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SATIRE XI.

A MONSIEUR

DE VALINCOUR

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Le fujet de cette Satire eft le vrai & le faux honneur. L'Au teur, après avoir parlé des méprifes de la plupart des hommes au fujet de ce qu'ils appellent l'Honneur, établit enfin que le vrai &le folide Honneur confifte dans la justice, fans laquelle toutes les autres prétendues bonnes qualités ne font que de faux brillants. Cette Satire fut commencée vers le mois de Novembre 1698.

UI, l'Honneur, VALINCOUR, eft chéri
dans le Monde :

Chacun pour l'éxalter en paroles abonde;
A s'en voir revêtu chacun met fon bonheur ;

Et tout crie ici-bas l'Honneur! vive l'Honneur !

Entendons difcourir fur les bancs des Galéres,

Ce Forçat abhorré même de fes Confréres;

Vers 1. Oui l'Honneur Valin- I Allufion à une action mémocour.] J. B. Henry du Trouffet rable du Duc d'Olonne, Vie de Valincour, Confeiller du ceroi de Sicile & de Naples, Roi en fes Confeils, Secretai- Ce Seigneur étant un jour à re General de la Marine, & Naples, & vifitant les Galéres des Commandemens de M. le du Port, eut la curiofité d'inComte de Touloufe, étoit lié terroger les Forçats; mais ils d'une étroite amitié avec M. fe trouvérent tous innocens , Defpreaux. Il étoit de l'Aca- à l'exception d'un feul, qui démie de la Crufca & fut avoüa de bonne foi fi on que reçû en 1699. à l'Académie lui avoit fait juftice, il auroit Françoise à la place de M. Ra- été pendu. Qu'on m'âte d'ici ce cine. Il mourut les Janvier coquin-là, dit le Duc, en lui donnant la liberté; il gâteroit tous ces honnêtes gens,

1730.

,

Vers Entendons difcourir fur les bancs des Galéres, &c.]

Il plaint, par un Arrêt injustement donné,
L'Honneur en fa perfonne à ramer condamné.
En un mot, parcourons & la Mer & la Terre:
10 Interrogeons Marchands, Financiers, Gens de guerre,
Courtisans, Magiftrats; chez Eux, fi je les croi,
L'Interêt ne peut rien, l'Honneur feul fait la loi.
Cependant, lorfqu'aux yeux leur portant la lan-
terne,

J'examine au grand jour l'efprit qui les gouverne,
Is Je n'apperçoi par tout que folle Ambition,
Foibleffe, Iniquité, Fourbe, Corruption;
Que ridicule orgueil de foi-même idolâtre.
Le Monde, à mon avis, eft comme un grand Théâtre,
Où chacun en public l'un par l'autre abusé,
20 Souvent à ce qu'il est, joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d'un faux vifage,
Impudemment le Fou représenter le Sage;
L'Ignorant s'ériger en Savant faftueux,
Et le plus vil Faquin trancher du Vertueux.
25 Mais, quelque fol efpoir dont leur orgueil les berce,
Bientôt on les connoît, & la Verité perce.
On a beau fe farder aux yeux de l'Univers;
A la fin fur quelqu'un de nos vices couverts
Le Public malin jette un œil inévitable;
Et bien-tôt la Cenfure, au regard formidable,
Sait, le craïon en main, marquer nos endroits faux,
Et nous déveloper avec tous nos défauts. ́

30

• Vers 13.

Lors qu'aux une lanterne en plein jour, yeux leur portant la lanterne.] & difoit qu'il cherchoit un Diogene le Cinique portoit

Homine.

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Du Menfonge toujours le Vrai demeure maître.

Pour paroître honnête Homme, en un mot, il faut l'être :

35 Et jamais, quoi qu'il faffe, un Mortel ici bas Ne peut aux yeux du Monde être ce qu'il n'est pas. En vain çe Misanthrope, aux yeux triftes & fom

bres,

Veut par un air riant en éclaircir les ombres : Le Ris fur fon vifage eft en mauvaise humeur, 40 L'agrément fuit fes traits, fes carelles font peur; Ses mots les plus flateurs paroiffent des rudeffes, Et la Vanité brille en toutes les baffeffes. Le naturel toujours fort, & fait se montrer. Vainement on l'arrête, on le force à rentrer, 45 Il rompt tout, perce tout, & trouve enfin paffage. Mais loin de mon projet je sens que je m'engage. Revenons de ce pas à mon texte égaré. L'Honneur par tout, difois-je, eft du Monde admiré. Mais l'Honneur en effet qu'il faut que l'on admire, so Quel eft-il, VALINCO UR, pourras-tu me le dire? L'Ambitieux le met fouvent à tout brûler; L'Avare à voir chez lui le Pactole rouler; Un faux Brave à vanter fa proüesse frivole; Un vrai Fourbe à jamais ne garder la parole;

