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commun, & que d'ailleurs on les fuppofe fans aucune fubordination de l'un à l'autre, il n'y a point de loi pofitive écrite à laquelle on puiffe dire qu'ils foient foumis l'un envers l'autre. Il ne peut fe former entre eux, que des alliances, des .traités & des conventions.

Mais il fubfifte d'abord pour regle de leurs actions refpectives, ce droit non écrit dont nous avons parlé: le droit naturel, qui les oblige par cela feul qu'ils font hommes. Les regles de ce droit font souvent violées, foit par la barbarie, foit par la politique: mais les enfraindre n'eft pas les anéantir; & elles fubfiftent dans la guerre comme dans la paix; elles confervent leur autorité dans le temps même des plus violentes divifions. Ainfi, après une bataille gagnée, il n'eft point permis de faire du mal à un ennemi qui n'eft plus en état de nuire; ainfi le viol & le meurtre ne font pas plus permis dans une ville prise d'affaut, qu'ils ne le font dans une ville amie. C'est la fureur & la licence effrenée du foldat qui portent à ces actions; le droit naturel. les reprouve & les condamne.

Les regles du droit naturel forment donc la premiere & la principale partie du droit des gens mais outre ces regles, il y a des fortes de conventions & d'ufages qui, étant admis à peu près généralement par les peuples policés, font confidérés, en quelque maniere, comme des regles du droit des gens. On ne peut pas, comme nous l'avons obfervé, les appeller des loix proprement dites, faute d'une autorité exiftante qui ait le droit de les établir; mais ce font des conventions, au moins tacites, fur la foi defquelles on fe repofe & l'on vit; le peuple qui manqueroit le premier à les observer, fe rendroit méprisable, avec raison, aux yeux de l'univers & autoriferoit à en ufer avec lui, comme lui-même en auroit ufé avec les autres.

La réception des ambaffadeurs, ou autres envoyés pacifiques, fous quelque nom que ce foit, ne tient pas feulement aux ufages & aux conventions tacites dont nous venons de parler: l'obligation de les recevoir fans leur faire aucun mal, dérive du droit naturel. En effet dès que l'on suppose que ce font réellement des envoyés qui viennent porter des paroles de paix, & non des efpions qui entrent dans le pays pour en obferver les forces & les projets, il n'y a d'abord

aucune raison de ne les pas recevoir. Et enfuite, puisque leur miffion eft de préparer une conciliation & d'éviter la guerre, voilà une raifon de les recevoir & de les écouter: la guerre entraînant infailliblement une foule de défordres & de maux que la raison oblige d'éviter autant qu'il eft poffible.

Mais ce qui n'eft que du droit des gens conventionnel, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, c'eft que l'envoyé d'un peuple fera reçu par le peuple auquel il eft adreffé, de telle ou de telle maniere, felon le caractere que le peuple, dont il est le représentant, lui aura donné; qu'il jouira de certaines franchises, de certains privileges, de certains honneurs, &c. C'est encore qu'avant de faire, de la part d'un peuple, des actes d'hoftilité contre un autre peuple, on lui donnera connoiffance des griefs que l'on a contre lui, & on lui demandera à l'amiable une jufte fatisfaction. Il eft raifonnable d'obferver ces regles lorfqu'on les garde visà-vis de nous: mais on peut ne pas s'y conformer, lorfque ceux auxquels on a affaire y ont manqué les premiers. Telle eft la différence entre cette portion du droit des gens, & celle qui confiste uniquement dans l'application des regles du droit naturel, qu'on ne fauroit jamais être difpenfé d'observer celles-ci, au lieu qu'on peut être dispensé de garder celles-là: foit quand on ne les garde pas envers nous, la réciprocité étant la bafe & le fondement de cette efpece de droit des gens; foit pour quelque autre caufe grande & importante.

Les préceptes du droit des gens font beaucoup moins nombreux que ne le font les regles du droit particulier de chaque peuple, parce qu'il y a beaucoup moins d'occafions de rapport entre les peuples, qu'il n'y en a entre les particuliers. D'ailleurs, toutes les difficultés qui s'élevent de nation à nation, ou fe terminent par des traités & des conventions amiables, dont les regles font les volontés raisonnables des parties contractantes; ou bien elles conduifent à faire la guerre, pendant le tumulte de laquelle il y a bien peu de loix qui puiffent se faire entendre. Néanmoins les nations policées confervent alors même quelques égards les unes envers les autres, foit pour traiter les prisonniers avec humanité, foit pour affurer l'exercice paisible des profeffions qui ne nuifent point, foit pour prendre fous leur protection

des perfonnes recommandables, quoiqu'elles foient de la nation ennemie. Ainfi au milieu des hoftilités qui s'exercent actuellement entre la France & l'Angleterre, la France, en permettant à fes fujets d'attaquer les vaiffeaux Anglois, avoit défendu d'attaquer celui du célebre voyageur Coock, Anglois; & il a été fait des conventions pour la fauvegarde refpective des pêcheurs de l'une & de l'autre nation.

La connoiffance du droit des gens fe puife, quant à sa premiere partie, dans la méditation des principes du droit naturel; quant à la feconde, dans l'histoire des différens peuples, & fur-tout dans cette portion de l'hiftoire qui a, pour objet, les alliances & les traités, Ceft-là que l'on peut recueillir de l'ufage & des exemples, le droit des gens conventionel, & que l'on apprendra en même temps les engagemens qui lient certains peuples à d'autres d'une maniere plus particuliere,

§ IV.

