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TABLEAU HISTORIQUE

DE l'Esprit & du Caractere des Littérateurs François, depuis la renaiffance des Lettres jufqu'à nos jours.

NICOLAS

ICOLAS MALLEBRANCHE, Prêtre de l'Oratoire, né à Paris en 1638, mort dans la même ville en 1715.

Le Pere Mallebranche s'appliqua d'abord à l'Hiftoire Eccléfiaftique, ensuite à la critique; mais il ne put réussir ni à l'une ni à l'autre étude. Passant un jour dans la rue Saint-Jacques, un Libraire lui préfenta le Traité de l'Homme, par Descartes, publié depuis peu de tems. Il avoit vingt-fix ans, & ne connoiffoit Descartes de nom, & par quelques objections de fes

que

Tome III.

A

cahiers de Philofophie. Il fe mit à feuilleter le livre, & fut frappé comme d'une lumiere toute nouvelle à fes yeux. Il entrevit une science dont il n'avoit point d'idée, & fentit qu'elle lui convenoit. La Philofophie fcholastique, qu'il avoit eu tout le loifir de connoître, ne lui avoit point fait, en faveur de la Philofophie en général, l'effet de la fimple vue d'un volume de Defcartes; la fympathie n'avoit point joué; l'uniffon n'y étoit point. Il acheta le livre, le lut avec empreffement; & ce qu'on auroit peut-être peine à croire, avec un tel transport, qu'il lui en prenoit des battemens de cœur, qui l'obligeoient quelquefois d'interrompre fa lecture. Il abandonna donc abfolument toute autre étude pour la Philofophie de Defcartes. Quand fes confreres & fes amis, les Hiftoriens & les Critiques, à qui tout cela paroiffoit bien creux, lui en faifoient des reproches, il leur demandoit fi Adam n'avoit pas eu la fcience parfaite ; &, comme ils en convenoient, felon l'opinion commune des Théologiens, il leur difoit que la science parfaite n'étoit donc pas la critique ou P'hiftoire, & qu'il vouloit favoir ce qu'Adam

avoit fu.

M. Arnaud ayant publié quelques ouvrages contre le Pere Mallebranche, celui-ci publia un petit Traité dans lequel il prétendoit démontrer que le Docteur n'avoit fait aucun des livres qui avoient paru fous fon nom, contre le Pere Mallebranche. Pour cela il n'avoit, difoit-il, befoin que d'urie feule fuppofition, qui eft, que M. Arnaud a dit vrai, lorfqu'il a protesté devant Dieu qu'il avoit toujours eu un defir fincere de bien prendre les fentimens de ceux qu'il combattoit, & qu'il s'étoit toujours fort éloigné d'employer des artifices pour donner de fausses idées de ces Auteurs & de leurs livres.

Le Pere Mallebranche s'entretenoit avec Def préaux, de fa difpute avec M. Arnaud, fur les idées; & prétendoit que M. Arnaud ne l'avoit jamais entendu. Ah! Qui donc, mon Pere, reprit Defpréaux, voulez-vous qui vous entende?

Le Pere Mallebranche répondit à ceux qui fe preffoient de répondre aux Journalistes de Trévoux, qui l'avoient attaqué: « Je ne difpute

" point avec des gens qui font un livre toutes "les femaines ou tous les mois. "

Il ne venoit point d'étrangers favans à Paris, qui ne rendiffent leurs hommages au Pere Mallebranche. On dit que des Princes Allemands y font venus exprès pour lui; & dans la guerre du Roi Guillaume, un Officier Anglois, prifonnier, fe confoloit de venir à Paris, parce qu'il difoit avoir toujours eu envie de voir le Roi Louis XIV, & le Pere Mallebranche.

Le Pere Mallebranche, dans fes Réflexions fur la Prémotion Phyfique, la représente par une comparaifon auffi concluante peut-être, & certainement plus touchante que tous les raifonnemens métaphyfiques. Un ouvrier, dit-il, a fait une ftatue, dont la tête, qui fe peut mouvoir par une charniere, s'incline refpe&ueufement devant lui, pourvu qu'il tire un cordon. Toutes les fois qu'il le tire, il eft fort content des hommages de fa ftatue; mais un jour qu'il ne le tire point, elle ne le falue point, & il la brife de dépit.

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