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devenant le tout, le tout fut reduit à rien, & il n'y eut plus enfin d'Empire Romain.

C'est le train que prend la Géometrie depuis qu'elle eft métamorphofée en calcul Arabe & prefque Ostrogot, & que le tiers y eft devenu aussi le tout. La tête prefque delivrée du foin de penser, devient parefleufe, & l'efprit laiffe aller les doits: on fe repose de tout fur des formules: on fe contente de démonstrations à pofteriori,qui ne font juger du vrai des chofes que par l'évenement, & non par le principe interieur & par l'idée. Exige-t-on même. des démonstrations d'aucune espece ?

Au défaut de l'évidence on le paye fort bien de la certitude, comme le Quinze-vingt qui fubftituë le toucher au coup d'œil, mais malgré lui. La certitude est même remplacée par l'induction, c'est-à-dire, encore le toucher précis par un tatonnement vague. Les exemples fervent de preuves, l'explication de raifonnement. Les principes les plus fondamentaux paffent de bouche en bouche, & de Livre en Livre par fimple voye de tradition.

Ainfi, loin que Descartes ait été l'époque, au moins en Géometrie, de l'ouverture des yeux & des efprits, il eft précisement arrivé fans que ce grand homme en foit pourtant responsable, & même parce qu'il étoit grand homme & qu'il avoit eu luimême les yeux & l'efprit très-ouverts, il est arrivé ce qui arrive après tous les grands hommes, après les inventeurs, après les peres qui ont amaffé du bien, après les Rois mêmes qui ont agrandi leurs Etats, qu'on a joui de fes tréfors & de ceux de quel

que

ques autres dont nous allons parler, fans se mettre en peine de les augmenter. La Géometrie s'eft trouvée affez riche dans le dernier fiecle pour qu'on s'amufât à la remanier par des formules & des induЄtions. Un riche heritier passe sa vie à compter fes thréfors & à les recueillir.

On n'outre rien ici : on prie les Géometres de ne fe point roidir là-deffus: on ne veut offenfer perfonne on veut fimplement dire une verité utile, & la rendre bien fenfible, afin d'ouvrir les yeux fur un abus qui perdra enfin une fi belle science fi on perfifte de s'y opiniâtrer. Les Géometres modernes euxmêmes ne conviennent-ils pas tous les jours de ces deux ou trois points capitaux ?

1°. Que le calcul foulage l'efprit en le déchargeant du foin de penser : & peuvent-ils nier qu'il ne faille penser pour perfectionner veritablement une fcience auffi profonde que l'eft la Géometrie ? 2°. Ne conviennent-ils pas que les démonftrations des nouveaux calculs ne font jamais qu'à pofteriori? 3o. Et, ce qui devroit tout-à-fait deffiller les yeux en faveur de la Géometrie ancienne, n'ont-ils pas mille fois remarqué de bonne foi que dans les conclufions de la Géometrie moderne, l'efprit aime à se retrouver avec celles de l'ancienne Géometrie,& qu'il n'y a que l'uniformité du but auquel ces deuxGéometries abou tiffent,qui raffure tout-à-fait fur la fufpenfion & l'incertitude même où laiffent les nouveaux calculs, où laisse même en général toute forte de calcul, fur-tout l'Algebrique qui n'a rien de lumineux? L'ingenieux M. de Fontenelle, qui eft de tous les

d

Auteurs modernes un de ceux qui ont le plus & le mieux philofophé fur la nature des nouveaux calculs, convient partout, dans fon élegante Histoire de l'Académie, & dans fes nouveaux Elemens de la Géometrie de l'Infini, du défaut que nous remarquons ici dans ces calculs. Il est arrivé dans la haute Géometrie, dit-il, une chofe bizarre, la certitude a nui à la clarté. Il ajoute dans la Préface de fes Elemens. Le calcul n'eft gueres en Géometrie que ce qu'est l'experience en Phyfique, & toutes les vérités produites par le calcul, on les pourroit traiter de vérités d'experience.

