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le mal; car ce n'eft pas par la crainte de la peine qu'on eft bon, mais par l'amour de la juftice.

D. Qu'est-ce qu'il y a donc de mauvais dans la crainte fervile?

R. Il n'y a rien de mauvais en foy dans la crainte fervile, mais il y a quelque chofe de mauvais dans ceux qui n'ont que cette crainte; fçavoir, de n'avoir point de charité, & par confequent, point d'amour pour Dieu & pour fa juftice.

D. Mais cette crainte de Dieu, quoyque fervile, n'eft-elle point bonne abfolument, & n'a-t-elle point quelques utilitez ?

R. Elle en a plufieurs. 1. Elle empêche l'œuvre extericure du peché, & par-là elle rend le peché moindre.

2. Elle fait que l'ame ne fe lie pas au peché par l'attache qui nait de l'action exte

rieure.

3. Elle fait que l'ame s'accoûtume à la privation de cet objet criminel,& qu'elle reconnoit que cette privation n'est pas fi fâcheufe qu'elle avoit crû, & par-là elle diminuë cette attache au peché,

4. Par la diminution de cette attache, l'ame devient difpofée à fuivre les mouvemens de l'amour de Dieu, qui n'auroient pas eu d'effet, fi cette attache eût été plus forte.

5. En accoûtumant l'ame à regarder les objets criminels, joints à l'idée des peines

qui les doivent fuivre, elle arréte leur impreffion, & fait que ces objets agiffent beaucoup moins violemment fur l'efprit, parce que l'ame s'applique plus à l'idée du mal qui fuit le plaifir, qu'à celle du plaifir même.

D. Que faut-il donc dire à ceux qui n'ont que des mouvemens de crainte fervile, fans mélange d'amour de Dieu dans le cœur ?

R.Il leur faut dire avec Saint Augustin, qu'ils faffent toûjours par la crainte ce que Dieu commande, & qu'ils apprendront par là à le faire par amour.

D. Eft-il meilleur dans les prédications ou les inftructions, de porter les gens à la crain te qu'à l'amour?

R.b Il les faut porter à la crainte, pour enfuite les conduire à l'amour; mais il femble qu'il faille davantage s'arrêter aux motifs de crainte; parce que quoyque ceux qui fe conduifent par amour, foient à la verité meilleurs & plus parfaits; ceux néanmoins

a Qui timendo non facit malè, mallet facere, fi liceret : itaque fi facultas non datur, voluntas non tenetur. Non facio, inquit, quare, quia timeo mundum : amas juftitiam, adhùc fervus es, efto filius, fed ex bono fervo fit bonus filius. Interim timendo noli facere, difces & amando non facere: eft enim quædam pulchritudo juftitiæ, poena te deterreat. S. Aug. Ff. 32.

b Sicut meliores funt quos dirigit amor, ita plures funt quos corrigit timor, Id. Ep. sc.

De ipfa etiam feveritate Dei, quâ corda mortalium faluberrimo terrore quatiuntur, caritas ædificanda eft, ut ab eo quem timet, amari fe gaudens, cùm redamare audeat, ejufque in fe dilectioni, etiamfi impunè poffet, tamen difplicere vereatur. Id. de Cat. rud. c. 4. 1

Hac ergo dile&ione tibi tanquam fine propofito quo referas om. nia quæ dicis, quidquid narras, ita narsa, ut ille cui loqueria audiendo credat, credendo fperet, fperando amet. Ib. c. 4•

qui fe corrigent par la crainte, font en beaucoup plus grand nombre. On doit cependant faire fervir la crainte de la severité de Dieu, pour faire naître la charité, en montrant combien ce Dieu fi terrible a d'amour pour nous: afin que l'ame fe réjouiffant d'être aimée par celuy qu'elle craint, prenne la confiance de l'aimer. Ainfi, il eft vray de dire que toutes les inftructions doivent tendre à l'amour, & que par confequent, comme l'enfeigne Saint Auguftin, il faut tâcher que tous les difcours portent à la Foy,à l'Efperance & à la Charité,

CHAPITRE III.

