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mes, on les empêche de les imiter. D. Quand faut-il donc pratiquer le précepte ordonné par l'Evangile de cacher à la main gauche le bien que fait la main droite ?

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R.Il le faut pratiquer dans les actions qui ne font point d'obligation & de devoir, & lorfqu'étant encore foible dans la vertu, on a fujet de craindre de perdre le fruit de tout le bien que l'on expose à la vûë des hom

mes.

ARTICLE

V.

Quelles regles l'humilité nous fait garder dans l'acquifition des richeffes & des charges.

D. N'eft-il jamais permis de tâcher d'acquerir des richeffes, ni d'afpirer à une condition plus relevée, ni de prétendre aux em plois éminens; & tout le monde est-il obligé pour pratiquer l'humilité, de demeurer dans la condition dans laquelle il eft né, ou même de fe rabaiffer?

R. Il n'eft jamais permis de vouloir être riche, ni d'afpirer à quelques places éminentes, précisement dans l'intention d'étre honoré, ou de dominer; car il eft clair que ce font des motifs d'orgueil & de vanité: mais s'il eft utile pour notre falut ou pour la charité du prochain, d'acquerir quelque bien, ou d'entrer dans quelque employ, cela Decal, Tome I.

peut être permis. Il eft tres-utile, par exemple, aux perfonnes qui gagnent leur vie de leur travail, de tâcher de fe tirer par leur affiduité de la neceflité,puifque leur industrie eft un moyen que la Providence de Dieu leur fournit, pour leur procurer ce dont ils ont befoin: de plus, la neceffité étant un écueil qui fait tomber beaucoup de Chrétiens, en les jettant dans la méfiance de la Providence de Dieu, & dans les murmures; il eft clair qu'il eft louable, & même qu'il eft utile de fe tirer de cette neceflité par fon travail & fa conduite, & de fe mettre par là à couvert de beaucoup de tentations.

De meme il eft utile au Public que ceux à qui Dieu a donné des talens, employent ces talens pour le bien public, & qu'ils rempliffent les charges & les emplois qui en ont befoin. Si donc une perfonne née pauvre, a reçû de Dieu des talens, il peut fans orgueil, par le confeil de perfonnes fpirituelles, prétendre aux emplois qui ont befoin des talens que Dieu luy a donnez, & aux richeffes convenables à ces emplois : pourvû néanmoins que ce foient des emplois feculiers, & que cette perfonne foit aflez fondée dans l'humi lité, pour porter cette élevation.

Il est même utile en general à la Republique, que des gens foient laborieux, & qu'ils *achent par leur induftrie de parvenir à quelque établitlement honnéte : mais on ne sçauoitexculer l'orgueil de ceux qui n'ont d'autre

foin, ni d'autre but, que de s'élever, & de s'enrichir, & qui mettent tont en ufage pour porter leurs enfans à des états beaucoup au deffus de leur naiffance, quoyqu'il ne foit nullement utile au Public qu'ils les rempliffent.

D. N'eft-il pas toûjours permis de prendre un état conforme à fes richeffes, lorsqu'on en a acquis par fon industrie ?

R. Un Chrétien doit plûtôt tendre à se rabaiffer qu'à s'élever; ainfi, il ne doit point proportionner l'état où il fe met, à fes richeffes, mais à fes talens, & au fervice qu'il peut rendre au prochain.

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Quelles regles P'humilité nous prefcrit en ce qui regarde notre propre perfonne.

D. Ne peut-on jamais faire de plaintes des. outrages, ou des mauvais traitemens qu'on reçoit des hommes, ni des calomnies dont ils nous noirciffent?

R. On en peut faire, par exemple, pour empêcher ou pour corriger leur emportement & leur excès, ou pour remedier au fcandale qui en pourroit naître ; mais on n'en doit jamais faire par rapport à foy-même, & comme fi on n'avoit pas, abfolument merité ce traitement, ou comine fi on avoit été plus rabaiflé qu'on ne devoit.

D. Y a-t-il plus d'humilité à ne parler point du tout de foy-même, qu'à en parler

en mal?

R. Il y a des occafions où la découverte & l'aveu fincere d'un défaut, eft plus humble que le filence; mais ordinairement il vaut mieux ne parler point du tout de foy-même, que d'en parler, foit en bien, foit en mal; parce qu'il peut y avoir de la vanité à en parler en mal, a à caufe, dit Saint Bernard, qu'on peut rechercher en cela la louange de F'humilité, & que l'orgueil eft fouvent plus mortifié par l'oubli de nous-mêmes, que par toute autre chose.

D. L'humilité oblige-t-elle de fe mettre au deffous de tout le monde?

R. Elle n'oblige pas à fe mettre exterieurement au deffous de tous les autres, parce que l'ordre du monde, & de l'Eglife meme, ayant donné des rangs aux hommes, il eft bon que chacun demeure dans fa place, & dans fon ordre, pour éviter la confufion qui naîtroit de ces abaiffemens volontaires; mais interieurement chacun doit reconnoître qu'il merite d'être au deffous de qui que ce foit, & qu'on ne luy feroit aucun tort en l'y reduifant.

a Eft confeffia eò periculofiùs noxia, quò fubtiliùs vana, cium ipfa etiam inhonefta & turpia de nobis detegere non veremur; non quia humiles fumus, fed ut effe putemur. Appetere autem de humilitate laudem, humilitatis eft, non virtus, fed fubverfio. Verus humilis vale vilis reputari, non humilis prædicari gauder contemptu fui, hoc folo fanè fuperbus, quàd laudes contemnit, S. Bern. ferm. 16. in Cant.

D. L'humilité oblige-t-elle à croire qu'on eft plus méchant & plus corrompu que les

autres ?

R. L'humilité ne peut obliger à croire rien de faux; or il n'eft pas vray que chacun foit plus méchant & plus corrompu que tous les autres. Mais personne ne fçait s'il n'a point une plus grande fource de corruption que les autres & fi cette corruption ne l'auroit point porté plus loin qu'aucun autre fi Dieu par fa grace n'en avoit arrêté le cours.

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Perfonne ne fçait avec certitude s'il eft préferable à qui que ce foit, même aux plus criminels; parce que perfonne ne fçait pas quel jugement Dieu porte de l'abus qu'il peut avoir fait de fa verité, de fes lumieres & de fes graces. Perfonne ne fçait s'il a réellement plus de vertu que les plus imparfaits parce qu'il ne fait pas s'il a plus d'humilité, & ces incertitudes fuffifent pour porter une ame à fe mettre interieurement au dernier rang, & au deffous des

autres.

D. Y a-t-il toûjours de l'orgueil à s'excufer?

R. Il y en a toûjours dans les lieux où il eft défendu de s'excufer, quand on est accufé, comme dans quelques Monafteres ; parce qu'alors on defobéit à la regle, & qu'on s'excufe fans utilité, & par confequent par orgueil: mais dans les lieux où l'on n'obferve pas cette regle, il eft permis de s'ex

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