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Croyez donc fermement, Monfieur, ou pour mieux dire, voyez clairement qu'il ne fauroit y avoir de bonne loi qui ne foit univerfelle, propre à tous, bonne à tous, puisqu'il n'y a qu'un feul & même intérêt pour tous; cet intérêt, c'est la propriété dont l'immunité abfolue, ainfi que celle de toutes fes adhérences, est la loi de pleine propriété pour l'humanité entiere, pour chacune des fociétés qui la fubdivifent, pour chacun des différents ordres qui compofent ces fociétés , pour chacun des individus qui forment la Nation.

A l'égard des adhérences de la propriété, nous l'avons dit, c'est la liberté & la fureté. Nous en traiterons tout à l'heure. Maintenant appellons & faifons defirer la propriété.

Je dis appellons, car, fi vous vous fouvenez de ce que je vous ai dit dans ma troifieme Lettre, en vous parlant de la Chine, que toute l'ambition de la par

tie industrieuse de la Nation, eft d'y pouvoir acquérir un coin de terre; fi vous comparez ce defir favorable avec les préjugés des travailleurs de tout genre dans d'autres Etats, vous verrez que quelque naturel que foit en nous le penchant qui nous porte à regarder la terre comme la plus précieuse & la plus defirable des propriétés, l'erreur de toutes les Sociétés qui ont ignoré que cette propriété étoit indivifiblement liée à d'autres genres de propriété préliminaires, & dont l'immunité est tout autrement indispensable encore, cette erreur groffiere, dis-je, a ouvert la porte à tant de fortes de tyrannie, que les hommes déroutés par le fait, ont éte forcés à renoncer à cet attrait naturel.

En effet, dans la plupart des Sociétés, foi-difant civilifées, on voit la tournure forcée des mœurs, dédaigner la terre, prefqu'autant que le font les Nations Barbares qui ne vivent que de rapine,

de

de chaffe, de pêche & d'autres produits fpontanés de la nature.

La terre, il eft vrai, quoique la fource de tous les biens, n'eft que la troisieme propriété dans l'ordre naturel, comme dans l'ordre focial. Il faut que chacun foit libre de fa perfonne, il faut que chacun foit maître abfolu de fes richeffes mobiliaires, il faut enfin que chacun foit Roi de fon patrimoine : alors, vous verrez la terre se mesurer & fe payer au plus haut prix.

Nous venons de défigner ces trois fortes de propriétés; voyons en précis les conditions que chacune d'elles renferme.

Propriété de fa perfonne.

Tous les hommes naiffent chargés d'un devoir imminent à eux impofé par la Loi de nature: ce devoir eft la néceffité de fatisfaire à leurs befoins journaliers, & fans ceffe renaiffans.

Eph. 1768. Tom. III.

C

Dans l'ordre naturel, toujours un droit correspond à un devoir : ils ne peuvent naître & exifter l'un fans l'autre. Le droit qui correfpond au devoir de fatisfaire à nos besoins, est le droit de recherche libre, & de difpofition pleine & entiere de notre perfonne, droit qui ne fauroit être aliéné en tout ou en partie, que par un engagement volontaire & refpectif.

L'ordre focial ne peut être un ordre qu'autant qu'il fe conforme fidelement & fcrupuleufement à l'ordre naturel. La nature, dont tous les hommes font également enfants, a mis des différences dans les acceffoires; mais elle n'en admet aucune dans le principal. Des hommes naiffent avec plus de force, d'intelligence & de talents que le commun des autres hommes; mais tous, tous ceux du moins qui font fufceptibles d'entrer en fociété, font pourvus des organes néceffaires à la recherche de leurs befoins.

La vraie Société, religieufe obfervatrice des Loix de la nature, ou plutôt qui ne connoît d'autre droit que celuilà, (puifque par-delà tout eft tyrannie) fouffre, maintient & protége l'inégalité dans les propriétés mobiliaires & foncieres; l'inégalité, dis-je, qui résulte néceffairement de la disparité de force, d'intelligence & de talent, établie entre les hommes par la nature. Elle retire même de cette diverfité, des avantages d'activité & de réunion. Mais quant à la liberté de la perfonne, elle ne connoît ni privilege, ni immunité, ou, pour mieux dire, ni déchéance, ni infériorité. Tout rang, tout état, tout fexe, tout âge, tout à cet égard eft égal; & l'entiere propriété perfonnelle du dernier des hommes eft auffi bien, que dis je, mieux à lui, puifqu'il en a plus de befoin, que celle de la premiere tête de l'Etat.

Tous les liens, tous ceux de la nature,

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