Vers 5.2. L'Avare à voir chez | Jui le Pattole rouler.] Le Pactole eft une Riviere fameuse qui

roule de l'or parmi fon gra vier. Elle eft dans l'Afie mineure.

Vers 43. Le naturel toujours fort, &c.] Horace, I. Ep. 10,

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Naturam expellas furcâ, &c.

$5 Ce Poëte à noircir d'infipides papiers;
Ce Marquis à favoir frauder fes créanciers;
Un Libertin à rompre & Jeûnes & Carême;
Un Fou perdu d'honneur à braver l'honneur même,
L'un d'Eux a-t-il raifon? Qui pourroit le penfer?
60 Qu'est-ce donc que l'Honneur que tout doit em-
braffer?

Eft-ce de voir, dis-moi, vanter notre éloquence;
D'exceller en courage, en adresse, en prudence,
De voir à notre afpect tout trembler fous les Cieux;
De poffeder enfin mille dons précieux ?

65 Mais avec tous ces dons de l'efprit & de l'ame

Un Roi même fouvent peut n'être qu'un infame,
Qu'un Herode, un Tibere effroïable à nommer.
Où donc eft cet honneur qui feul doit nous charmer?
Quoi qu'en fes beaux discours Saint Evremond nous
prône,

70 Aujourd'hui j'en croirai Séneque avant Petrône.

Vers 70. Aujourd'hui j'en | croirai Séneque avant Petrône.] L'Auteur oppofe la morale auftere de Séneque à la morale licentieufe de Petrône, pour condamner un fentiment déraisonnable de Saint Evremond, dans fon Jugement fur Séneque, Plutarque &Petrône, où il débute ainfi: Je commencerai, dit-il, par Séneque, & vous dirai avec la derniere impudence, que j'eftime beaucoup plus fa perfonne que fes Ouvrages. J'efiime le Précepteur de Néron, l'Amant

d'Agrippine, un Ambitieux qui
prétendoit à l'Empire du Phi
lofophe & de l'Ecrivain, je n'en
fais pas grand cas. Au con-
traire les louanges que Saint
Evremond donne aux fenti-
mens délicats, au luxe poli
& aux voluptez étudiées de
Petrône, qu'il appelle un des
plus honnétes hommes du monde ;
font bien juger qu'il a regardé
ce fameux Epicurien, comme
fon Héros en fait de Morale.
Voyez fes Réflexions fur la
doarine d'Epicure.

Dans le Monde il n'eft rien de beau que l'Equité. Sans elle la Valeur, la Force, la Bonté,

Et toutes les Vertus, dont s'éblouït la Terre, Ne font que faux brillans, & que morceaux de verre. 75 Un injufte Guerrier, terreur de l'Univers,

Qui fans fujet courant chez cent Peuples divers S'en va tout ravager jusqu'aux rives du Gange, N'eft qu'un plus grand Voleur que Duterte & Saint Ange.

Du premier des Céfars on vante les exploits; 80 Mais dans quel Tribunal, jugé fuivant les Loix, Eut-il pû difculper fon injufte manie?

Qu'on livre fon pareil en France à la Reynie,

Dans trois jours nous verrons le Phénix des Guer

riers.

Laiffer fur l'échaffaut fa tête & fes lauriers.

Vers 78. N'eft qu'un plus grand Voleur, &c. ] Ce vers & les trois précedens contiennent le fens de la réponse que fit un Pirate au même Alexandre, qui lui reprochoit fa condition: Je fuis un Pirate, dit-il, parce que je n'ai qu'un vaiffean; fi j'avois une Armée navale je ferois un Conquerant. Apopht. des Anciens. Ibid. Que du Terte &Saint Ange. ] Deux fameux Voleurs de grand chemin. Du Terte étoit un joueur de profeffion, qui étoit reçu dans la plupart des maifons diftin guées de Paris. Il fit un vol au milieu du Cour-la-Reine: on le prit, & il fut condamné au dernier fupplice ordonné

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