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différentes, ils fe font acquis une gloire prefqu'égale. Thucydide eft plus ferré, plus concis, fe hâte d'arriver au dénouement: Hérodote eft plus doux, plus fimple, plus abondant: le premier peint mieux la violence des paffions; le fecond, la douceur du fentiment: l'un eft parfait dans fes harangues, l'autre dans les entretiens ordinaires; Thucydide entraîne par la force; Hérodote par le plaisir.

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Les harangues dont Thucydide a eu l'art (1) d'animer fon hiftoire, en font non-feulement l'ornement mais la base & le foutien. On aime que l'Historien se faffe oublier, s'oublie lui-même laiffer agir & parler les perfonnages qu'il introduit fur la fcène. Il rend par-là fon Lecteur présent à l'action; il lui abandonnc le plaifir d'obferver, de connoître, de

, pour

(1) Essayez, dit M. l'Abbé de Mably, de fupprimer les harangues de Thucydide, & vous n'aurez qu'une hiftoire fans ame. Voyez fon Traité de la manière d'écrire l'Histoire, premier Entretien, pag. 145.

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faifir par lui-même le génie, le caractère des Acteurs; de juger de la paffion qui les anime, foit qu'ils parlent, foit qu'ils agiffent; de développer les principes & les caufes des événemens; d'en prévoir les fuites; de découvrir les refforts fecrets de la politique, & de démêler le fil caché des intrigues. Tel eft l'art de réveiller d'émouvoir & d'intéreffer l'amour-propre du Lecteur; & cet art eft celui de Thucydide. Il laiffa en mourant fon histoire imparfaite. Xénophon fe chargea de la continuer, & eut la gloire de l'achever.

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Cet excellent Hiftorien, dont l'agréable négligence (1) eft fi naturelle, que le travail ne l'imitera jamais, dont les Grâces

(1) Quid ego commemorem Xenophontis jucunditatem illam inaffectatam, fed quam nulla poffit affectatio confequi? Ut ipfæ finxiffe fermonem Gratiæ videantur; & quod de Pericle veteris Comedia teftimonium eft, in hunc transferri juftiffime poffit, in labris ejus fedille quandam perfuadendi Deam. QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 745.

elles-mêmes femblent avoir formé le langage, & fur les lèvres duquel repose la Déeffe de la persuasion, est le premier Philofophe qui fe foit livré à ce genre de travail. Quand on pense en fage, on écrit en fage. Xénophon, l'un des plus illustres difciples de Socrate, ne fit ufage de la Philofophie que pour infpirer la crainte des Dieux, & pour faire briller davantage l'honneur & la vertu, que fon pinceau religieux & pur fait encore embellir de nouveaux charmes. On voit que c'eft-là fon feul but. Il n'écrit point l'Hiftoire pour s'ériger en réformateur: il n'affecte point d'y donner des leçons aux Rois, ni des préceptes au genre humain : c'est plus par les chofes, que par le coloris enchanteur de fon ftyle, qu'il veut nous attacher: en un mot, fidèle & févère obfervateur des devoirs impofés à tout Hiftorien, il ne cherche pas à flatter la malignité des Lecteurs ignorans & fuperficiels, par un cynisme révoltant; mais à contenter & à nourrir les bons efprits, qui préfèrent au

clinquant du menfonge le folide éclat de la vérité.

La gloire dont un Hiftorien doit paroître le plus jaloux, eft celle d'être utile & d'inftruire; d'élever ou d'entretenir le courage, par la manière de préfenter les actions héroïques; de faire aimer la vertu, en infpirant l'horreur du vice; d'encourager les bonnes mœurs, comme étant la force & le falut des Empires; de peindre avec énergie la foibleffe & l'aviliffement dans lefquels tombent les Nations dont les mccurs font dépravées; de former des Hommes d'État, des Miniftres, de grands Capitaines, & c'eft fur-tout en quoi Xénophon eft admirable. Scipion l'Africain ne pouvoit se lasser de lire (1) fes ouvrages; & c'eft dans fon excellente hiftoire de la Retraite des Dix-mille (2), que Lucullus apprit le fecret de vaincre Mithridate.

(1) Semper Africanus Socraticum Xenophontem in manibus habebat. Cic. TUSCUL. 2, n° 25.

(2) Nous avons deux traductions françoises de P'Expédition de Cyrus, ou la Retraite des Dix-mille;

Xénophon étoit à la fois grand Capitaine, grand Philofophe & grand Hiftorien; le

l'une de M. Larcher, de l'Académie Royale des Infcriptions & Belles-Lettres, & de celle de Dijon. (Paris, 1778, 2 vol. in-12, chez les Frères de Bure). La feconde de M. le Comte de la Luzerne, Maréchal des Camps & Armées du Roi (nouvelle édition, Paris, 1778, 2 vol. in-12, chez Cellot & Jombert le jeune, rue Dauphine). Ces deux excellentes traductions nous ont paru rendre toutes les beautés & toute l'élégance de l'original. Elles font utiles & néceffaires à tout Militaire, qui, ne pouvant lire Xénophon dans le texte, eft curieux de s'inftruire de la Tactique des anciens. Elles font auffi accompagnées de notes instructives pour l'intelligence du texte. On ne fauroit être trop reconnoiffant envers des hommes d'un favoir auffi rare, & d'un mérite auffi diftingué que M. Larcher & M. le Comte de la Luzerne, de l'utile emploi qu'ils font de leurs veilles. Il appartenoit également au Savant & au Militaire de traduire Xénophon. Mais quel ufage plus glorieux, plus digne d'éloge & d'eftime, un homme de qualité très-inftruit, poffédant parfaitemenr la Langue Grecque, peut-il faire de ses talens? Que l'exemple de M. de la Luzerne eft bien fait pour inspirer l'amour du favoir, quand on le confacre comme lui, à l'instruction de fes femblables!

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