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Et dans le comique, comme dans tous les genres, ce ne font pas les talens de l'efprit qui lui déplaifent, ce font les défordres & les égaremens de l'efprit.

Ce principe général nous dif penfe d'un plus long détail fur la poëfie. Nous ne pourrions que le répéter à l'égard de l'élégie, de l'églogue, de la fable, de l'épigramme, dont la dévotion adopte les beautés, & dont elle ne rejette que les abus.

La fatyre, qui a rendu fi célèbre le nom de quelques Poëtes, mérite cependant un examen particulier. De quel œil la devotion peut-elle regarder ce genre de poëfie? Il n'eft pas queftion de la fatyre qui noircit les mœurs & attaque la probité des perfonnes.

Nous l'avons déjà réprouvée en parlant de la comédie, & l'on ne s'attend pas que la dévotion tolère des ouvrages que les loix civiles condamnent, & que les Magiftrats puniffent. Ceux qui ont entrepris, à l'exemple de Boileau, la défense de la fatyre, n'ont voulu justifier que celle qui se borne à critiquer des ouvrages & des auteurs. Elle eft effectivement moins criminelle & moins odieufe que la fatyre perfonnelle, & il y a eu fouvent de l'injuftice à confondre l'une avec l'autre pour trouver le moyen de perdre ou de réduire au filence des cenfeurs importuns. La fociété, intéressée à la réputation des citoyens confidérés comme tels, n'a pas le même intérêt à la réputa

tion littéraire des auteurs. Elle peut au contraire fe réjouir de voir le goût fe perfectionner par le difcernement des bons & des mauvais écrits. La fatyre, telle que Defpréaux l'a mife en ufage, n'eft donc pas condamnable au tribunal des puiffances féculières. Mais eftelle innocente au tribunal de la confcience, & felon les principes de la morale chrétienne? M. Arnauld * l'a foûtenu, & Boileau s'eft glorifié de son suffrage. Mais ce fameux Docteur écrivoit lui-même avec trop d'acreté, pour défapprouver le ftyle mordant & cauftique, &

*

Voyez la Lettre de M. Arnauld à M. Perrault, imprimée dans les éditions de Boileau commenté par M. Broffette.

fon autorité ne nous perfuadera pas que l'amertume du poëme fatyrique foit conforme à l'efprit de l'Évangile. Toute fatyre, quelque mitigée qu'elle foit, nomme ceux qu'elle attaque, ou les défigne par des traits qui ne permettent pas de les méconnoître. Elle veut les couvrir de confufion, en les immolant à la rifée publique. Ces deux caractères font effentiels à la fatyre, & conviennent en effet aux ouvrages de Boileau. Des railleries piquantes, qui laiffent dans le cœur d'un Écrivain outragé la douleur, le reffentiment, & quelquefois le désespoir, s'accordent-elles avec la charité chrétienne? Notre religion nous apprend-elle à parler un langage infultant & moqueur? &

s'il eft des cas extrêmement rares où elle l'autorife, eft-ce pour un intérêt auffi léger, dans les vûes du Chriftianifme, que celui de la littérature? Ií vaudroit mieux fans doute laiffer triompher le mauvais goût, que de s'oppofer à fes progrès par des fatyres qui excitent les haines les plus violentes. C'est ainfi que penfe la véritable dévotion, quoiqu'elle approuve d'ailleurs une critique fage & judicieufe qui fait menager, en cenfurant les écrits, la délicateffe des Écrivains. La malignité fe rira de ces menagemens qui lui paroîtront fuperflus. Le libertinage & l'impiété fe plaindront encore de la gêne où l'on tient l'imagination des Poëtes, en banniffant de la poëfie tout ce qui peut donner la moindre

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