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ton; & nous avons dit nos raifons en faveur de ce prejugé qui est aussi le nôtre.

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Ainfcom applaudit donc à la fageffe que Lipftorp attribuoit à Descartes, de n'avoir jamais tenté l'affaire des quadratures: » Non, dit-il, qu'elles foient impoffibles ou impénetrables à l'efprit humain, mais parce que connoiffant bien les bornes & les limites de fon Algebre, fed quia Algebra fua terminos ac limites probe nofcens, il la jugeoit peu capable de fe méfurer avec un problême fi élevé, illam tam fublimis problematis folutioni imparem videret s » & qu'apparemment il avoit défefperé d'en venir à bout la Géometrie ordinaire, communi autem par Geometria idem perficere fe poffe defperaret.

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Ainscom ajoûte avec raifon qu'il eft furpris que Descartes ayant découvert cette prétendue source d'erreurs dans l'ouvrage géometrique en question, ne l'ait pas publiée ou fait connoître au moins à quelqu'un, & à Lipftorp même qui auroit pû s'en faire honneur, fuppofé que Defcartes jugeât cet honneur trop au deffous de fa gloire. Pour le moins, falloitil charitablement détromper le public, auprès de qui l'autorité de Defcartes, qui eft comme fur-humaine pour les partifans, auroit été d'un grand poids pour le détromper d'un Ouvrage qui, felon l'expreffion de Meibom, tenoit enchaîné tout l'Univers, cum cum ab autoritate Cartefii, quæ apud illos penè fuprà humanam eft, non leve momentum res ea habitura effet.

Cependant Ainscom, fier qu'on n'attaquât un Ouvrage géometrique que par voye d'autorité, &

par

des raisons & des convenances philofophiques, triomphoit & fe confirmoit de plus en plus dans la bonne opinion qu'il avoit de fon Maître & de fes quadratures, dont il paroît plus perfuadé que son Maître même. Philofophicas rationes, dit-il, & nefcio quas congruentias afferre, dum de re Geometricâ pronuntiandum, ineptum planè & abfurdum est.

On peut pourtant un peu excufer Descartes, qui du reste avoit eu la fage difcretion de ne rien hazarder là-dessus dans le public. L'évenement entraîne les fages, & les plus grands Philofophes ont peine à fe défendre de toutes fortes de préjugés populaires. L'efprit de l'homme eft ainfi fait que tout ce qui eft un peu difficile il le traite d'impoffible, & que tout ce que bien des gens ont fouvent tenté fans aucun fuccès, lui paroît une chofe à l'épreuve de toutes les tentatives. La quadrature du cercle eft certainement jusqu'ici au-deffus de tous les efforts qu'on a faits pour y parvenir.

Peut-être n'y a-t-il point eû de grand Géometre depuis Euclide jufqu'à Archimede, & depuis Archimede jufqu'à Gregoire de S. Vincent inclufivement, qui n'ayent travaillé toute leur vie pour la trouver. Depuis ce tems là on y a peut-être un peu moins travaillé en général; on affure pourtant que M. Nevvton s'y eft exercé toute la vie ; & du refte les quadratures en géneral, & la quadrature du cercle en particulier, ont été le grand objet de la nouvelle Géometrie. Il paroît cependant qu'elles ne font pas l'objet propre du calcul, & qu'au moins l'Analyse Cartefienne n'alloit point-là. De foi l'Analyse est

bornée à ce qu'on appelle des Problêmes, Problêmes lineaires, en prenant cette expreffion dans un fens un peu étendu. Defcartes ne pouvoit pas tout faire, & c'étoit beaucoup que de corriger le mauvais goût de fon tems. La Géometrie y étoit dégenerée en un petit calcul Algebrique & en petits problêmes qui n'avoient pour objet que les proprietés abftraites des nombres. Defcartes ramena le calcul à la Géometrie, & aux problêmes géometriques, à determiner des points, à trouver des lignes, à ce qu'on appelle les lieux géometriques & la construction des équations. Ces problêmes par leur fubtilité valent bien peut-être toute autre forte de Géometrie ; mais ce ne font que des problêmes, des moyens & non un but, des moyens même inutiles & frivoles, & qui ceffent d'être des moyens dès qu'on s'y arrête comme à un but ce font des pratiques fpeculatives & idéales, plus difficiles même que les plus fubtiles théories.

