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je perds, dit Saint Augustin, en croyant d'un méchant qu'il eft homme de bien ? C'est pourquoy, dit ailleurs ce même Saint, la charité n'eft pas trop fâchée d'être trompée, quand elle ne l'eft qu'en jugeant trop favorablement des méchans. Il fe peut faire néan moins que les fuites d'un jugement témeraire en bien, foient dangereufes, quand on fonde fur ces jugemens des liaisons avec les méchans, ou qu'on les perfuade à d'autres; qu'on trompe ces perfonnes par des louanges faufles, fondées fur ce jugement, & qu'on entretient leur illufion & leur vanité. On peut dire avec certitude qu'il y a ordinairement plus de danger dans les jugemens témeraires qu'on fait en mal.

I. a Parce qu'ils naiffent d'ordinaire d'une malignité fecrete; car une ame maligne fe plait à foupçonner`mal des autres.

2. Parce qu'ils peuvent faire perir par euxmêmes ceux qui les forment : car Saint Au guftin marque en plufieurs lieux qu'on peut fe perdre par des jugemens témeraires: Je vous éclaircis,dit-il, de ces choses, de peur que vous ne periffiez en concevant avec malignité de mauvais foupçons des ferviteurs de Dieu. Dans le méme lieu, il dit que le dia

a Malevola anima quafi dulciter fapit quod peffimè fufpicatur. De ferm. Dom. in monte L. z.

Ne malevolo animo de fervis Dei falfa fufpicando pereatis. Epift 137.

Hoc ei perfuadere tentat, ut per malevolas fufpiciones de fratre fuo judicet, & fic ab illo implicatus, abforbeatur. Ibid.

ble tâche à exciter à faire des jugemens témeraires, pour engloutir par la ceux qu'il y

engage.

3. Parce qu'ils ont fouvent de mauvaises fuites, & qu'ils font capables d'éteindre la charité dans ceux à qui on les communique, & encore plus dans ceux defquels on les forme, lorfqu'ils viennent à les fçavoir.

4. Parce qu'ils font des fources de prévention, d'averfion & de médisances.

D. Ce précepte de Jefus-Chrift: Gardezvous bien de juger: Nolite judicare, défendil abfolument de juger de quoy que ce foit?

R. a Il ne nous défend pas de juger des chofes manifeftes, dit Saint Augustin; & c'eft pourquoy ce Saint enfeigne que l'on peut juger des chofes claires, pourvû qu'on laiffe à Dieu le jugement des chofes obfcures. D. Quels font les jugemens témeraires où l'on tombe le plus ordinairement?

R. b Les plus ordinaires font d'expliquer en mal des actions qui peuvent avoir été faites par de bonnes intentions, ou de prendre

a Dicit Apoftolus quorumdam hominum peccata manifefta funt, præcedentia ad judicium, quædam autem & fubfequuntur. Manifeta ea dicit de quibus clarum eft quo animo fiant; hæc præcedunt ad judicium, id eft, quia fi fuerit ifta fubfecutum jndicium, non eft temerarium.... de manifeftis ergo judicemus, de occultis verò Deo judicium relinquamus. Aug. de ferm. in monte L. 2. c. 18.

b Duo funt in quibus temerarium judicium cavere debemus, cùm incertum eft quo animo, quidque fa&tum fit, vel cùm incertum eft qualis fururus fir, qui nunc vel bonus vel malus apparet. Ibid.

Si fortè le aliter veritas habet, ipfi certe humanitari debitum redditur, cum homo de homine nihil mali temerè tufpicatur, nec cuiquam criminanti facilè credit De unico Baptif.c. 16.

les défauts paffagers, pour des défauts durables & permanens.

C'eft en ces occafions, dit Saint Augustin, qu'il faut fufpendre fon jugement, afin de rendre ce qu'on doit à la verité & à l'humilité: car quand ceux que l'on épargne seroient effectivement coupables on auroit toûjours bien fait de ne les pas condamner.