Du droit public de chaque nation,

On comprend quelquefois fous la dénomination de droit public, même le droit des gens. Ce n'est pas l'acception dans laquelle nous le prenons ici, puifque nous venons de définir à part, le droit des gens. Nous entendons par droit public des nations, celui qui régit les actions publiques de l'état, qui en conferve la conftitution & qui regle la conduite des différens corps de l'état les uns envers les autres. Lorfqu'enfuite nous annonçons que nous allons parler du droit public de chaque nation, nous ne promettons pas de parler de ce qui forme le droit public des différentes nations: pas même d'expofer les maximes du droit public de la France; mais nous voulons feulement donner une idée de ce qui conftitue le droit public chez toute nation, & de la différence qu'il y a entre le droit public & le droit particulier,

Le droit particulier eft compofé des regles auxquelles est soumis le citoyen vis-à-vis du citoyen: le droit public gouverne la fociété entiere. Ses regles n'ont pas pour objet de décider, par exemple, qui de celui-ci, ou de celui-là, aura telle maifon ou tel champ; mais de

maintenir les chofes en tel état que chacun ait la maison & le champ qui lui appartiennent. Le droit public de chaque nation est donc la fauvegarde du droit particulier : ou plutôt, fans droit public il n'y auroit pas de droit particulier, parce que fans droit public il n'y auroit pas de cité, & par conféquent pas de citoyen.

On entend par les mots nation, peuple & quelquefois même par le mot cité, certain nombre d'hommes réunis en fociété fous une forme & des conditions déterminées. En tant qu'une nation eft composée d'hommes, elle est néceffairement régie par le droit naturel. En tant qu'elle eft une fociété, elle est foumife aux regles effentielles à toute fociété. Enfin, en tant que la fociété a été compofée selon une certaine forme, & fous certaines conditions, elle eft fujette à des loix particulieres. Cette forme & ces conditions qui caractérisent telle fociété, & la différencient d'une autre, font ce que l'on appelle la conftitution de l'état. Ce font ces formes & ces conditions qui font d'un état, une monarchie; & d'un autre état, une république.

Le droit public des nations puise donc fes regles, dans trois fources: d'abord dans les maximes du droit naturel; enfuite dans les maximes communes à toute affociation, maximes qui ne font, à dire vrai, que des conféquences tirées des principes du droit naturel; enfin dans les conventions qui ont dû fe faire au moment de la formation de la fociété. Les regles qui dérivent des deux premieres fources, font néceffairement immuables, puifqu'elles appartiennent au droit naturel dont les principes font d'une vérité éternelle & conftante. (Voyez cideffus § I.) Les regles qui dérivent de la troifieme fource ne font pas immuables; mais leur changement n'eft au pouvoir d'aucun des membres de la fociété, ni même du chef feul: parce qu'elles ne font point l'ouvrage du chef feul, encore moins celui d'aucun des membres ifolés. Elles ne peuvent donc être changées que par la fociété entiere.

Nous avons affez parlé des premiers principes du droit naturel: ce que nous remarquerons ici, eft que les regles, qui composent ce droit, reçoivent une exécution & plus tranquille & plus parfaite dans le cas où les fociétés font formées, & fur-tout dans de grandes fociétés, qu'elles ne l'auroient entre des particuliers ifolés, ou même entre les;

membres de petites fociétés. Prenons pour exemple la propriété. Si la propriété d'un particulier isolé, eft attaquée violemment par un autre particulier également isolé, celui qui eft attaqué n'aura que la force pour repouffer la force, & s'il n'a pas une force fupérieure, il fera infailliblement la victime d'un adverfaire entreprenant. Si ces deux par ticuliers vivent dans une fociété, s'ils font membres d'une nation, alors, comme le droit naturel ne peut être enfreint fans renverser la premiere base de la fociété, il faut que toute la nation se joigne, ou par elle-même ou par fes représentans, à celui qui est attaqué, pour reprimer l'entreprise de celui qui attaque. Ainfi dans la fociété, celui qui repouffe une injuftice, la repouffe, non pas avec fa force feule, mais avec celle de toute la nation: voilà pourquoi il y a plus d'avantage dans une grande fociété que dans une petite: & voilà encore une fois de quelle maniere le droit public eft la fauvegarde du droit particulier. Si la force de la nation, fi la force publique, au lieu de se joindre à celui qui éprouve une injustice, se joint à celui qui la commet; fi elle l'aide, fi elle le protege; c'en eft fait de l'état : ses bases font renversées.

Les maximes les plus générales, fufceptibles d'être appliquées à toute fociété, & en même temps les plus fécondes, peuvent fe réduire à deux la compensation de fervices & de devoirs dont nous avons parlé (ci-deffus, § II,) & la préférence qui eft due à la fociété fur les parties quelconques dont elle eft compofée,

De la néceffité de compenfation de fervices, il fuit que chacun doit donner autant à la fociété, que la fociété lui donne ; & réciproquement, que la fociété doit donner à chacun autant qu'il donne luimême à la fociété. De cette néceffité de compenfation & de l'égalité qu'elle exige, naît l'inégalité des conditions, des priviléges, des droits attachés aux perfonnes qui compofent les différens ordres de l'état. Ainfi la condition du prince dans la monarchie, étant de s'occuper uniquement du bien de fes peuples, d'oublier tous les intérêts de sa perfonne pour veiller fur ceux de l'état, l'état doit lui accorder les plus grands honneurs poffibles, & fournir largement à tous fes befoins même perfonnels. Il en eft de même, en gardant les proportions,

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