1 Tandis que le Pere Mallebranche effuyoit mille contradictions dans fa patrie, fa Philosophie pénétroit à la Chine: un Miffionnaire Jéfuite écrivit à ceux de France, « qu'ils n'en" voyaffent à la Chine que des gens qui fuffent » les Mathématiques, & les ouvrages du Pere » Mallebranche. » Le Pere Mallebranche rioit de la contrainte. que les Poëtes s'impofent, contrainte qui eft plus fouvent une occafion de fautes que de beautés. Je n'ai fait que deux vers en ma vie, difoit-il quelquefois; les voici : Il fait en ce beau jour le plus beau tems du monde, Mais, lui difoit-on, l'on ne va point à cheval fur l'onde. J'en conviens, répondit-il; mais paffez-le moi en faveur de la rime; vous en passez bien d'autres tous les jours à de meilleurs Poëtes que moi. M. Petit difoit, quoiqu'il fût peu favorable à Defcartes, qu'il fe faifoit du moins des principes apparens sur lesquels il bâtissoit fort juste ; mais que le Pere Mallebranche bâtiffoit en l'air, Le Pere Mallebranche eut toutes les peines du monde à trouver un Approbateur pour fon livre de la Recherche de la vérité. Tous ceux à qui cet ouvrage avoit été envoyé, ou ne l'entendoient pas, ou ou refufoient de donner leur approbation à des principes qui paroiffoient fi nouveaux. Enfin, ce fut le célebre Mézerai qui l'approuva comme un livre de Géométrie. Dans l'éloge du Pere Mallebranche, M. de Fontenelle dit, que fon imagination travailloit pour un ingrat, & qu'elle fervoit à orner la raifon en fe cachant d'elle. « Il n'y a guere eu dans le monde de favant plus accommodant, ( dit le Pere Nicéron) » moins critique & moins jaloux que le Pere "Mallebranche fi profond & fi élevé dans fes méditations, il étoit dans la converfation d'une fimplicité charmante, ne s'appercevant ni de fon mérite ni de fa réputa»tion, regardant l'eftime qu'on lui témoignoir comme une pure faveur; fupportant les dé"fauts de fes amis, & écoutant leurs moindres » difficultés, fans leur en faire fentir le foible » autrement que par la raison. » JOSEPH SAUVEUR, né à la Fleche en 1653, mort en 1716. M. Sauveur eft le premier qui ait tiré la Géométrie de l'obscurité, & qui l'ait mise à la mode, quoiqu'il n'eût aucun talent pour parler. Un jour qu'il entretenoit M. le Prince fur ces matieres, en présence de deux autres favans, ils l'interrompirent, fatigués de fa difficulté à s'exprimer, & continuerent à expliquer ce qu'il avoit entrepris. Quand ils eurent fini, M. le Prince leur dit : « Vous avez cru que Sauveur " ne s'entendoit pas bien, parce qu'il parle " avec peine; mais je le fuivois & l'entendois. parfaitement. Vous m'avez parlé beaucoup plus éloquemment que lui; mais je ne vous. " ai pas compris, & peut-être ne vous com" preniez-vous pas vous-mêmes, » M. Sauveur a été marié deux fois. Il prit à la premiere une précaution affez finguliere; il ne voulut point voir celle qu'il devoit épouser, jufqu'à ce qu'il eût été chez un Notaire, faire rédi ger par écrit toutes les conditions qu'il demandoit. Il craignoit de n'en être pas le maître après l'avoir vue. La feconde fois il fut plus aguerri. M. Sauveur n'étoit pas trop prévenu en faveur de la fcience où il excelloit; il difoit ordinairement que ce qu'un homme peut en Mathémariques, un autre le peut aussi. 77 PHILIPPE-EMMANUEL DE COULANGES, Maître des Requêtes, né à Paris en 1631, mort dans la même ville en 1716. M. de Coulanges étant aux Enquêtes du Palais, fut chargé de rapporter une affaire où il s'agiffoit d'une mare d'eau, entre deux payfans, dont l'un s'appelloit Grapin. Coulanges, embarraffé dans le récit des faits, rompit le fil de fon discours avec vivacité, en disant : Pardon, Meffieurs; je me noie dans la mare à Grapin, & je fuis votre ferviteur: & depuis il ne voulut plus fe charger d'aucune affaire. A l'âge de quatre-vingts ans M. de Coulanadressa cet impromptu à un Prédicateur qui le prefsoit de mener une vie plus retirée : ges Je voudrois à mon âge, (Il en feroit tems,) Que les jeunes gens, Tous les fentimens. Je voudrois du vieil homme Etre féparé: .... Le Chevalier de Tonnerre s'étant fait Minime en 1683, M. de Coulanges fit ce couplet, fur l'air de Joconde : Un jeune Cadet de Clermont D'un efprit peu fublime, |