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que les premieres s'apperçoivent affcz facilement, parce que leur découverte ne gêne en aucune maniere nos paffions & qu'au contraire notre amour-propre eft fatisfait de la gloire d'avoir trouvé la vérité: au lieu que dans la recherche des principes qui doivent régler nos actions, les paffions nous croifent continuellement. Elles voudroient qu'il n'y eût de jufte, que ce qui les flatte; d'injufte, que ce qui les contredit: & qu'avons-nous à oppofer à ces paffions, fouvent très-violentes? une raifon foible & dépravée.

Delà les écarts dans lefquels font tombés les hommes qui paroiffoient s'être livrés avec l'ardeur la plus fincere & la plus dégagée d'intérêt personnel, à la recherche des principes d'où dérivent les regles de nos actions. Delà la néceffité d'une lumiere fupérieure, de la révélation en un mot, pour nous donner un corps de regles morales complet & parfait dans toutes fes parties, tel que l'eft la morale de l'Evangile.

En refléchiffant donc fur les regles de nos actions que nous avons le bonheur de connoître, nous voyons que, pour découvrir le principe générateur de ces regles, s'il eft permis d'ufer de cette expreffion, ou dans d'autres termes, les premieres vérités en droit & en morale il faut diftinguer deux claffes de, devoirs auxquels l'homme eft affujéti: les uns envers Dieu, duquel il tient l'être & toutes les facultés. qui l'accompagnent; les autres envers les hommes fes femblables.

L'homme doit à Dieu la foumiffion & la reconnoiffance. La foumiffion abfolue, comme à un être infiniment fupérieur, infiniment puiffant, infiniment fage; la reconnoiffance fans bornes, comme à un être infiniment bon, & de la volonté duquel il tient tout ce qu'il poffede.

Les devoirs de l'homme envers fes femblables, dérivent tous de deux maximes que voici: ne faire à perfonne ce que nous ne voudrions pas que l'on nous fit; faire à chacun ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit.

La premiere de ces deux maximes eft affez développée par les auteurs qui ont traité des fondemens du droit en général, & il ne faut, ce femble, qu'une légere attention pour en fentir la vérité. L'amour que l'homme a de lui-même, est un témoin qu'il ne peut récuser: fi cet amour lui fait trouver injufte telle action qu'on exerce envers

lui, comment croira-t-il l'exercer légitimement envers un autre ? L'autre maxime ne nous femble pas moins véritable. On la trouve moins fréquemment dans les livres; mais elle eft également écrite dans le cœur de l'homme, & elle peut y être lue en écartant le nuage des paffions. Pour en fentir la vérité, il faut d'abord l'entendre exactement telle que nous venons de la poser: nous devons faire à chacun ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit. Ce n'est donc pas la fantaisie arbitraire, la volonté paffagère du moment qui fera l'ame de cette regle: encore moins la volonté mue par une cupidité qui nous porteroit à defirer le bien d'autrui, à l'envier; ce fera une volonté légitime: un desir juste, tel qu'un homme impartial & de fang froid décide que dans la pofition où deux perfonnes fe trouvent, l'une relativement à l'autre, la premiere a jufte raison de défirer de l'autre tel acte en fa faveur.

Dela nous dériverons la néceffité, par exemple, de l'aumône: acte dont le droit comprend fi bien l'obligation, que, dans certaines circonftances, les magiftrats y contraignent, non pas par forme de peine, mais pour faire remplir un jufte devoir. Car qu'eft-ce que l'aumône? Ceft, au moins dans les termes ordinaires, la remise qu'une perfonne fait de ce qui excede les bornes d'un néceffaire déterminé par la raison, à une autre perfonne qui manque de ce même néceffaire déterminé par la même raison. Or qui ofera dire, étant impartial & de fang froid, que ce n'eft pas un defir légitime de la part de celui qui est dans le befoin tel que nous venons de l'expofer, de fouhaiter que celui qui eft dans l'abondance dont nous avons également parlé, lui faffe part de fon fuperflu? Si ce defir eft légitime; fi nous pouvons, avec justice, le concevoir & le former: nous devons donc, pour n'être pas injuftes, pour ne pas ufer d'un poids envers nous, & d'un autre poids envers nos femblables, fatisfaire ce defir formé par notre femblable; faire à autrui ce que nous voudrions légitimement qu'il nous fit.

