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Que dans le Marché-neuf tout eft calme & tranquille, Les Voleurs, à l'inftant s'emparent de la Ville. Le bois le plus funeste, & le moins fréquenté, 20 Eft, au prix de Paris, un lieu de fûreté.

Matheur donc à celui qu'une affaire imprévue

Engage un peu trop tard au détour d'une ruë.
Bien-tôt quatre Bandits lui ferrant les côtez:

La bourfe: il faut fe rendre; ou bien non, réfiftez, 95 Afin que votre mort, de tragique mémoire, Des malfacres fameux aille groffir l'Hiftoire. Pour moi, fermant ma porte, & cedant au fommeil, Tous les jours je me couche avec le Soleil.

Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumiere, 100 Qu'il ne m'eft plus permis de fermer la paupiere.

Des Filoux effrontez, d'un coup de pistolet, Ebranlent ma fenêtre & percent mon volet. J'entens crier par tout, au meurtre, on m'affaffine; Ou, le feu vient de prendre à la maifon voifine. ros Tremblant, & demi mort, je me leve à ce bruit, Et fouvent fans pourpoint je cours toute la nuit. Car le feu, dont la flamme en ondes se déploie, Fait de notre quartier une feconde Troie ; Où maint Grec affamé, maint avide Argien, 110 Au travers des charbons va piller le Troïen.

Vers 87. Que dans le Mar-
ché-neuf, &c.] Place de Paris
deftinée à tenir le Marché,
entre le Pont S. Michel, & le
petit pont de l'Hôtel-Dieu.

Vers 88. Les Voleurs à l'ip-
Bant s'emparent de la Ville.] Les

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dangers étoient alors d'autant plus grands, qu'il n'y avoit point encore de Lanternes dans les rues, & que la Gardę de nuit étoit moins forte qu' prefent.

Enfin fous mille crocs la maison abîmée
Entraîne auffi le feu qui fe perd en fumée.

Je me retire donc, encore pâle d'effroi : Mais le jour est venu quand je rentre chez moi. 115 Je fais pour repofer un effort inutile:

Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville.
Il faudroit, dans l'enclos d'un vafte logement
Avoir loin de la ruë un autre apartement.

Paris eft pour un Riche un païs de Cocagne.
120 Sans fortir de la Ville, il trouve la campagne.
Il peut dans fon jardin, tout peuplé d'arbres verds,
Receler le printems au milieu des hivers,

Et foulant le parfum de fes plantes fleuries;
Aller entretenir fes douces rêveries.

25 Mais moi, grace au destin, qui n'ai ni feu ni lieu, Je me loge où je puis, & comme il plaît à Dieu.

Vers 119.

Un Païs une heureuse abondance, fans

de Cocagne.] Païs imaginaire, rien faire.

où les habitans vivent dans

Vers 116. Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette Ville. Į Juvénal, Satire III. vers 235.

Magnis opibus dormitur in Vrbe.

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Cette Satire a été faite immédiatement après la Satire premiere & la fixième, à la fin de l'année 1663. L'Auteur délibere avec fa Mufe, s'il doit continuer à compofer des Satires; mais comme fon génie l'entraîne de ce côté-là, il fe determine enfin à suivre fon inclination. Horace lui a fourni cette idée, dans la Satire I. du Livre 2.

MUSE, changeons de ftile, & quittons la Satire.

C'est un méchant métier que celui de médire.

A l'Auteur qui l'embraffe il eft toujours fatal. Le mal, qu'on dit d'autrui, ne produit que du mal 5 Maint Poëte, aveugié d'une telle manie, En courant à l'honneur, trouve l'ignominie, Et tel mot, pour avoir réjoui le Lecteur, A couté bien fouvent des larmes à l'Auteur.

Un éloge ennuïeux, un froid panégirique, o Peut pourrir à son aise au fond d'une boutique, Ne craint point du Public les jugemens divers, Et n'a pour ennemis que la poudre & les vers. Mais un Auteur malin, qui rit, & qui fait rire, Qu'on blâme en le lifant, & pourtant qu'on veut lire, s Dans fes plaifans accès qui fe croit tout permis, De fes propres Rieurs fe fait des ennemis. Un difcours trop fincere aifément nous outrage. Chacun dans ce miroir pense voir fon visage; Et tel, en vous lifant, admire chaque trait, Qui dans le fond de l'ame & vous craint & vous hait.

