orateurs célèbres que vous venez de citer,

pour développer leurs talens, ou pour furmonter les obftacles qu'ils trouvoient en eux-mêmes à la perfection de l'éloquence? Quels efforts pour exceller dans le gefte & dans la prononciation! quelle ardeur à prendre les leçons des meilleurs maîtres de leur temps, & à étudier les grands modelles qui les avoient précédés! quelle application à remplir leur efprit de toutes les connoiffances néceffaires à un Orateur ! quelles fueurs enfin & quelles veilles dans la compofition de ces harangues qui devoient être fi décifives pour leurs cliens ou pour la république ! Or la dévotion peutelle fe réfoudre à mettre tant d'art dans fes difcours? peutelle employer tant de moyens humains, lorfqu'elle attend tout

du Saint Efprit? Plus le piège qu'on tend aux auditeurs dans les beautés nobles & dans les graces naïves de l'éloquence, eft adroit & bien préparé, moins il eft conforme aux vûes de la dévotion. Elle ne prétend point fafciner les hommes, ni devoir au fecours de l'éloquence le fuccès de fes prédications. Elle leur expofe la vérité, non feulement fans fard, mais fans aucune parure, perfuadée que la vérité, furtout celle qui eft furnaturelle & révélée, n'a befoin que d'elle-même pour entrer dans les cœurs, & qu'ils feroient indignes de la recevoir, s'ils exigeoient qu'on la leur préfentât avec des agrémens qui lui font étrangers.

Ici nos adversaires traveftiffent la dévotion, pour la rendre incompatible

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