Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Ra Saint Augustin répond qu'il la faut découvrir, parce qu'il n'eft pas jufte, dit ce Pere, que le défaut des uns, prive les autres de la connoiffance d'une verité utile, dont ils peuvent profiter. Il faut pourtant avoir égard à la grandeur du bien & du mal qui en peut revenir aux uns & aux autres, prendre garde fi l'on ne pourroit point procurer aux uns le bien de l'inftruction, fans caufer de mauvais effets dans les autres.

>

&

D. Eft-il difficile de difcerner quand on doit découvrir la verité ?

R. Ce difcernement fait une des plus grandes difficultez de la vie chrétienne. C'eft pourquoy l'une de plus grandes graces qu'on puiffe recevoir de Dieu, eft de fçavoir quand on doit parler de la verité.

S II.

Deuxième effet de l'Amour de la Verité à l'égard du prochain, qui est l'obligation de taire la verité.

D. Quand eft-ce qu'on eft obligé de taire la verité.

R. Quand on a fujet de croire ou qu'elle

a Quòd autem Dominus nofter quædam dixiffe invenitur, quæ multi qui aderant, vel refiftendo, vel contemnendo non acceperant: non putandum eft fan&tum dediffe canibus, aut mififfe margaritas ante porcos, non enim dedit eis qui capere non poterant, fed eis qui poterant, & fimul aderant, quos propter aliorum immunditiam negligi non oportebat. S. Aug. de Jerm. Dom. in

worte c. 20.

né fera qu'aigrir, & rendre pires ceux à qui on la diroit, ou qu'elle ne feroit pas comprise par ceux à qui on la voudroit faire connoitre. a Il faut prendre garde, dit Saint Augustin, de ne découvrir pas la verité à ceux qui n'en font pas capables; car il vaut mieux qu'ils cherchent ce qu'ils ignorent, que non pas qu'ils combattent, ou qu'ils méprifent ce qu'on leur aura découvert. Et dans un autre licu: Si une verité, dit-il, eft fi forte, qu'elle furpafle la capacité de celuy à qui on la voudroit enfeigner; il faut la fufpendre, atin qu'il ait lieu de croitre par le defir qu'il aura d'y atteindre, & ne l'en pas charger, de peur qu'elle ne l'accable dans fa foiblefle.

En un mot, il ne faut pas feulement confiderer fi ce qu'on a à dire eft vray, mais fi celuy à qui on le veut dire eft difpofé à le foutenir, & à n'en pas abuser: bide non tantum an verum fit quod dicis, fed an ille cui dicitur veri patiens fit.

D. N'y a-t-il rien à faire lorfqu'on ne croit devoir découvrir certaines veritez, à caufe du peu de difpofition de ceux qui les igno

pas

rent?

R. è Il faut travailler,dit Saint Augustin, à

a Cavendum eft ne quid aperiatur ei qui non capit: meliùs enim quærit quod claufum eft, quam id quod apertum eft, auc infeftat aut negligit. Ibid.

Si tantum pondus habeat aliquod verum, ut vires difcentis excedat,fufpendendum eft ut extendat crefcentem,non imponendum ut obterat parvulum. Idem ibid.

b Senec. de Iral 3. c. 35.

Agendum ergo primum eft ut impedimenta detrahantur, quibus

Oter

ôter les obftacles, & à tacher de purifier le cœur & l'efprit de ceux qu'on en voudroit inftruire,& par les paroles & par ies exemples. D. Tout le monde eit-il oblige de precher la verité ?

R. Comme on doit fouhaiter le bien de la verité à tout le monde, on le doit procurer auffi à tout le monde, autant que l'on peut : Or, on le peut toujours en quelque maniere; car encore que tous ne foient pas obligez de la publier par leurs paroles, tous peuvent contribuer en quelque forte à la manifefter, soit par leurs prieres, foit par leur exemple; mais c'eft un defordre tres-grand quand on veut s'employer à la faire connoitre hors de fon don; qu'on veut écrire, par exemple, lorfqu'on devroit fe contenter de parler; que l'on veut parler, lorf qu'on devroit le contenter d'édifier par fes actions; que l'on le porte à reprendre,lorfqu'on n'a rien en foy qui donne entrée dans l'efprit de ceux qu'on reprend : lorfqu'on veut tout d'un coup perfuader, & reprendre, quand il faudroit te contenter de preparer doucement l'efprit; quand on répand indifcretement les femences de la verité tur des perfonnes mal difpofées : car par toutes ces manieres inconfiderées, on témoigne que l'on n'aime pas la verité, comme on la doit aimer, ou que l'on ne fe connoit pas

efficitur ut non capiat; quia utique fi propter fordes non capit, mundandus eft vel verbo, vel opere, quantum fieri à nobis poteft. Ang ibid.

Decal. Tome I.

S

!

affez foy-même, & qu'il y a quelque autre paffion qui pouffe & qui excite à produire la verité mal à propos, & cette paffion eft fort differente de l'amour tout pur & tout defintereflé, que nous devons avoir pour la ve

rité.

S. III.

Troifiéme effet de l'amour de la verité à l'égard du prochain, qui eft le foin que l'on doit avoir de faire honorer la verité par les autres.

D. Par quelles voyes peut-on faire honorer la verité par les autres ?

R. En retranchant de fon exterieur, de fes actions & de fes paroles, tout ce qui la pourroit faire hair,& luy attirer le mépris; & en la propofant d'une maniere capable de la faire recevoir avec les fentimens que l'on doit avoir pour elle.

La premiere de ces conditions oblige d'éviter tout ce qui peut rendre la verité odieufe ou méprifable dans notre perfonne, comme font tous les défauts qui choquent le prochain, & qui éloignent fa créance & fa confiance.

Et la feconde oblige de la propofer d'une maniere édifiante, qui l'imprime en meme temps dans l'efprit & dans le cœur ; ce qui fait dire à Saint Auguftin, a qu'il faut dire

a Quidquid narras, ita narra, ut ille cui loqueris audiendo

les veritez qu'on expofe de telle forte, que celuy qui l'écoute croye, qu'en croyant il efpere, & qu'en efperant il aime.

D. Quels font les défauts qui empêchent le plus, que la verité ne false impreffion fur l'efprit ?

Ŕ. C'eft, 1. De faire paroître de la paffion: Car rien n'éloigne plus ceux à qui on propofe quelque verité, que de leur faire paroitre qu'on n'eft pas touché du seul amour de la verité.

2. D'ufer de manieres aigres & dures, en propofant les veritez. Ce que Saint Auguftin compare au procedé d'un Medecin, ou ignorant, ou trompeur, qui appliqueroit un medicament utile de foy, d'une maniere qui le rendroit ou inutile, ou nuifible.

3. D'accabler ceux que l'on inftruit par la longueur des difcours : car il ne faut pas, dit Saint Auguftin, priver les auditeurs de ce qui leur eft neceffaire; mais auffi il ne les faut pas charger par la multitude des inftructions. La moderation qu'il faut garder, est de fatisfaire ceux qui ont de l'ardeur pour s'en inftruire, & de ne pas charger que ceux qui en ont du dégoût.

a

D. Tout cela eft-il contraire à l'amour de la verité ?

credat, credendo fperet, fperando amet. S. Aug. de Cathechi fandis rudibus c. 4.

4 Ut nec fraudemus ftudiofos, nec gravemus faftidiofos. Aug. Tr. 18. in Joan.

« AnteriorContinuar »