Enfin la Géometrie Cartefienne ne paffa jamais cette borne, & peut-être même ne l'aurions-nous point encore paffée, vû l'afcendant que prit d'abord la méthode Cartefienne: mais Gregoire de S. Vincent avoit par trop de découvertes & de nouvelles vûës ouvert la veritable carriere, & montré le vrai but & la vraie Géometrie, qui confiste à mésurer les corps, les furfaces & les lignes, & par conféquent à trouver des quadratures: Car fous ce nom géneral de quadratures on entend la mésure de ces trois fortes d'étenduës.

Descartes donc nourri au calcul, à l'algebre, aux

problêmes, & voyant que tous les efforts qu'on avoit faits pour la quadrature du cercle avoient échoué, ne doutoit pas apparemment qu'elle ne fût impoffible, & s'applaudiffoit comme d'un trait de prudence & de fageffe, de s'être jetté dans un genre de Géometrie qui l'éloignoit peut-être plus qu'il ne penfoit du vrai but.

& com

Cependant le Livre de Gregoire de S. Vincent parut & excita en naissant de grands mouvemens dans les efprits. Le premier jugement de Descartes fut fans doute celui que Lipftorp rapporte, que l'Auteur avoit manqué le but comme les autres; me l'Ouvrage étoit vafte, il crut que fur quelque faux principe Gregoire avoit entaffé bien des erreurs: non-feulement Descartes, mais tout Géometre un peu au fait, fans être même perfuadé de l'impoffibilité, & fur la feule connoiffance de l'extrême difficulté du projet, porte le même jugement de tout nouvel Ouvrage qu'on lui préfente fous le titre de la Quadrature du Cercle.

Etoit-ce la peine de lire un Ouvrage bâci sur un faux principe, aboutiffant à un Paralogisme, & tout femé par conféquent de groffieres erreurs? Descartes vrai-semblablement jetta les yeux fur l'ouvrage géometrique, le parcourut des yeux, mais ne le lut pas. Les trois jours qu'on dit qu'il s'y arrêta, ne font apparemment que pour la forme & pour une certaine bienféance. Avoir lû un ouvrage fi vafte & fi plein en trois jours, n'étoit pour Descartes même que l'avoir effleuré des yeux.

Comme même le principe d'erreur en question

&

n'est qu'en idée, que le courant de l'ouvrage est fort fain, & que s'il y a des erreurs elles font en petit nombre & uniquement dans la conclusion, dans le morceau final des quadratures, c'est-à-dire, dans les trente ou quarante dernieres pages de tout l'ouvrage, il eft clair que pour trouver ces erreurs, il auroit falu parcourir un enchaînement de près de deux mille Propofitions, nouvelles & profondes, heriffées même & difficiles: chofe tout-à-fait impoffible en trois jours, ou même en trois mois, alors fur tout que rien de tout cela n'avoit été remanié ni éclairci : Car aujourd'hui quelqu'un qui fçait un peu les nouveaux calculs, fçait prefque tout fon Gregoire d'avance, & peut le lire facilement en peu de

mois.

Le lire ou le parcourir des yeux pour y reconnoître les chofes qu'il fait déja ! Car il y a raifon de douter, qu'un efprit accoutumé au calcul fût capable non-feulement de la patience, mais même de l'attention & d'une certaine pointe de pénétration, que demande une fuite de raifonnemens diftincts, articulés & bien énoncés par de vrayes fyllabes, de vrais mots, un vrai difcours. Et fur ce pied Descartes lui-même auroit eu peine à fe captiver à lire un ouvrage de pure Géometrie de l'étendue de celuici. Et on peut croire que la perfuafion où il fut d'abord de la quadrature manquée, augmenta en lui la repugnance qu'il avoit à cette lecture, & qu'à fon tour cette repugnance confirma tout-à fait ce cette perfuafion : & qu'ainsi Descartes n'avoit jamais lû ce Livre ni en trois jours ni en mille, lû au moins pour

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