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On ne finiroit pas fi l'on vouloit ainsi s'arrêter fur tout ce qui marquoit dans M. Defpréaux, l'homme de bien inféparable de l'homme d'efprit, & le Sage toujours uni avec le Poëte, il faut cependant dire encore un mot de tout ce qui caractérise son efprit. Ses Ouvrages en font un Portrait fidéle. Il n'avoit pas cette fougue d'imagination que l'on remarque en d'autres Poëtes. Il paroît au contraire un peu fec, & il lui eft arrivé quelquefois de répéter la même pensée. Mais ce qu'il perdoít du côté de l'imagination, il le regagnoit avec ufure par l'ordre & la jufteffe des pensées; par la pureté du ftile; par la beauté du tour, & par la netteté de l'expreffion : qualités bien plus eftimables que la première, & qui ne l'accompagnent que rarement. On voit néanmoins par le Poëme du Lutrin, & par plufieurs autres de fes pièces, qu'il avoit l'imagination belle, vive & féconde. Cela paroît encore de ce qu'il compofoit prefque toujours de mémoire, & ne mettoit fouvent les productions fur le papier que lorfqu'il les vouloit donner au Public.

Il travailloit beaucoup fes ouvrages comme il l'a fouvent infinué lui-même, & comme il ne faifoit pas difficulté de l'avouer à fes amis. Quelque facilité que l'on remarque vers, on ne on ne laiffe pas de fentir qu'ils Tom. I.

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Lui ont coûté beaucoup, & que ce n'eft qu'à force de les retoucher qu'il leur a donné cet air libre & naturel qui fait une partie des grandes beautés que l'on y trouve, & qui y font de plus d'une forte. Les piéces qu'il a publiées depuis l'Ode fur Namur, ne font ni fi vives, ni même fi exactes que celles dont il avoit fait présent au public avant ce tems-là. Cependant on trouvera dans tout ce qui eft forti de fa plume, un goût exquis, un fens droit, & une politeffe infinie. Lorfqu'il a emprunté quelque chofe des Anciens, il s'en eft fervi en Maître, & fe l'eft rendu propre par le nouveau tour qu'il y a donné. Ceux qui ont prétendu que fon Art Poëtique n'étoit qu'u ne traduction d'Horace, à laquelle il avoit ajouté quelques Réflexions tirées de Jerôme Vida, qui a écrit fur le même fujet, fe font affurément trompés. Dans l'Ouvrage de M. Defpréaux qui eft d'onze cens Vers, il y en a au plus 5o. ou 60. qui foient imítés d'Horace Pour Vida il ne l'avoit jamais lû, il l'a affuré plus d'une fois, & on doit d'autant plus l'en croire, que ceux qui compareront l'Ouvrage du Poëte Italien avec celui de M. Defpréaux, ne trouveront rien dans le dernier qui foit feulement imité du premier. Mais une critique fauffe n'y regarde pas de fi près, &

dans l'envie de décrier ceux que l'on n'aime pas ou dont la reputation fait ombra. ge, on trouve que tout eft bon, pourvû qu'on fatisfaffe la démangeaifon de calomnier. On en impofe toujours à quelques Lecteurs fuperficiels, qui n'approfondif fent rien, & qui fouvent ne font point ca pables de rien approfondir, & l'on se fait un mérite de ce qui eft un vrai fujet de honte. M. de la Bruyére, Critique judicieux, en jugeoit bien autrement, M. Def préaux, dit-il, dans fon Discours à Meffieurs de l'Académie Françoife, paffe Juvénal, atteint Horace, femble créer les penfées d'autrui, & fe rend propre tout ce qu'il manie. Il a dans ce qu'il emprunte des autres toutes les de la nougraces veauté & tout le mérite de l'invention. Ses Vers forts & harmonieux, faits de génie, quoique travaillés avec art, pleins de traits & de Poëfie, feront lus encore quand la Langue aura vieillie, & en fe ront les derniers débris. On y remarque une Critique fure, judicieufe & innocente, s'il eft permis du moins de dire de ce qui eft mauvais, qu'il eft mauvais.

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Mais ce ne font pas feulement les François qui ont loüé M. Defpréaux. Son éloge a été fait par tous les habiles gens qui ont pu lire fes Ouvrages, de quelque Na

tion qu'ils fuffent. M. Bayle dans fa République des Lettres, & M. le Baron de Spenheim dans fa Préface fur la Satire des Céfars de l'Empereur Julien, ont donné mille éloges à la beauté du génie, & à la circonfpection de notre Auteur, & n'ont pas hélité de dire, que par lui la France l'emporte pour la Satire fur toutes les Nations, & qu'elle en difpute même la gloire à l'ancienne Rome. Il n'y a pas juf qu'au Dialogue des Morts, où M. Def préaux s'attachoit à montrer le ridicule de quelques piéces de Théatre & de quelques Romans qui avoient alors beaucoup de cours, qui ne mérite des éloges. Quoique nous n'aïons cet Ecrit qu'imparfaitement, il ne laiffe pas, tel qu'on l'a, d'avoir encore de fort beaux endroits.

Le Poëme de la Pucelle de Chapelain n'y étoit pas épargné : mais le fort de la criti que tomboit fur le Roman du Grand Cyrus, & celui de la Clélie de Mademoiselle de Scudéri. L'estime que M. Defpréaux avoir pour cette Demoiselle, & fon refpect pour quelques perfonnes diftinguées, que certe piéce auroit pú intéreffer, l'ont empêché de la donner au Public, Il ne la mit même par écrit que peu de tems avant fa mort. Mais comme il la récitoit à ses amis; elle fut écrite fur ce que l'on put en rete

nir, & on l'a trouve ainfi imprimée dans quelques Recueils.

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Pour ce qui eft de l'Hiftoire de Louis XIV. à laquelle il a travaillé pendant quel' que tems, elle méritoit d'être confiée à la fincérité & à la candeur de M. Despréaux. Mais cet Ouvrage auquel plufieurs Auteurs ont mis la main, n'a jamais été achevé, & il n'y a pas d'apparence que ce qui en est fait, s'il éxifte encore,voïe jamais le jour. M. Def préaux fentoit mieux que perfonne la difficulté de tels Ouvrages & il avoüoit quelquefois ingenuëment, qu'il ne favoit pas trop bien quelles raifons il pourroit alléguer pour juftifier de certaines entreprifes de ce grand Monarque. C'étoit une marque bien fenfible de fa bonne foi, & il feroit à fouhaiter que tous ceux qui entreprennent d'écrire l'Hiftoire de quelque Prince que ce foit, euffent un caractére fi efti mable: Mais cette fincérité même eft fouvent ce qui oblige à recourir à des plumes étrangères, ou à ne publier jamais de telles Hiftoires, que long-tems après la mort de ceux qui en font les objets. C'étoit encore une réflexion de M. Defpréaux, & c'est celle que font tous ceux qui penfent cenfément fur ces matiéres délicates.

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