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Plufieurs circonstances ont contribué au grand éclat des nouveaux calculs, & à l'efpece d'ébloüiffement qui a faifi les Géometres en leur faveur : leur grande perfection n'a peut-être pas cependant été la principale caufe de cette efpece d'entousiasme ou d'extafe. Le calcul s'étoit perfectionné comme tout le reste, fucceffivement, lentement, de proche en proche, & par plusieurs mains.

Les Anciens en avoient pofé les fondemens Géometriques. Diophante & ses Commentateurs, fur-tout le célebre Bachet de Meziriac l'avoient développé de Géometrique en Arithmetique, & d'Arithmetique en Algebrique, avec quelques femences d'Analyse. Mais Viete avoit pouffé beaucoup plus loin l'Analyfe dont il eft comme l'Auteur: & tout de fuite Harriot, Ougtred, & Defcartes plus que tout autre, l'avoient monté à la grande Analyse qui ne pût déformais monter plus haut fans devenir tout-à-fait tranfcendante..

Mais à force de s'éloigner de fon origine Géometrique, le calcul devenoit inutile pour la Géometrie, dégenerant en pures abstractions, en subtilités, en pointilleries, en mysteres, en chymeres, en visions; si Descartes par un trait de haute intelligence, fentant que toutes les extremités fe touchent, & que la fin rappelle le commencement dans le fyftême circulaire qui regne par tout, n'eût comme replié ce calcul Analytique fur lui-même pour le ramener au Géometrique d'où il étoit parti, & ne nous eût appris à appliquer l'Algebre à la Géo

metrie,

Ce fut ce repliment important & ce retour du calcul à fon origine qui le mit en état de s'élever encore plus haut; & l'on pourroit prouver, que fans cela le calcul prenoit un train d'abstraction qui ne l'eût fait aboutir qu'à une tranfcendance purement méthaphyfique, fans aucune utilité pour aucune fcience folide.

Mais en l'affociant à la Géometrie on lui donna un contrepoids qui l'empêcha de s'évaporer on le rendit vrai & réel; & la transcendance où il s'éleva, ne le mit point hors des vrayes bornes de la Géometrie, elle le contint même dans celles de la plus faine Physique, malgré l'infini qui devint fon objet, & même parce que l'infini devint fon objet.

On fut redevable de cette tranfcendance à deux grands hommes, MM. Leibnis & Newton, un peu prevenus tous deux, celui-ci par son Maître le celebre Barrow, celui-là par M. de Fermat, fans parler de MM. Wallis, Huguens, Bernoulli, Cheyne, de l'Hôpital, Varignon, Stirling, Tfchirnaus, &c. & divers autres qui les ont merveilleufement fecondés. Car voilà à peuprès l'Hiftoire abregée de tout le calcul.

Mais cette tranfcendance même, & le grand nom de Calcul Infinitefimal qui ont consommé l'ébloüissement, n'en ont pas cependant été la premiere ni la principale caufe. Ce fut d'abord le grand éclat du fyftême Phyfique de Descartes qui, rejailliffant fur fon Analyfe, qu'on auroit peut-être fans cela raifonnablement eftimée, offusqua tous les yeux, & leur fit paroître le calcul Algebrique comme le grand complement de la Géometrie.

L'ombre que l'envie & l'ignorance avoient jettée fur la premiere ébauche du tableau de ce grand homme, ne fervit pas peu dans la fuite à le rehauffer. On commença par combattre cette Physique & cette Analyse avec une espece de fureur; on les adopta bientôt avec une aveugle fuperftition, & après avoir comme exilé cet Auteur de fa Patrie & l'avoir forcé de mourir dans une Terre Etrangere, on lui décerna des ftatuës.

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Descartes qui eft mort à Stokolm en Suede le » II Février 1650, difoit le docte Naudé pag. 125, du Naudæana étoit un homme de mauvaise mine, & qui n'avoit rien d'agréable. S'il a laiffé quelque chofe à imprimer, ce fera M. Piques qui » en aura le foin: il avoit bien des vifions dans fa tête qui font mortes auffi-bien que lui.

