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» Je vis à force de lire qu'il y avoit de beaux Livres fur » ces deux fciences en Latin : J'achetai un Dictionaire, ¿ » j'appris le Latin. J'appris auffi qu'il y avoit de beaux Li»vres de même espéce en François : J'achetai un Dictio» & naire, j'appris le François. Voilà, Monfeigneur, » tout ce que j'ai fait, il me femble qu'on peut tout apprendre quand on fait les vingt-quatre lettres de Alphabet.

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Ce recit charma Mylord Duc. Il tira ce genie merveilleux de l'obfcurité; & il le pourvut d'un emploi qui lui laiffe tout le tems de s'appliquer aux Sciences. Il découvrit en lui le même génie pour la Mufique, pour la Peinture, pour l'Architecture, pour toutes les fciences qui dépendent du calcul & des proportions.

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J'ai vu le fieur Stone. C'eft un homme d'une fimplicité admirable. Il fçait à préfent qu'il fçait : mais il n'en eft pas enflé. Il eft poffedé d'un amour pur & défintereffé pour la Géometrie. Il ne fe foucie pas de paffer pour Géometre. Le bel efprit & la vanité n'ont aucune part aux travaux infinis qu'il fubit pour exceller dans ce genre. Il méprise auffi la fortune, & m'a follicité vingt fois de prier Mylord de lui donner un moindre emploi, qui ne " valloit que la moitié de celui qu'il a, afin d'être plus folitaire, & moins diftrait de fes études favorites. Il découvre quelquefois, par des méthodes qui lui font propres, les mêmes verités que » d'autres ont déja trouvées. Il eft charmé de voir "qu'il n'en eft pas l'inventeur, & que les hommes » ont fait plus de progrès qu'il ne croioit. Loin d'ê

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» tre plagiaire, il attribue les folutions ingénieufes » & admirables, qu'il donne de certains problêmes, » aux indices qu'il en trouve dans les autres, quoiqu'elles n'en découlent que par des conféquences fort éloignées, &c. »

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Sur cet expofé auffi naïf qu'élegant, on peut croi re que l'illuftre Auteur de l'Analyse des Infiniment Petits, ne dedaigneroit pas d'avoir pour continua

teur de fon Ouvrage, au défaut de M. Leibnis, un Géometre du genie & de la capacité de M. Stone, qui a d'autant mieux rempli le plan général de l'Ouvrage, & les premieres vûës de l'Auteur, qu'il n'a pas été plus que lui fervilement Géometre, & homme d'une feule étude & d'une fcience unique.

Car, fitoutes les sciences fe tiennent par la main, & ont befoin les unes des autres pour fe perfectioner & se développer, la Géometrie plus que toute autre, eft une science féche & roide, qui ne fe manie point elle-même, & ne fçauroit fe retourner fans le fecours d'un peu de Litterature, de Logique, & même de Rhetorique, qui eft une Logique ornée. Comment parler Géometrie, en effet, fi on ne fçais pas parler ? Et comment écrire fur quoique ce soit, fi on ne fçait pas écrire ?

Le Calculeft une belle & bonne chofe fans doute, & il a fallu autant de genie pour l'inventer & pour le perfectioner, que pour aucune autre partie de la Géometrie. C'est une partie de la Géometrie en effet, & une troifiéme partie : Car cette fcience en a trois bien décidées, calcul, analogie & mesure dont les deux premieres font un moyen pour arriver à la

troifiéme. Le calcul eft une partie utile, neceffaire, indispensable même, au moins dans la pratique. Dans la théorie même il abrege l'expreffion des penfées, il en donne les refultats : il foulage fur-tout la mémoire & le génie. C'eft même une forte de mémoire locale, & un fupplément de génie.

Et par-là même il est admirable pour les commençans, qui ne font pas encore capables d'une forte attention, & peut, étant bien ménagé, beaucoup contribuer à leur donner cette attention, & à les accoutumer à penser. Il est peu d'efprits novices par exemple, qui fans calcul puiffent franchir le fecond Livre d'Euclide, ou même la 47° propofition de fon premier Livre, & avec ce fecours c'est tout ce qu'Euclide à de plus facile.