Ce célebre Auteur attribue cette incertitude ou ce défaut de clarté à l'Infini: mais fans Infini fa propofition eft toujours vraie, que le calcul n'a qu'une certitude d'experience & comme d'évenement. L'Infini peut bien augmenter l'incertitude & l'obscurité. Mais il eft vrai-semblable que, fi cet Infini étoit manié felon la methode des Anciens, géometriquement & fans calcul, par principes & non par regles, comme l'ont fait M. Nevvton dans fes principes, & Grégoire de S. Vincent dans fon grand ouvrage géometrique, l'Infini n'auroit au moins que fes propres nuages ou n'en auroit point du tout, n'en ayant jamais eu dans ces deux Auteurs, ni dans Archimede qui a travaillé fur le même fonds, mais géometriquement, par idée & par raisonnement.

Nous n'avons encore touché que la premiere & dans le fond la moindre caufe de l'éblouiffement des modernes en faveur de leurs calculs. Cet éblouiffement n'auroit été ni fi durable, ni fi univerfel, s'il n'avoit été fondé sur quelque chofe de plus réel, de

plus fubftantiel qu'une méthode, une maniere, un mode, & une mode par conféquent, dont on feroit bien-tôt revenu comme on revient de toutes les modes. Voici le fait historique.

Les circonftances, où le calcul reçut fa perfection, furent très-favorables pour lui donner un air brillant de grandes découvertes géometriques. Car précisément dans le même tems que Defcartes donnoit fon Analyse, Gregoire de S. Vincent qui vivoit avant & qui a vêcu après Descartes, enrichiffoit la Géometrie d'un nombre inconcevable de vérités nouvelles, de vûës profondes, de recherches étenduës, de principes féconds, de methodes même génerales & très-regulieres.

Et comme toute, ou prefque toute la Géometrie, fur-tout la plus élevée,peut fe mettre en calcul, parce qu'après tout le calcul n'eft qu'une maniere, une mode, un habit, & que ce calcul arrivé à fa perfection ne demandoit qu'à fe réaliser, à s'appliquer à quelque fujet, à fe fignaler même par des fujets illuftres, toute la théorie de Gregoire de S. Vincent fut jettée dans ce moule, paffa par cette filiére, fut revêtuë en un mot de calcul, & fi bien masquée que le renouvellement joint à la nouveauté réelle,fit paroître le calcul comme un Perou inépuifable, dont les premieres veines fembloient en annoncer de fecondes & de troifiémes à l'infini.

Gregoire de S. Vincent étoit un Auteur vafte, profond, original, & par confequent difficile: Il ne fut permisqu'aux Géometres du premier vol d'y puifer. Mais les anciennes découvertes furent un butin

pour tout le monde, & le calcul ne fe refusant à perfonne, il n'y eut plus de Géometre qui ne fût admis à fe fignaler par quelque découverte. Archimede, Appollonius, Euclide, tout fut refondu, & reprit un air de nouveauté par le moyen du calcul.

Ajoutez à cela les fciences Phyfico-Mathematiques anciennes & modernes, les découvertes de Kepler, de Guldin, de Galilée, de Torricelli, & surtout celles du profond & inépuisable Nevvton, qui fans être de calcul, ou même parce qu'elles n'en étoient pas encore, ne sembloient respirer que le calcul, ne demander que du calcul pour être développées & comme reduites en pratique.

Car c'est une réfléxion qui ne paroît rien, & qui eft pourtant finguliere, que la Géometrie moderne eft dans fon propre caractere & par fa forme toute problématique,une Géometrie pratique qui fuppofe par conféquent une Géometrie théorique, d'où elle eft évidemment déduite par voye de corollaire & de réfultat.

La Géometrie ancienne étoit prefque toute théorematique, & les modernes mêmes, dans la paffion qui les animoit de critiquer les Anciens, ont fort blâmé Euclide d'avoir mêlé dans fes Elemens les problêmes avec les théorêmes, c'est-à-dire, la pratique avec la théorie. Il eft donc très-fingulier de voir toute la Géometrie moderne fous une forme problématique. Qu'on ouvre l'Analyfe des Infiniment Petits de M. de l'Hôpital, & de M. Stone; ce n'eft point la faute de ces Auteurs: C'est simplement le stile du calcul & la marque certaine d'une feconde inven

tion.

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