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Par le droit François en général, nous entendons le droit qui s'obforve dans toute la France, qui oblige dans toutes les provinces du royaume indistinctement, fauf les loix particulieres qui peuvent avoir cours dans les différentes provinces. Ce droit, commun à tous les François, eft proprement ce que l'on doit appeller droit François.

La premiere queftion à cet égard, eft de favoir s'il existe réellement un pareil droit François, commun à tout le royaume : ou fi au contraire le droit particulier des François (car nous ne parlons point ici du droit public) n'eft qu'un compofé de plufieurs regles différentes felon les différentes provinces, les différens lieux & les différens objets? Quelque extraordinaire que cette queftion paroiffe au premier coup d'œil, puifqu'il feroit étonnant qu'un peuple policé n'eût pas fon droit propre; cependant elle est très-férieuse. Un peuple, à la vérité, ne fauroit exister fans loix; mais il peut avoir des loix qui régiffent chacune de fes villes ou de fes provinces, & ne pas avoir un droit particulier commun, univerfel pour toutes les parties de l'état : & c'estlà précisément le fens & l'objet de la queftion que nous propofons.

On ne fauroit fe difpenfer de convenir, en premier lieu, que ce droit, s'il existe, n'eft pas configné par écrit. Nous n'avons ni charte, ni autre titre commun à tout le royaume, portant que l'on fuivra telle loi, foit pour les conventions civiles du mariage, foit les fucceffions, foit pour les différentes natures de biens.

pour

Mais encore que les regles de ce droit ne foient pas écrites, écrites, elles peuvent exister dans des coutumes générales auffi réellement que fi elles étoient confignées dans des titres écrits; &, fous ce point de vie, il ne paroît pas qu'on puiffe méconnoître qu'il exifte des regles d'un droit univerfel & commun à toute la France. C'est le fentiment de nos jurifconfultes les plus célebres, de Dumoulin, fur la rubrique 'du titre des fiefs, no 106; & de Choppin de comm. Gall. conf. præc. part. 2, & ce qui ajoute à leur fuffrage, ce font les exemples qu'ils en donnent, telle qu'eft cette regle pour les fucceffions: le mort faifit le vif. On peut voir encore ce que dit M. Grofley dans fes Conjectures fur l'origine des coutumes, set. 1.

On eft obligé d'avouer en même temps, que ces maximes de droit

commun font peu nombreuses. Nos provinces ont été tellement jaloufes de leurs ufages propres, que la plûpart ont leurs loix particulieres, qui fe rapprochent des autres fur certains objets, niais qui ne font pas pour cela les mêmes loix. Il n'y a que quelques points particuliers, fur lefquels nous avons des loix, à-peu-près univerfelles, écri→ tes dans les ordonnances de nos rois; par exemple, fur la procédu re, fur les teftamens, &c. C'eft la fource de ces différentes loix fuivies dans le royaume, qu'il faut rechercher; & pour procéder avec ordre, il faut commencer par diftinguer le pays que l'on appelle de droit écrit, & celui que l'on appelle coutumier.

Les anciens divifoient toute notre Gaule en trois parties, ainfi qu'on peut le voir chez Pline, Hift. nat. liv. IV, chap. 17 & fuiv. On appelloit la premiere, Belgique; elle s'étendoit de l'Efcaut à la Seine la feconde, Celtique ou Lyonnoife, de la Seine à la Garonne ; la troisieme, Aquitaine, de la Garonne jufqu'à la chaîne des Pyrenées. Les victoires & les poffeffions des Romains dans la Gaule, peuvent établir une autre divifion, en Gaule méridionale & Gaule feptentrionale: la premiere s'étendant des Pyrenées à la Loire; la feconde, de la Loire à l'Efcaut. La Gaule méridionale comprendra ainfi toute l'Aqui taine & une partie de la Celtique; la Gaule feptentrionale comprendra toute la Belgique & une partie auffi de la Celtique.