D. Qu'eft-il donc permis de faire quand on trouve qu'il y a lieu de douter que quelqu'un ne foit coupable?

vous en

R. Saint Auguftin le decide par ces paroles a Si quelque chofe eft incertaine. pouvez prendre fujet d'ufer de précaution, de peur que ce qui vous paroît ne foit veritablement ; mais vous ne devez pas former un jugement de condamnation, comme fi vous en étiez affuré.

D. Quels font les remèdes des jugemens témeraires ?

toute

R. C'eft, 1. De purifier fon cœur de malignité. 2. De s'appliquer peu aux actions d'autruy, quand on n'y eft pas obligé. 3. D'éviter la précipitation dans fes jugemens. 4. De bien diftinguer ce que l'on fçait, de ce que l'on ne fçait point; car fouvent on prend fujet d'une verité que l'on fçait, pour juger de ce qu'on ne fçait pas. On fçait qu'une chofe eft mauvaise, on en prend occafion de décider en quel degré elle eft mauvaise, quoyqu'on ne le fçache pas.

Si incertum eft, licet ut caveas, ne fortè verum fit; non augem up damnes tanquam verum fit. S. Aug. in Pf. 147.

D. Y

D. Y a-t-il pas beaucoup de jugemens témeraires qui ne font pas des pechez mortels ?

R. Il y en a une infinité, & ce n'eft d'ordinaire que la malignité qui les rend mortels; ainfi, c'est souvent un jugement témeraire, que de condamner trop durement les jugemens témeraires dans les autres: a car, dit Saint Auguftin, quand ce n'eft pas dans les chofes mémes qu'on fe trompe, que ce qu'on improuve eft mauvais, & ce qu'on approuve eft bon; l'erreur où l'on peut tomber à l'égard des perfonnes, eft une faute pardonnable.

D. En quoy le foupçon eft – il distingué du jugement?

R. En ce que le foupçon n'eft qu'un doute, & le jugement enferme une opinion arrê tée. Ainfi, il y a bien moins de mal à soupçonner quelqu'un de quelque faute, qu'à l'en juger coupable. C'est pourquoy Saint Auguftin dit qu'il n'eft pas en notre pouvoir d'é viter les opinions, mais que nous devons éviter les jugemens.

D. N'y a-t-il aucun mal à concevoir des foupçons fans fondement contre le prochain, lorfque l'on ne forme pas de jugement ar

rêté ?

Quando ergo non erratur in rebus, ut teda fit improbatio vitiorum virtutumque probatio: profectò fi erratur in homini bus, enialis eft humana tentatio. Aug. tre 9. in Joabı Decal. Tome I.

R. a Il y a un dégré d'évidence dans les chofes propofées à l'entendement , qui le doit porter à former un fentiment fixe. Il y a aufli des raifons de douter qui font telles qu'elles portent l'efprit au doute par une efpece de neceffité; mais quand il n'y a point de raifons de douter, il eft certain que c'est mal ufer de fa raifon que d'entrer en doute. Ainfi, il y a fans doute du défaut dans les foupçons qui font fans fondement.

CHAPITRE V.

De quelle forte il faut faire regner la verité fur notre volonté, fur nos actions fur nos paroles.

Omment la verité peut-elle regner

DC fur la volonté de l'homme ?

R. L'objet aimé regne toûjours fur celuy qui Paime; ainfi la volonté n'a qu'à aimer la verité, pour la faire regner fur foy.

D. Eft-il poffible d'aimer parfaitement la verité dans cette vie?

R. L'homme n'étant jamais parfaitement exempt de concupifcence en ce monde, &

➡ Quanquàm & in his rerum tenebris humanarum, hoc eft cogiarionum alienarum, et fufpiciones intelligere non poffumus, quia homines fumus, judicia tamen, id eft, definitas, firmafque Warencias continere debemus, Ibid.

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