De la Crainte des Juftes imparfaits.

D.D'eft-ce que la crainte des Juftes im

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R. C'eft celle par laquelle on craint à la verité de pecher, de peur de déplaire à Dieu mais qui renferme en même-temps : la crainte du peché, par un motif d'amour de foy-même.

D. Eft-il bon que les Juftes entretiennent en eux cette crainte ?

R. a Saint Augustin répond que tant que

a. Difcute confcientiam tuam quifquis timere jam non vis.... Rimare diligenter utrùm nulla ibi vena venenata tabificum amorem fæculi fugat & forbeat, utrùm nulla carnalis voluptatis mo. vearis & capiaris illecebra, nullâ inani ja&antiâ tumidus extollaķis.....Si hæc ita fint, rectè gaudes, gaude se effe fine time,

la charité n'eft pas parfaite, tant que les paffions ne font pas parfaitement domptées, tant que les impreffions des objets du monde font violentes, il ne faut pas fe défaire de la crainte des peines. Que le Chrétien, dit-il, se foutienne par la crainte, jufqu'à ce qu'elle foit bannie par la perfection de la charité.

D. Les paflions qui font furmontées par cette forte de crainte initiale, font-elles furmontées d'une maniere Chrétienne, en forte qu'il n'y ait point de peché dans les actions qui en naiflent?

R. Ouy; parce que l'effet de la crainte n'eft que d'affoiblir l'impreflion des objets de cupidité, & de faire en forte que la cha→ rité la puiffe furmonter: De forte que c'eft la charité qui furmonte, quoyque par le fecours de la crainte. La crainte affoiblit l'ennemi, & la charité s'en rend victorieufe.

D. C'est donc une fauffe fpiritualité de bannir de fon efprit les objets de crainte ?

R. Ouy, fans doute, à moins que Dieu ne poffede parfaitement le cœur par fon amour, ou que l'imagination soit fi foible, qu'elle ne puiffe fuporter ces objets terri bles; mais comme ces deux difpofitions font extraordinaires, on peut dire que le commun des Chrétiens doit fe foûtenir par la

re.... Si autem quamvis intra teipfum nullâ irritaris cupidicate.... de te ipfo tibi places, hoc ipfum vehementiùs timere debes, quia nihil times.... timeat autem Chriftianus, antequam perfecta charitas foras mittat timorem. S. Aug. Ser. 214. de Temp.

crainte, & fe reprefenter fouvent les objets de l'autre vie, qui font capables de les épouvanter; & meme que c'est un grand défaut dans la plupart des Chrétiens d'y penser si peu. Ainfi, & les pecheurs, & le commun des Juftes ont befoin de crainte ; & leur ôter la crainte, c'eft leur ôter le moyen le plus ordinaire de leur falut.

D. Qu'est-ce qui eft capable d'ôter cette crainte?

R. Ce font certaines opinions ou Heretiques ou fauffes, dont l'efprit feroit prévenu. D. Quelles font les opinions Heretiques ? R. Ce font celles des Calviniftes qui enfeignent que la juftification étant une fois acquife, ne fe perd jamais. Que tout juste doit être affuré de fa prédeftination & de fa juftifi

cation.

D. Quelles font les opinions fauffes ?

R. Ce font celles de ceux qui affurent les pecheurs, que pourvû qu'ils ayent le temps de fe confeffer, il y a tres-peu à craindre pour leur falut; parce que, leur difent-ils, il leur eft facile de faire un acte d'attrition ou de contrition. Cette fauffe opinion bannit auffi prefque entierement la crainte de Dieu & de fes châtimens ; parce qu'il ne refte plus que la crainte d'être furpris par une mort fubite, de laquelle on fe délivre tresfacilement, en s'imaginant & fe perfuadant à foy-méme que cet accident n'arrivera pas.

CHA

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