Mufe, c'eft donc en vain que la main yous demange. S'il faut rimer ici, timons quelque louange, Et cherchons un Heros, parmi cer univers, Digne de notre encens, & digne de nos vers. 25 Mais à ce grand effort en vain je vous anime: Je ne puis pour louer rencontrer une rime. Dès que j'y veux réver, ma veine est aux abois. J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre mes doigts; i [^ VIV J

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Je ne puis arracher du creux de ma cervelle, 30 Que des vers plus forcez que ceux de la Pucelle. Je pense être à la gêne, & pour un tel dessein, La plume & le papier réfiftent à ma main. Mais quand il faut railler, j'ai ce que je fouhaite. Alors, certes alors je me connois Poëte: 35 Phébus, dès que je parle, eft prêt à m'exaucer: Mes mots viennent fans peine, & courent fe placer. Faut-il peindre un fripon, fameux dans cette Ville Ma main, fans que j'y rêve, écrira Raumaville. Faut-il d'un Sot parfait montrer l'original? 40 Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal. Je fens que mon efprit travaille de génie. Faut-il d'un froid Rimeur dépeindre la manie? Mes vers, comme un torrent, coulent far le papier, Je rencontre à la fois Perrin, & Pelletier,

Vers 40.

D'abord des Ambaffadeurs de Gafton de France, Duc d'Orleans. Il

trouve Sofal Sofal nom en l'air, auffi bien que Rauma-a traduit en vers François l'E

ville.

Vers 44. Je rencontre à la fois Perrin & Pelletier. ] L'Abbé Berrin avoit été Introducteur

néide de Virgile, & il a fait plufieurs autres Poëfies qui furent imprimées en 1661. Cer Abbé fut le premier qui obtint

45 Bonnecorfe, Pradon, Colletet, Titreville,
Et pour un que je veux, j'en trouvé plus de mille.
Auffi-tôt je triomphe, & ma Muse en secret

S'eftime & s'applaudit du beau coup qu'elle a fair.
C'eft en vain qu'au milieu de ma fureur extrême
so Je me fais quelquefois des leçons à moi-même.
En vain je veux au moins faire grace à quelqu'un :
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun;.
Et fi-tôt qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi paffe par l'étamine.
55 Le Mérite pourtant m'eft toujours précieux:
Mais un Fat me déplait, & me blesse les yeux;
Je le pourfuis par tout, comme un chien fait fa proie
Et ne le fens jamais, qu'auffi-tôt je n'aboie.
Enfin, fans perdre tems en de fi vains propos,
60 Je fai coudre une rime au bout de quelques mots,
Souvent j'habille en vers une maligne profe.
C'est par là que je vaux, fi je vaux quelque chofe
Ainfi, foit que bien-tôt, par une dure loi,

en 1669 le privilége d'établir
en France des Opera à l'imi-
tation de Venife; mais en
1672, il fut obligé de le ce-
eer au célebre Lulli. Pierre Per-
rin étoit né à Lion.

Vers 45. Bonnecorfe, Pra-
don, Colletet, Titreville. ] On
parlera de Pradon, fur le der

nier vers de l'Epitre VII. & de Bonnecor fe, fur le vers 64 de l'Epitre IX.

Colletet: Guillaume Colletet, de l'Académie Françoife, mort en 1659.

Titreville: Poëte très-obfcur, dont il y a quelques vers dans les Recueils de Poëfies.

Vers 60. Je fai coudre une rime, &c.] Horace L. I. Sar. 4.
Neque enim concludere verfum

Dixeris effe fatis, &c.

Vers 63. Ainfi, foit que bien-tôt, par une dure Loi, &c.] Ce vers, & les dix-fept fuivans font imitez d'Horace, Sat. I. Liv. 2.

Ne longum faciam, &e.

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