Imágenes de páginas
PDF
EPUB

l'arme légère de la plaifanterie : malheur à celui contre lequel il dirigeoit ses traits; il l'immoloit cruellement, en riant fes faillies, pleines de fel attique, étoient d'autant plus piquantes, qu'il faififfoit habilement tous les ridicules, & les rendoit avec autant de chaleur que de vérité. C'eft à lui que commence la Comédie proprement dite, foit qu'il en ait été l'inventeur, foit comme le remarque le P. Brumoy (1), parce qu'il eft le feul dont quelques Comédies aient pénétré le chaos des temps, pour parvenir jufqu'à nous. Ce qui eft incontestable, c'est que de tous fes rivaux, il fut le plus applaudi du peuple qu'il faifoit rire, non-feulement par fes peintures vives & plaifantes des ridicules; mais encore par la vérité de fon pinceau, par la vigueur & le tranchant de fon burin. Il trouva par-là le fecret de plaire à la multitude, que nous appelerions ici

(1) Voyez le Théâtre des Grecs, Tom. III, édit. in-4°. Difcours fur la Comédie Grecque, pag. 8.

2

la populace, fi un peuple, tel que celui d'Athènes, le plus éclairé, le plus jaloux de fa liberté, le mieux inftruit des affaires publiques, le mieux parlant fa langue & qui en connoiffoit toutes les fineffes & toutes les beautés, pouvoit être comparé, nous ne difons pas feulement à notre popu lace groffière, ignorant entiérement fa langue, privée de toute inftruction; mais même à la plus grande partie de ceux qui fréquentent nos Spectacles, prefqu'aussi ignorans & auffi peu faits pour juger que la populace. Ainfi les applaudiffemens que recevoit Ariftophane, étoient fondés, & ne lui étoient accordés qu'avec discernement: il eut de même obtenu tous ceux de la postérité, fans les obscénités & les traits licencieux dont il fouilla trop fouvent la fcène. Enfin les Poëtes comiques fe rendirent fi redoutables, qu'il leur fut défendu , par un Edit, de nommer les perfonnes; & ce fut encore Aristophane qui trouva le fecret de conferver à la Comédie toute fa malignité, en mettant

plus de fineffe dans les allufions, & en traçant ingénieufement des portraits dont on devinoit aisément la reffemblance. Tel fut le fecond âge de la Comédie. Il se paffa plus d'un fiécle avant qu'elle prît une forme nouvelle, & qu'elle devint plus décente & plus digne d'être applaudie des gens vertueux. Ménandre opéra cet heureux changement, & la porta au point de perfection qui la rendit auffi agréable qu'utile & régulière. Ce changement au refte prouve combien les Athéniens étoient déchus de leur liberté. L'ancienne Comédie étoit tout à la fois politique & fatirique; & comme elle n'avoit rien à redouter de l'autorité qui résidoit tout entière dans le Peuple, elle attaquoit fans aucun ménagement la conduite des Chefs de la République & celle des Particuliers, en les nommant, ou en les défignant de façon à être reconnus. C'eft principalement dans ce genre, que Cratès, Eupolis, Cratinus, Hermippus brillèrent, & qu'Ariftophane excella. Ils tirèrent la Comédie de l'en

fance, où fans eux elle feroit peut-être encore; tandis qu'à la même époque, la Tragédie, dès fon premier vol, avoit atteint déja le degré de perfection, qui a fondé à jamais la gloire du Théâtre Grec & rendu immortels les trois plus grands Poëtes tragiques que la nature ait produits.

Efchyle après avoir fignalé sa valeur dans les mémorables batailles de Marathon, de Salamine & de Platée, choisit un autre genre de gloire moins périlleux, plus paisible, auffi brillant peut-être, pour faire paffer fon nom d'âge en âge, à la poftérité la plus reculée. La Tragédie jufqu'à lui, informe & fans art, telle que Thefpis la représentoit, n'étoit qu'un mêlange groffier de fatire & de bouffonneries; & tantôt un récit férieux d'une action vraie ou feinte, rendue par un feul Acteur, qui ne paroiffoit que lorsque le Choeur ceffoit de parler ou de chanter: mais ce n'étoit encore là qu'une ébauche bien imparfaite de la Tragédie. Efchyle, par l'infpiration de fon génie, ajoutant

un fecond Acteur, diminuant le nombre de ceux dont le Choeur étoit formé , inventant l'usage des mafques, habillant d'une robe traînante (1) fes Héros auxquels il chauffa le cothurne; enfin conftruifant un théâtre un peu élevé, jeta les fondemens de la Tragédie d'une manière assez folide, pour que les heureux changemens qu'elle fubit par la fuite, n'aient point empêché de lui attribuer la gloire d'en être l'inventeur; & c'eft le fentiment d'Ariftote (2) & de Quintilien (3). Mais Efchyle ne conçut l'idée traça le plan, n'éleva l'édifice du Théâtre

ne

(1) Poft hunc perfonæ pallæque repertor honefta
Æfchylus & modicis inftravit pulpita tignis,
Et docuit magnumque loqui, nitique Cothurną,
HOR, Art. Poët. vers. 278 & feq.

(2) Poët, d'Ariftote, Ch. IV, pag. 37, édit. de l'Abbé Batteux.

(3) Tragoedias primus in lucem Æfchylus protulit, fublimis & gravis & grandiloquus, fæpè ufque ad vitium, fed rudis in plerifque & incompofitus, QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 741.

« AnteriorContinuar »