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plus éloignés, lorfque M. le Président de Lamoignon engagea M. Defpréaux dans un Ouvrage d'une autre espéce. Un Pupitre placé & déplacé avoit extrémement broüillé le Chantre & le Tréforier de la SainteChapelle, fituée au Palais à Paris, & cette bagatelle commençoit à devenir la matiére d'un Procés fort férieux, lorsque M. de Lamoignon, qui fentoit mieux que tout autre le ridicule de cette affaire, demanda à M. Defpréaux, s'il pourroit bien faire un Poëme fur ce fujer. Tout eft facile aux grands génies. La feule propofition du Magiftrat fit naître au Poëte une foule d'idées ingénieufes, qu'il ne lui fut pas plus dif ficile d'arranger, qu'il ne lui avoit été de les concevoir. Il dreffa un Plan, il y ajouta un début de 30. à 40. Vers, comme un gage plus certain de la facilité de l'éxécution. M. de Lamoignon furpris, feignit de n'être pas convaincu ; & c'eft à cette feinte obftination que l'on eft redevable des fix Chants qui compofent le Poëme intitulé le Lutrin, De tous les Ouvrages de M. Defpréaux, il n'y en a point où il ait mieux fait voir la beauté & la fécondité de fon génie. C'est là qu'il a rempli d'une maniere particuliere, la véritable idée de Poëte, & il feroit étonnant, fi la fupé riorité de fon efprit n'étoit pas auffi con

nuc

que fes Ouvrages, qu'il ait fçu faire naître une fi grande variété d'incidens, d'un fujet auffi ftérile, & les orner de belles Epifodes. Les traits de Critique & de Satire, qui y font répandus, montrent en même tems qu'il n'a pas moins eu en vuë d'instruire que de divertir les Lecteurs.

La rapidité des Conquêtes de Louis XIV. les glorieufes actions de ce Grand Prince, ont auffi plufieurs fois été chantées par M. Defpréaux, foit dans fes Epîtres, foit dans quelques Odes particuliéres ; & dans toutes fes pièces, on ne trouve pas feulement le grand Pocte, mais auffi l'Hiftorien fidéle, le zélé Citoïen, & l'Ami de la Patrie. Louis XI V. en étoit fi convaincu, qu'il ne se contenta pas feulement de donner à l'Auteur des éloges ftériles, quoique toujours flateurs: il lui donna uné penfion confidérable, & voulut qu'il s'appli quât à écrire l'Hiftoire de fon Régne, & les Académies Françoise & des Belles Lettres attachées à la gloire de ce Prince, fe firent un honneur d'admettre dans leur fein un hom. me, qui avec tous les talens dignes de ces deux focietés, avoit la faveur & la bienveillance de fon Roy.

On ne s'étonnera pas, fi nous paffons fi légérement fur les différens Ouvrages de M. Defpréaux ; nous ne pourrions être engagés à

en parler que pour les faire connoître, & il n'y a rien de plus connu, ni qui doive moins appréhender de ne pas l'être toujours. M. Defpréaux avoit toujours eu une fanté fort délicate, mais au commencement de 1706.l'altération s'en fit fentir d'une maniere à faire douter que le fiécle en dût joüir encore long-tems. Une furdité fe joignit à cet affoibliffement: il fentit fa fituation, & le reste de sa vie ne fut plus, à proprement parler, qu'une retraite, dont la Ville & la Campagne ont partagé le loifir. Peu répandu dans le grand monde, qu'il n'avoit jamais trop aimé, & content d'un certain nombre d'amis dont il faifoit toujours fes délices, il a attendu tranquillement la mort que lui annonçoient chaque jour des douleurs aiguës, des évanouiffemens, & une fiévre prefque habituelle. Elle l'emporta le 13. de Mars 1711. âgé de 74. ans & quelques mois. Tout ce qui a caractérisé la mort des juftes, a accompagné celle de M. Def préaux. Une piété fincére, une foi vive, & une charité fi grande, qu'elle ne lui a prefque fait reconnoître d'autres héritiers que les pauvres. Une fin exemplaire a été dans lui, comme il arrive ordinairement la fuite prefque naturelle, quoique toujours gratuite de la part de Dieu, d'une vie toujours fage & toujours Chrétienne.

Jamais homme ne fut plus pénétré que lui de cette crainte falutaire, que l'on ne connoît prefque plus que fous le nom de délicateffe de confcience. En voici une preuve que M. de Boze rapporte dans le bel & fincére éloge qu'il a fait de M. Defpréaux, & qui fe trouve dans le Tome troifiéme de l'Hiftoire & des Mémoires de l'Académie des Infcriptions & Belles Lettres. Dans le tems que l'averfion du Palais, tourna M. Defpréaux du côté de la Sorbone, on lui conféra un Bénéfice ; il en joüit pendant huit à neuf ans. Au bout de ce tems-là comme il fe fentoit tous les jours moins de difpofition à l'état Ecclefiaftique, il quitta le Bénéfice, qui étoit un Prieuré simple, & pouffant le defintéreffément au point de ne pas même vouloir s'en faire un ami dans le monde, il le remit entre les mains du Collateur, qui étoit un Saint Prélat. Il fit plus; il fupputa à quoi fe montoit tout ce qu'il en avoit reçu, & l'emploïa en différentes œuvres de piété, & principalement des pauvres du lieu. A l'égard de fon refpect pour la Religion, tout le monde convient, c'eft-à-dire, tout le monde qui l'a connu, que ce refpect étoit en lui fort grand. Loin que les devoirs du Chriftianifme, paffaffent dans fon efprit pour des œuvres de furérogation, ou dont il falloit renvoïer

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la pratique dans les Cloîtres, il y étoit éxact, il les aimoit, & fa fidélité à les remplir étoit un exemple qu'il donnoit continuellement à fes Amis, à fon Domestique, & au public. Les liaisons étroites qu'il a eues avec M. Arnauld, & avec la plûpart des Solitaires de Port - Roïal, en font une nouvelle preuve ; & l'on voit briller par tout fon zele & fon amour pour la faine Doctrine de l'Eglife, & la pureté de fa morale, dans fa belle Epître fur l'Amour de Dieu, & dans fa Satire contre l'Equivoque. Ces deux piéces fuffiroient pour immortaliser un Poëte Chrétien, quand elles feroient feules. On trouve furtout dans la premiére, l'onction de la piété jointe avec les expreffions les plus éxactes, par rapport à un dogme qui fait le caractére diftinctif de la Réligion qu'il profeffoit,& dont l'obfervance a toujours fait & fera toujours, la confolation la plus folide d'un vrai Fidéle. Il a porté ce refpect pour Dieu & pour la Réligion, juf ques dans fes Satires même. Il est aisé d'y remarquer avec quelle attention, & quelle avidité il faifit l'occafion d'attaquer le froid & ridicule badinage des impies, les jeux impies de l'Athéïfme, & le langage infenfé des libertins, lors même qu'il femble n'avoir à faire qu'à fes ennemis ordinaires, c'est-à-dire, au galimathias, à l'enflure ou

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