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poëme lyrique, Rouffeau convient lui-même * que s'il a jamais fenti quelque étincelle de ce feu qui échauffe les Poëtes, c'eft en travaillant à fes odes facrées. Elles furpaffent en effet fes autres ouvrages dans le même genre, & après cela il ne faut plus demander fi elles font au deffus des meilleures odes que nous ayons dans notre langue. Quelle harmonie auffi & quelle nobleffe dans les chœurs d'Efther & d'Athalie, qui ne font prefque, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, que des centons de l'Écriture! Il ne s'agit point d'examiner quels étoient les fentimens de nos Poëtes en imitant avec tant de fuccès les plus beaux endroits des livres

* Voyez la Préface de fes Oeuvres.

faints. Ils n'ont été après tout que des interprètes fort inférieurs, de leur propre aveu, à leurs originaux; & qui peut douter que les Auteurs facrés dont ils ont emprunté des idées & des expreffions fi magnifiques, ne fuffent remplis du Saint Efprit, qui parloit par leur bouche? Qui oferoit affurer qu'avec le génie de Racine & de Rouffeau, fans marquer ici les différences qui les diftinguent, & fans pénétrer plus avant dans leurs difpofitions. perfonnelles, qui oferoit, disje, affurer qu'avec leur génie & toute la dévotion qu'on voudra fuppofer, on n'eût pû chanter du moins auffi dignement qu'eux les grandeurs & les bienfaits de Dieu ?

Si la dévotion a sû s'élever

jufqu'à la hauteur de l'ode, elle pourroit également atteindre la majefté de l'épopée. Regarderoit-on comme un motif qui dût la détourner de cette entreprise le merveilleux néceffaire au poëme épique, foit pour exciter l'admiration, foit pour former le noeud de l'action principale, & amener enfin le dénouement? Ce merveilleux, qui eft l'ame de l'épopée, ne peut s'exécuter que par le ministère des Dieux d'Homère & de Virgile, ou par l'opération du vrai Dieu, & l'intervention de tous les êtres dont le Chriftianifme reconnoît l'existence ou la poffibilité. Def préaux dans fon Art poëtique s'eft moqué du fcrupule qui bannit de la poëfie les noms & les emplois des Divinités

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payennes. Mais M. Boffuet * juge plus compétent fur une queftion qui doit être décidée par des principes fupérieurs aux règles de la poëtique, M. Boffuet a penfé autrement, & une dévotion folide & éclairée doit foufcrire à la décifion de ce favant Prélat, que perfonne n'accufera d'avoir été infenfible aux véritables beautés de la poëfie. Un Poëte chrétien ne doit donc mettre en œuvre d'autre merveilleux que celui qui peut fe concilier avec les dogmes de fa religion. Si cet affujétiffement eft contraire à la nature de l'épopée, s'il refferre dans des bornes trop étroites le génie du Poëte, s'il

* Voyez le Traité des Etudes de M. Rollin, T. I. de la Poëfie, ch.1. art.4.

lui défend enfin toutes les fictions dont il pourroit embellir fon poëme, c'est ce qu'on peut voir approfondi dans une excellente differtation que l'Académie de Montauban a fait imprimer parmi les pièces de fon Recueil de l'année 1750. M. de Grandval, auteur de cette differtation, démontre avec évidence que l'ufage des machines dans les poëmes dont les Héros font chrétiens, eft conforme à la doctrine du Chriftianifme, & que la perfection de l'épopée peut fe trouver dans des ouvrages de cette espèce, où Dieu paroît dans tout l'éclat de fa gloire & de fa puiffance, où les génies propices ou malfaisans font introduits, où les êtres moraux font perfonnifiés, & où l'on fait mou

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