Ajoutons, en fuivant toujours le même exemple, une feconde réflexion propre à rendre de plus en plus fenfible un principe fur la vérité duquel notre cœur defire qu'il ne rcfte aucun doute. Nous difons que la néceffité de l'aumône dérive des regles premieres de nos actions. Nous n'en difons pas autant de cette bienfaisance généreuse

qui confifte à faire des dons abfolument gratuits, déterminés, non par le befoin de celui à qui l'on donne, mais par l'affection qu'on lui porte. Ces actes de bienfaisance font fort différens de l'aumône, non-seulement en ce qu'ils ne font pas déterminés par un befoin proprement dit, mais auffi en ce que la bienfaifance nous porte quelquefois à nous dépouiller d'une chofe qui nous feroit néceffaire. Nous préférons de donner à la perfonne 'que nous aimons, plutôt que de conferver pour nous-même. La bienfaifance fait plus que l'aumône, & elle fait autre chofe que l'aumône. Il n'y a pas, par cette raison, la même obligation à la bienfaifance dont nous parlons, & qui va jufqu'à s'incommoder foi-même pour fon ami, qu'il y a à l'aumône. Auffi ne voyonsordonner un bienfait, comme nous en voyons

d'arrêts

nous pas
pour
pour prescrire des aumônes.

Mais fi l'on fuppofe que le fait dans lequel confiftera un acte de bienfaisance, doit, d'une part, fatisfaire à un befoin réel de celui qui le reçoit, & de l'autre, ne porter aucun dommage à celui qui l'exerce: l'obligation de l'exercer réellement renaît alors. C'eft ce que dit Cicéron dans fon traité des Devoirs, qu'il existe une obligation réelle de montrer le chemin à celui qui s'égare; de donner de la lumiere à celui qui en demande : parce que de pareils actes, fans porter le plus léger préjudice à celui qui les exerce font néceffaires à celui envers qui on les exerce. Le défir de celui qui fouhaite qu'on les exerce envers lui, n'a rien que de jufte & de légitime. Mais ces actes que quelques perfonnes appellent actes de bienfaisance, nous les appelfons aumône, toutes les fois qu'il y a d'une part befoin réel, d'autre part faculté de donner fans s'incommoder : & nous diftinguons ces deux expreffions pour féparer la dette de ce qui n'est point dette: ne pouvant voir dans l'action d'un homme qui montre le chemin au voyageur égaré, l'exercice d'un bienfait, mais l'acquit d'une dette proprement dite.

Les deux principes que nous avons pofés nous paroiffent tellement féconds, qu'ils ne laiffent rien d'arbitraire dans les actions des hommes : & c'est par là même qu'on doit juger de leur vérité. L'homme étant un être doué de raison, rien n'eft plus contraire à fa nature, que ce qu'exprime le mot fantaisie; il ne peut indiquer qu'un désfordre

actuel dans la difpofition de la volonté. L'homme libre de la contrainte des autres hommes, fait tout ce qu'il veut; mais l'homme libre de la tyrannie des paffions, ne veut que ce qui eft raisonnable. Il s'agiffoit de trouver les premiers principes qu'une raison éclairée lui dicte, & dont les conféquences puffent diriger toutes fes actions. Or nous croyons les avoir indiqués dans ces axiomes: Aimez Dieu, adorez-le & obéiffez-lui; ne faites rien aux hommes de ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fiffent; faites- leur tout ce que vous défireriez légitimement qu'ils vous fiffent. Le premier de ces axiomes ordonnera notre culte & déterminera nos actions les plus fecretes, celles qui paroiffent les plus indifférentes aux autres hommes ; il réglera nos pensées; il modérera nos defirs. Le fecond nous arrêtera toutes les fois que nous nous abftiendrons d'agir; & nous ferons conduits par le troifieme toutes les fois que nous agirons.

