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éclat qui ne peuvent convenir à une fille.

Le favant M. Lefebvre avoit un fils qu'il élevoit avec grand foin. Pendant qu'il lui faifoit des leçons, Anne Lefebvre, qui avoit alors onze ans, étoit présente & travailloit en tapifferie. Il arriva un jour que le jeune écolier, répondant mal aux questions de fon pere, fa fœur lui fuggéroit ce qu'il devoit répondre. Le pere l'entendit, & ravi de cette découverte, il résolut d'étendre fur elle fes foins. Elle fut très-fâchée d'avoir parlé; car dès ce moment elle fut affujettie à des leçons réglées. Elle fit en peu de tems de fi grands progrès, que fon pere, charmé d'un fi excellent naturel, s'appliqua entiérement à Pinftruction de fon écoliere. Elle devint fon confeil, de forte qu'il ne faifoit rien fans le lui communiquer.

M. & Madame Dacier eurent des doutes fur la Religion Calviniste, dans laquelle ils étoient nés l'un & l'autre. Pour s'éclaircir plus à loifir, ils réfolurent de fe retirer à Caftres. Leurs amis n'oublierent rien pour empêcher ce voyage ;

&

M. de Charleval, fi célebre par la délicateffe de fon efprit, croyant que c'étoit le mauvais état de leurs affaires qui les forçoit à quitter Paris, vint leur apporter dix mille livres en or, les conjurant de les accepter. Ils virent avec plaifir cette marque de générofité dont il eft peu d'exemples; mais ils refuferent constamment d'en profiter. Pour ne point révéler le véritable motif de leur voyage, on prétexta que Madame Dacier étoit bien aife de connoître la patrie & la famille de fon mari.

Depuis l'abolition de la Chambre de l'Édit qu'il y avoit à Caftres, cette ville étoit dénuée de gens de lettres. Madame Dacier ne rencontrant dans toutes les maifons, que des bourgeois entichés de leur faufse nobleffe, ne tarda pas fe dégoûter d'un pareil féjour. Elle engagea fon mari à vendre les biens qu'il avoit dans ce pays, & revint avec lui dans la Capitale.

à

On rapporte une chofe de Madame Dacier, qui montre bien quelle étoit fa modeftie. Les Savans du Nord, qui voyagent, ont grand foin

de vifiter les perfonnes diftinguées par leur favoir, & portent avec eux un livre où ils les prient de mettre leur nom avec une fentence. Un Gentilhomme Allemand, très-savant, vint voir Madame Dacier, & lui préfenta fon livre, en la priant d'y mettre fon nom & une fentence. Elle vit dans ce livre le nom des plus favans hommes de l'Europe. Cela l'effraya; & elle dit que, parmi tant de noms illuftres, elle rougiroit de mettre le fien. Il ne se rebuta pas; plus elle fe défendoit, plus il la preffoit. Il revint plufieurs fois à la charge. Enfin, vaincue par fes importunités, elle prit la plume, & mit fon nom avec un des vers de Sophocle, qui exprime que le filence eft l'ornement des femmes.

Pendant les conteftations fur Homere, dans lefquelles Madame Dacier montra tant de zele pour ce Poëte, on fit le distique fuivant :

In vetulum pugnat juvenis non imus, Homerum ;
Una tot in juvenis pro fene pugnat anus.

Tout le monde connoît la fameufe difpute qui s'éleva entre Madame Dacier & M. de la

Motte. « Cette difpute, dit un Philofophe, n'a > rien appris au genre-humain, finon que Ma⚫ dame Dacier avoit encore moins de logique, ❤ que la Motte ne favoit de grec. Madame Dacier foutint la caufe d'Homere avec tout > l'emportement d'un Commentateur. La Motte » n'y oppofa que de l'efprit & de la douceur, » L'ouvrage de la Motte fembloit être celui » d'une femme d'efprit; & celui 'de Madame » Dacier, d'un homme savant. »

Les ouvrages latins de Madame Dacier ont tellement étendu fa réputation, qu'elle eft beaucoup plus connue parmi les Savans étrangers, que le meilleur des Ecrivains François de ce fiecle, fans excepter Voltaire. Et véritablement fes Commentaires fur Florus, Didys de Crete, Darès de Phrygie, &c. font cités dans presque tous les ouvrages fcholaftiques latins, publiés en Angleterre, en Hollande & en Allemagne, pays où l'érudition eft plus cultivée qu'en France. Epitaphe de Madame Dacier.

Ci-gît dont les vertus furent le caractere;
De fon époux & de fon pere

Elle eut tous les talens & le profond favoir..

Des Grecs & des Romains interprete fidele,
Par fes écrits elle fit voir

Que même en imitant on peut être modele.

Anonyme.

PHILIPPE DE COURCILLON, Marquis de DANGEAU, né en 1638, mort à Paris en 1720.

Le Marquis de Dangeau avoit pour la poéfie un vrai talent. Cette qualité lui valut une aventure précieuse pour un courtifan. Le Roi & feue Madame avoient entrepris de faire des vers en fecret, à l'envi l'un de l'autre. Ils fe montroient leurs ouvrages, qui n'étoient que trop bons. Ils se soupçonnerent réciproquement d'avoir eu du fecours; & & par l'éclairciffement où leur bonne foi les mena bientôt, il se trouva que le Marquis de Dangeau, à qui ils s'étoient adreffés l'un & l'autre avec beaucoup de myftere, étoit l'auteur caché des vers. Il lui avoit été ordonné de part & d'autre de ne pas faire trop bien; mais le plaifir d'être doublement employé de cette façon, ne lui permettoit guere de bien obéir;

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