Cette divifion établie, on voit, par les monumens les plus anciens, que les habitans de la Gaule méridionale adopterent le droit Romain pour loi; ils le fuivoient au quatrieme fiecle. Et c'eft dans cette partie de la France que fe trouvent en effet toutes nos provinces de droit écrit: la Guyenne, le Languedoc, le Lyonnois, le Forez, &c. Mais ce qui eft très-effentiel à remarquer, c'eft que le droit Romain, fuivi dans ces provinces, n'étoit point le droit recueilli & compilé. par les ordres de Juftinien. D'abord, ces compilations n'existoient au quatrieme fiecle, qui eft l'époque dont nous parlons; enfuite il cft bien prouvé qu'au temps où Juftinien publia fes loix, il n'y avoit pas un pouce de terre en France fur lequel on reconnut fon cmpire.' Le droit Romain, que l'on fuivoit dans la France méridionale, étoir' donc le droit antérieur à Juftinien: peut-être le code Théodofien, ou

pas

plutôt l'abregé qu'Anien, référendaire d'Alaric, roi des Wifigoths, fit, par l'ordre de ce prince, vers l'an 506, des trois codes, Grégorien, Hermogénien & Théodofien. (Voyez Schulting, præf. ad jur. ante-Juft.) Ces codes, & l'abregé même d'Anien, fe perdirent vraisemblablement dans la fuite des fiecles; car le code Théodofien n'a été tiré de l'oubli qu'au commencement du feizieme fiecle; & à l'égard, foit des codes Grégorien & Hermogénien, foit de l'abregé qu'Alaric en avoit fait faire, nous n'avons qu'un très-petit nombre de fragmens que Schulting a fait imprimer. Ce n'étoit donc plus que par une forte de tradition que l'on connoiffoit le droit Romain dans ces provinces, lorfque vers le douzieme fiecle, il arriva, en France, des difciples des profeffeurs d'Italie, qui enseignerent le droit de Juftinien. On les accueillit à Montpellier & à Toulouse, où ils donnerent des leçons publiques de ce droit. Comme l'on ne connoiffoit plus les textes de l'ancien droit Romain que l'on avoit fuivi, on y reçut les textes de Justinien que ces nouveaux docteurs apportoient : l'identité du nom fit illusion, & voilà de quelle maniere le droit de Juftinien eft devenu la loi des provinces dont nous parlons. Voyez l'Hift. du droit Fr. de l'abbé Fleuri, & l'Efprit des loix, liv. 28, chap. 12.

Ces peuples eurent néanmoins quelques coutumes particulieres, dont ils joignirent l'observation à celle du droit Romain. Choppin a fait l'énumération des principales de ces coutumes (ubi fupra). On pourroit examiner fi elles leur étoient propres, ou s'ils les avoient prifes de leurs voifins, & de quelle époque elles datoient: mais comme cette question tient à celle de l'origine des coutumes, question très-épineufe, & dont nous ferons bientôt obligés de parler, il est superflu d'y entrer dans le moment actuel, où il ne s'agit que de quelques points de coutume, peu confidérables. Enfin ces mêmes provinces, foumises aux rois de France, font fujettes aux difpofitions des ordonnances qui font publiées de l'autorité du prince. Ainfi l'on trouve, fans beaucoup de difficulté, les fources du droit obfervé dans les provinces de droit écrit: ce font les livres du droit de Juftinien, les ordonnances, & quelques coutumes: il ne pourroit y avoir d'obscurité que fur l'origine de ces coutumes.

Mais il n'eft pas auffi facile de découvrir les fources du droit fuivi dans le pays coutumier, en d'autres termes dans la France septentrionale, dans cette partie de la France qui eft en deçà de la Loire. On fe réunit pour convenir que les Gaulois avoient leurs loix propres, avant que les Romains fiffent des irruptions dans les Gaules, & il paroît bien difficile de nier que ces loix confiftoient principalement en coutumes non écrites. Mais on fe divife fur ce qui arriva après que les Romains furent entrés dans les Gaules, & voici les deux systêmes principaux entre lefquels on fe partage.