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Naudé, comme on voit, avoit affez de mémoires pour y loger les fiecles paffés, car c'étoit un érudit dans les formes; mais il avoit peu de cette faculté imaginatrice, qui prévoit les fiecles à venir. Quelques années plus tard, il auroit été Cartefien & demi. Il étoit de ces beaux efprits qui marchent les premiers avec assurance à la tête des Anciens, & les derniers à la queue des Modernes. Defcartes même en mourant ne lui avoit pas ouvert les yeux, la fauffe fcience ayant droit feule de furvivre à l'envie.

Au défaut de Naudé affez d'autres emboucherent la Trompette, & pour reparer, quoiqu'un peu tard, les excès de mépris & d'injuftice, dont on avoit accueilli la perfonne même de Descartes, on prodigua à fon nom les mêmes excès d'éloges & de défe

rence,

rence. C'étoit peu de lui décerner des statuës: on fit main-basse sur celles des anciens Philosophes & des modernes qui en avoient mérité ou qui en méritoient, afin que la fienne s'élevât au dessus de tout, & que rien ne partageât fa gloire.

Et, comme felon l'oracle, à celui qui a on donne ce qu'il n'a pas, & qu'à celui qui n'a pas on ôte même ce qu'il a, on ne crut pas après avoir placé Descartes au-deffus d'Ariftote, devoir l'abaisser au niveau d'Archimede, & fa préeminence dans la Philofophie décida de celle dans les Mathematiques. L'ébloüiffement étoit tel,que les efprits les plus moderés & les plus équitables étoient comme entraînés par le torrent, & forcés, par un principe même de droiture, d'encenfer l'Idole du fiecle.

par

Les Anciens font pourtant de grands hommes, difoit une perfonne que fa naiffance doit rendre exempte de tout foupçon de baffeffe à cet égard, mais que le préjugé commun dominoit; les Anciens font des hommes admirables, mais admirables ce feul endroit que, quoiqu'en dife Viete, ils ne fe font point égarés. Car du reffe,» ils n'ont pas été loin, & ils ont marché par de longs circuits.... Ils n'ont touché qu'à fort peu de courbes, ils n'y ont même touché que légerement.... Ce ne font par tout que propofitions particulieres & fans ordre, qui ne font appercevoir aucune methode reguliere & fuivie. » Voilà pour les Anciens.

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Pour ce qui eft des Géometres du moyen âge, depuis le renouvellement des sciences jufqu'à Defcartes, on voit affez que tout ce qu'ils ont pû faire

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enchaîner les fiecles anciens avec les modernes, pour & mettre ceux-ci par le moyen de ceux-là en état d'aller plus loin, a été de reprendre la premiere trame, de foüiller dans les bibliotheques, de deterrer des lambeaux de manufcrits, de les déchifrer, de les confronter, de les corriger les uns par les autres, de les fuppléer, de les éclaircir, de les traduire, de les commenter, de les imprimer.

Tout cela a-t-il pû même s'executer fans beaucoup de génie, & fans enfanter de vrayes & de grandes découvertes, dont l'Imprimerie, les taches du Soleil, les lunettes, &c. pouvoient immortaliser ces fiecles laborieux & bien-faifans auprès des beaux Esprits, autant qu'auprès des honnêtes gens qui font touchés du bien public?

N'en jugeât-on même que par un certain refultat de renommée, les Mathematiques ne doiventelles rien aux Galilées, aux Torricellis, aux Keplers, aux Cavallieris, aux Scheiners, aux Guldins, aux Clavius, aux Midorges, aux Gregoires de faint Vincent, aux Saraffas, aux Lalouberes, aux Wallis, &c. pour ne daigner pas même en dire un mot de mépris dans une Hiftoire des découvertes ?

Ils n'ont fans doute rien fait pour le calcul, & le calcul fait tout déformais en Mathematique. Tous ces Auteurs font de grands hommes en bloc, ¿ fans doute d'auffi grands hommes que les Anciens, mais qui en font tous demeurés-là, là où les anciens en étoient demeurés;parce que » par une admiration fuperstitieuse pour leurs ouvrages, ils fe font contentés de les » lire & de les commenter, fans se permettre d'au

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