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voluptueufe & libertine, les heures con facrées à relever fes charmes, à donner plus de fraîcheur à fa beauté, plus de piquant à fes attraits, fa maison ouverte dans tous les inftans du jour & de la nuit; cette foule d'amans qu'il falloit attirer, conferver, trompér, & renouveller fans ceffe, rien ne la détourna de l'étude qui pouvoit feule l'élever au-deffus de fon fexe. Jamais homme d'Etat ne connut mieux qu'elle les refforts de la politique; jamais Rhéteur ne porta plus loin l'art de la parole. Périclès conçut pour cette Courtifane la paffion la plus violente & la plus durable; & fi fa gloire en fouffrit, il ne perdit pas du moins dans un oubli honteux de foi-même, les momens qu'il devoit aux affaires de la République. Amant & Difciple à la fois d'Aspasie, c'eft elle qui le forma dans l'art de gouverner. Elle étoit l'ame de fes confeils elle élevoit & foutenoit fon courage; souvent même le feu de fes discours passa dans les harangues de fon amant. S'il étoit

poffible

poffible d'excufer les foibleffes des grands Hommes, celle de Périclès mériteroit peut-être de trouver grâce aux yeux des Sages. La beauté n'a befoin que d'ellemême pour triompher: mais que n'ajoutet-elle pas à son pouvoir, quand elle est accompagnée des dons fupérieurs de l'efprit! Voilà fans doute l'attrait puissant qui engagea & retint Périclès dans les liens d'Afpafie.

Gette femme extraordinaire devoit avoir en effet un mérite plus réel, plus précieux, plus rare que la beauté, pour déterminer, au rapport de Plutarque (1), les plus graves personnages, non-feulement à la fréquen ter, mais même à mener chez elle, malgré la publicité honteuse de son commerce, leurs femmes & leurs filles , pour l'entendre difcourir & pour l'admirer. Socrate, le divin Socrate lui-même ne rougiffoit pas d'y aller (2) prendre des leçons de

(1) Plut. in Pericle, page 165.
(2) Idem, ibidem.

Rhétorique & de Politique. Sa maison alors n'étoit plus qu'une école décente, où elle enseignoit ces deux Arts, & où les Difciples oubliant & le fexe & la beauté de leur Maître, n'étoient frappés que de fon éloquence & de la folidité de fes leçons. Tant de talens réunis dans Aspasie, lui donnèrent un fi grand empire fur l'efprit des Athéniens, qu'elle eut le crédit d'élever aux premiers emplois de la République un homme obfcur, qu'elle avoit époufé, après la mort de Périclès.

Mais malgré l'excellence & l'éclat des talens dont quelquefois le vice eft paré, il ne peut jamais échapper à l'opprobre éternel qui le fuit. Le nom d'Afpafie rappelera toujours l'idée d'une femme perdue de mœurs. On fe fouvient à peine des éminentes qualités de fon efprit; on fait feulement qu'elle étoit courtisane. Elle ternit la gloire de Périclès, qui n'eut honte (1) de l'époufer. Elle fut accusée (2)

(1) Idem, page 165. (2) Idem, page 169.

pas

devant l'Aréopage, en même-temps que le Philofophe Anaxagore, de ne pas croire aux Dieux; & ce ne fut qu'à force de prières & de larmes, que Périclès parvint à la faire abfoudre, tandis qu'il abandonna lâchement la caufe du Philofophe qu'il devoit défendre, autant par honneur que par reconnoiffance. Il ne foupçonnoit pas alors que cette Aspasie qu'il aimoit si éperduement, n'attendoit que l'occasion de pouvoir paffer dans les bras d'un homme de la lie du peuple. Tel est le caractère de ces femmes méprisables, les circonftances décèlent la baffeffe de leur amé, & leurs malheureuses victimes, après avoir tout facrifié pour elles, honneur, repos, fortune & liberté, në font payées de tant & de fi grands facrifices, que par l'infidélité, la perfidie, l'ingratitude & l'oubli.

Il est un faint refpect dû aux mœurs, dont on ne doit jamais s'écarter; car quoique les progrès de l'exemple, en fait de corruption, soient rapides, néanmoins l'indignation générale jete un cri en

faveur de l'honnêteté publiquement outra◄ gée, & Périclès l'éprouva. Les Athéniens fouffroient impatiemment fa conduite & celle d'Afpafie. Ni l'un, ni l'autre ne put fe dérober aux traits de la fatire. Objet de la cenfure, & même des railleries des Poëtes comiques, ils furent attaqués en plein théâtre (1), fans que Périclès osât ufer de fon autorité, pour réprimer une pareille licence.

La Comédie ne connoiffoit encore aucun frein: elle lançoit indiftin&tement ses traits, & n'épargnoit pas même les Dieux. Le peuple se plaifoit à voir immoler fur la scène, aux huées & à la rifée publiques, les personnages les plus diftingués, & fur-tout ceux qui étoient à la tête du Gouvernement.

Aristophane porta beaucoup trop loin cette licence effrénée. Ses Comédies font écrites d'un ftyle pur, délicat, élégant & facile. Il excelloit dans l'art de manier

(1) Plut. in Pericle, pag. 165.

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