Suivant l'abbé Fleuri, l'abbé Dubos, &c. après les victoires des Romains, tous les Gaulois fuivirent le droit Romain; les Francs furvinrent, apporterent leurs loix que nous nommons barbares: c'étoit des coutumes qu'ils redigerent enfuite par écrit; mais ils laifferent fubfifter le droit Romain. Pendant les défordres de l'efpece d'anarchie qu'il y eut fous la fin de la feconde race, les anciennes loix s'oublicrent; il n'y eut plus de diftinction entre ceux qui vivoient fous la loi Romaine, & ceux qui vivoient fous les loix barbares, parce qu'on n'en connoiffoit plus aucune. « Les François, dit l'abbé Fleuri, retom» berent dans un état approchant de celui des barbares qui n'ont » point encore de loix ni de police » : l'établissement des fiefs & les ufurpations des feigneurs particuliers; l'établiffement des communes ; l'autorité des eccléfiaftiques qui alloit toujours croiffant, & qui introduifit les livres du droit canonique en France, donnerent lieu à la formation des coutumes qui commencerent à être redigées par écrit vers le treizieme fiecle; & comme il y avoit déja quelque temps qu'on étudioit le droit Romain, il s'en gliffa auffi des principes dans la rédaction de quelques coutumes.

Selon l'autre fyftême, contraire à celui que nous venons d'expofer, les habitans de la Gaule feptentrionale, conferverent, même après les victoires des Romains, leur droit propre, qui confiftoit en coutumes. Ils abhorroient la puiffance étrangere de Rome, & par conféquent fes loix. On trouve dans des monumens très-anciens, des veftiges de leurs coutumes, & ces veftiges annoncent une conformité exacte avec les principales regles de notre droit coutumier,

· De même que les coutumes de ces Gaulois, n'avoient pas cédé aux Foix Romaines, elles ne céderent pas non plus aux loix des Francs lors de la conquête. Ceux-ci n'avoient prefque dans leurs codes barbares que des loix criminelles: elles étoient infuffifantes pour un peuple policé, les Francs eux-mêmes furent donc obligés d'adopter les coutumes des Gaulois. Au commencement de la troifieme race, ceffa la diftinction dé Salien, de Ripuaire, de Goth, de Gaulois, de Romain; il n'y eut plus que des François & qu'une loi dans le pays coutumier, favoir, les coutumes, qui furent enfuite redigées par écrit. Il est poffible que le droit Romain & le droit canonique, connus en France, au temps de la redaction des coutumes, ait influé fur quelques-unes de leurs difpofitions: mais cela n'empêche pas qu'il n'ait réellement existé un véritable droit coutumier, qui fe fera toujours confervé dans la Gaule feptentrionale, quoiqu'il ait pu fe maintenir avec plus de pureté dans certaines provinces que` dans d'autres.

Ce fecond fyftême a été défendu avec autant d'agrémens que d'érudition, par M. Grofley, dans fes Conjectures fur l'origine des cou

tumes.

M. de Montefquieu a bien remarqué des coutumes locales exiftantes fous la premiere & fous la feconde race, il en reconnoît même des traces dans nos coutumes actuelles; mais il paroît établir un des fondemens de ces coutumes fur les ufages & la forme de procéder, introduits au commencement de la troifieme race. Voyez l'Esprit des loix, liv. 28, chap. 12 & 45.

Les ordonnances de nos rois font loi dans le pays coutumier, comme dans le pays de droit écrit ; il n'y a point de difficultés à cet égard: mais on voit combien il y en a fur l'origine & la fource des coutumes. Et il ne faut pas croire que la question, qu'on agite ici, ne foit qu'une question de pure curiofité: elle a un objet extrêmement intéreffant dans la pratique: c'eft pour les cas qui ne font pas rares, où les coutumes font muettes. Sera-ce dans le droit Romain que l'on cherchera la décifion de ces cas, ou bien dans les coutumes? La queftion eft fort controverfée entre les autcurs, elle n'eft point décidée; & nous avertirons qu'il y a beaucoup à dire de part & d'autre :

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