Le calcul eft bon pour toutes les extremités d'efprits & de génies. Il fait des merveilles entre les mains d'un genie inventeur qui travaille de tête, & qui embraffant plufieurs idées en même-tems, est foulagé d'en confier quelques-unes à des symboles abregés & inarticulés qui ne lui difent mot, & de replier de moment en moment le fil d'un trop long raisonnement, en prenant les refultats & comme des fommes ou des produits de les opérations.

En un mot, outre la pratique qui ne peut s'en paffer, le calcul est necessaire à tous ceux qui ne fçavent pas, ou qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas beaucoup penfer. C'eft une efpece de machine, ou de Cric géometrique qui etaye l'efprit, en lui donnant un point fixe qui lui aide à s'élever plus haut fans trop d'effort ni de contention.

Auffi n'a t-on jamais douté que les Anciens, les Appollonius & les Archimedes n'euffent leur Analyse & leur calcul, dont on trouve en effet chez eux quelques veftiges, & pour le moins les folides fondemens dès le fecond Livre d'Euclide qui n'eft qu'un calcul enveloppé. Or ce n'eft pas pour honorer beaucoup les Anciens qu'on leur attribuë du calcul. On croiroit au contraire les trop relever au-dessus de la nature humaine, que de les exempter de ce secours. Plus on leur prête de connoiffance & d'usage du calcul, plus on prétend leur dérober de force de génie. Ils étoient hommes fans doute comme les

autres.

Le grand avantage du calcul eft, lorfqu'on a fait une découverte, pour en faifir les branches, les resultats, les corollaires; pour en faire les applications, en détailler les divers cas; pour la rendre fenfible par des exemples, en épuifer toutes les veines: pour l'élever même plus haut fans trop guinder le raisonnement, l'étendre fans verbiage, la géneraliser fans trop d'abstraction. Et c'est-là que les nouveaux calculs, l'Analyse des Infiniment Petits, le calcul differentiel de M. de l'Hôpital, le calcul integral de M. Stone triomphent, brillent, & paroiffent dans tout leur beau. Soyons équitables, formons-nous des idées juftes de toutes chofes, & ne parlons de la Géometrie que fuivant les loix fcrupuleuses de la plus exacte verité. Mefurons, pefons, comptons, évaluons toutes chofes au plus jufte.

Lorfque par les conditions heureusement combinées d'un problême élevé, on a conftaté la nature

Géometrique d'une courbe, & que l'Analyse Cartefienne venant au fecours d'un génie épuisé par un effort de raisonnement & d'invention, en a renfermé les proprietés caracteristiques dans une équation, on acheve par les formules du calcul differentiel d'en déterminer à l'aide des fous-tangentes & des fous-perpendiculaires tous les points de contour, les inflexions, les nouds, les plis & les replis les plus tortueux, l'extension en un mot & le développement entier ; & tout de fuite on quarre, on cube, on reЄtifie, on mesure par le calcul integral, & on épuise la mine ouverte par le génie.

Car, après avoir rendu de bonne foi au calcul la justice qui lui est dûë, la même équité, la même bonne foi, le même efprit de verité Géometrique exige qu'on reconnoiffe, que c'est le génie enfin qui dans tout genre de fciences & d'opérations d'efprit, fait les découvertes & les perfectionne : & que c'eft outrer les choses, faire tort à fon jugement, impofer à celui des autres, fermer la porte aux découvertes, & nuire infiniment au progrès de la fcience, que de donner le supplément du génie pour le génie même, le moyen pour la fin, & la troifiéme partie de la Géometrie pour le corps complet de la Géometrie, comme on ne l'a que trop fait dans ce dernier fiecle.

Il eft vrai que le calcul y a pris de merveilleux accroiffemens, & y eft monté peut être aussi haut qu'il puiffe aller ce qu'on ne peut pas dire de la Géometrie en général qui eft infinie dans fon étenduë, au lieu que ces progrès mêmes du calcul, prouvent qu'il a comme atteint fes dernieres bornes.

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