Peut-être fera-t-on étonné que nous ne propofions pas ici un troifieme ordre de devoirs relatif à nous-mêmes, & un quatrieme principe, celui de s'aimer d'un amour réglé. Mais, en vérité, eft-ce là le fujet d'un précepte? Et lorsqu'un homme manque à ce que l'amour de foi-même lui dicte, n'eft-il pas plus naturel de dire, qu'il peche cofitre le fens commun, que de dire qu'il peche contre les regles du droit : c'est un fou plutôt qu'un criminel; ne le puniffez pas, empêchez seulement fa folie de jetter la confufion dans la fociété. Si l'amour de nous-mêmes eft le principe d'un grand nombre de nos actions, c'eft comme une force très-puiffante qui nous pouffe, mais non comme une regle qui nous dirige: puifqu'au contraire cet amour a befoin d'être réglé, & il a d'autant plus befoin de regles impérieuses, qu'il est plus violent. Or l'amour de nous-même eft réglé par ces différens principes ou regles premieres dont nous avons parlé; il l'eft par l'amour de Dieu, qui ne fauroit être entier, s'il ne comprend l'obéiffance à fes ordres; il l'eft, par l'obligation de ne point faire ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît; il l'eft par l'obligation de faire tout ce que nous défirerions légitimement que l'on nous fît.

Il existe donc un droit, c'eft-à-dire, un corps de regles qui féparent le jufte de l'injufte, & qui doivent diriger nos actions. Les

bafes de ce droit font des vérités éternelles ; la raison nous en fait fentir le befoin, & nous infpire le defir de les connoître; la révélation nous les expofe clairement, lorfqu'elle ramene tous nos devoirs à l'amour de Dieu: Diliges Dominum Deum ; & à l'amour du prochain : diliges proximum. Amour de Dieu dont l'effet certain eft l'adoration & l'obéiffance; amour du prochain, qui confifte à ne lui rien faire de ce qu'on ne voudroit pas fouffrir; & à lui faire tout ce qu'on voudroit éprouver: Omnia quæcumque vultis ut faciant vobis homines, & vos facite illis,

SII.

Du droit naturel; fes maximes font peu nombreuses, parce qu'elles font très - générales,

Le droit étant l'affemblage des regles des actions humaines, le droit naturel n'est autre chofe que l'affemblage des regles que la nature même de l'homme lui impofe. Il confifte donc effentiellement d'abord, dans ces trois regles principales que nous avons développées au paragraphe précédent, & enfuite dans les conféquences de ces regles. Les traités du droit naturel ne devroient donc être que leur développement, Ainfi l'on feroit voir, par exemple, que le refpect dû aux propriétés eft une loi du droit naturel. Celui qui a labouré un champ, diroit-on, celui qui l'a ensemencé, trouveroit très-mauvais qu'un autre en coupât les bleds, à la veille de la récolte. Delà la propriété, qui n'eft réellement que le droit d'ufer de la chofe dont on peut fe dire propriétaire. Nous ne comprenons pas, dans fa définition, le droit d'abufer & de perdre : ce ne fauroit être un droit, puifque la volonté d'abuser & de perdre ne fauroit être une volonté raifonnable.

D'après ces vues, l'unique différence entre un traité de droit natu rel & la recherche des premiers principes des loix, nous fembleroit ne devoir confifter que dans le développement des principes & l'examen de leurs conféquences immédiates. Notre intention n'étant pas de donner un traité de droit naturel, on ne doit pas s'attendre à trouver ici ce développement; nous en préfenterons un exemple, mais

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