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Que la Crainte de Dieu nous eft commandée. Differentes efpeces de Crainte de Dieu.

D.

A Crainte de Dieu nous eft-elle commandée par le premier Com mandement ?

R. Dieu tire luy-même le devoir de la Crainte, de fa qualité de Sei-. gneur: Je fuis le Seigneur, dit-il, où est la crainte que Pon a pour moy? Ubi eft timor meus? Ainfi, l'on peut tirer le Commandement de craindre Dieu de ces premieres paroles du Decalogue: Je fuis le Seigneur votre Dieu.

D. Combien y a-t-il de fortes de craintes par rapport à Dieu ?

R. Outre la crainte de reverence, qui eft plutôt un refpect qu'une crainte, il y en a de trois fortes; la crainte filiale ou chate, qui

fait apprehender de pecher, de peur de déplaire à Dicu, & de le perdre : la crainte fervile, par laquelle on craint la peine du peché fans aimer Dieu ni fa juftice; & la crainte des Juftes imparfaits, par laquelle on craint de pecher pour l'amour de Dieu, & les châtimens pour l'amour de foy-même.

D. Laquelle de ces craintes nous eft commandée ?

R. Elles nous font toutes commandées, mais diverfement: la crainte chafte & filiale eft toûjours commandée, parce qu'elle fubfifte avec la charité parfaite.

La crainte initiale, c'eft-à-dire, celle des Juftes imparfaits, eft commandée à ceux qui en ont encore befoin pour refifter aux impreffions du monde & de la concupifcence. La crainte fervile n'eft pas commandée quant à fa fervilité; c'est-à-dire, quant à cette condition d'être jointe à la privation de la charité, parce qu'elle n'eft pas bonne à cet égard; mais elle eft commandée quant à fa fubftance; c'est-à-dire, qu'il eft commandé aux pecheurs deftituez de charité de craindre Dieu.

D. Quelle difference y a-t-il entre la crainte initiale & la crainte fervile?

R. Il n'y en a point dans leur nature, parce que c'eft la même efpece de crainte, & que P'une & l'autre regarde la peine du peché comme dure & ficheufe; mais cette crainte eft reglée & dominée par la charité, ou l'a

mour de Dieu dans la crainte initiale: & eft au contraire fans regle dans la crainte fervile; parce qu'elle eft dans le cœur fans charité.

D. Ce mouvement, par lequel l'homme craint la peine, eft-il bon?

R. Ouy; car tout ce qui eft conforme à la raison, eft bon en foy; or il eft conforme à la raison, de craindre ce qui eft en effet terrible, comme l'enfer, d'autant plus que cette crainte nous peut fervir utilement, & nous porter à chercher les moyens de l'éviter.

D. Dieu eft-il auteur de la crainte, même fervile?

R. Ouy, car c'eft luy qui fait par la conduite de fa providence, que des objets terribles frappent notre efprit, ou qui opere même les impreffions de terreur dans le cœur ; mais la cupidité qui domine dans tous ceux en qui la charité n'eft pas, les porte à abuser de ces mouvemens de crainte, en ne les rapportant pas à la fuite du peché pour l'amour de la justice.

D. Comment eft-il poffible de rapporter la crainte que l'on a des peines pour l'amour de foy-même, à éviter le peché pour l'amour de la juftice?

R. Cela eft tres- poffible, & cela se fait dans la crainte initiale; car l'amour de Dieu qui refide alors dans le cœur,nous fait defirer d'éviter le peché pour l'amour de la juftice; mais pour amortir l'impreflion des plaifirs qui tentent,ou des maux humains qui effrayent,il

employe les fecours de la crainte des peines de l'autre vie, quoyque cette crainte regarde le bien propre, & c'eft dans ce fens que Saint Augustin dit: a Craignez les maux dont vous menace le Tout-Puiffant, aimez ce que vous promet le Tout-Puissant,& vous mépriferez le mon de, foit qu'il vous veüille attirer par fes promesses, foit qu'il vous veille effrayer par fes menaces.

CHAPITRE

I I.

Si la Crainte fervile fuffit pour éviter les pechez

D.

C

Ses utilitez.

Eux qui s'abftiennent de faire quel que peché par la feule crainte de la damnation, fans aucun amour de Dieu font-ils exempts de peché dans cette action?

R. I. Ils ne font pas exempts du peché qu'il y a à ne rapporter pas toutes les actions à Dieu, & à n'agir pas par principe d'amour de Dieu actuel ou virtuel; car une action faite par la pure crainte des peines, n'a pas l'amour de Dieu pour principe, & par confequent eft défectueufe.

2. Ordinairement ceux qui n'agiffent que. par la pure crainte fervile, forment interieu rement des defirs de faire ce que Dieu leur

a Exhorrefce quod minatur Omnipotens, ama quod promitrie Omnipotens, & vilefcer & omnis mundus, five promittens, five terens. Aug. in Epift. Joan. tr. 3. Item in Pf. 63.

défend, s'il étoit permis de le faire fans être puni, & fe rendent coupables par ce defirque Dieu voit dans leur cœur. a Car comme dit Saint Auguftin, ce n'eft pas être exempt de peché, que d'avoir le defir de faire ce que Dieu défend.

pas

3. Quoyque cette crainte fût fi forte. qu'elle appliquât totalement l'ame à éviter Fobjet qui l'excite, & qu'ainfi cette ame ne formât aucun mauvais defir exprès & formel, Dieu ne laifferoit de voir dans cette ame une préparation de cœur à faire le mal, fi la crainte du châtiment ne l'en em-. pêchoit; & cette préparation eft un peché habituel, quoyque ce ne foit pas un nouveau peché. C'est-à-dire, qu'une ame qui n'agit que par la crainte, n'eft pas convertie, n'eft pas tournée vers Dieu, demeure attachée à la créature, & y met encore fa derniere fin. Car il n'y a que l'amour de Dieu qui tourne l'ame vers Dieu, & qui luy faffe dire: O Dieu de mon ame, & mon partage pour l'éternité! En un mot, une ame dans cet état n'eft pas bonne : b car comme dit Saint Au¬ guftin, on ne doit pas mettre au rang des bons, ceux que la crainte empêche de faire

a Inaniter putat vitorem fe effe peccati, qui pœnæ timore non peccat:quia etfi non impletur foris negotium male cupiditatis,ipfa tamen mala cupiditas intùs eft hoftis. Et quis coram Deo innocens. invenitur, qui vult fieri quod vetatur, fi fubftrahas quod timetur. Ac per hoc, in ipfa voluntate reus eft, qui vult facere quod non, licet fieri. Aug. Ep. 144.

b Non boni pronuntiandi funt qui meruendo non peccant, not enim bonus eftquifquam timore pœnæ, fed amore juftitiæ, Aug. Epift. 153%

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