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témoigna bien la haute eftime qu'il avoit conçue pour Euripide, lorsqu'apprenant sa mort, au moment même où il étoit (1) prêt à monter fur le Théâtre, & que le fpectacle alloit commencer, il prit fur le champ un habit de deuil, & ordonna à fes Acteurs d'ôter leurs couronnes ! Cet exemple, malheureusement, n'a pas trouvé depuis d'imitateurs.

Tels ont été les fondateurs de la Tragédie Grecque; leurs ouvrages parviendront jufqu'à la dernière poftérité. Le Bel-Esprit, l'ignorance & le mauvais goût fe ligueront en vain pour affoiblir, pour détruire même le jufte enthousiasme qu'ils inspirent. Leurs beautés, malgré la révolution des âges, conferveront toujours leur fraîcheur, parce qu'elles font pures & vraies. Ils ont auffi fans doute leurs défauts; mais quel eft l'ouvrage, à moins qu'il ne forte d'un efprit purement céleste, qui puiffe être parfait ?

(1) Thomas Magifter, in vitâ Euripid.

Au refte, le véritable mérite des Anciens eft d'avoir toujours confulté la nature, & d'avoir fu la faifir. C'eft faute de la confulter & de favoir la faifir comme eux, qu'il eft fi difficile de les traduire. Il n'appartient qu'à la profe élégante, admirable & poétique de Fénelon, aux vers fublimes, harmonieux & tendres de Racine, de faire paffer dans notre langue tout le charme, toute l'harmonie des vers des Homère, des Efchyle, des Sophocle & des Euripide, & non à de froids enlumineurs, dont l'orgueilleux amour - propre s'imagine, avec des pinceaux languiffans & groffiers, des couleurs fauffes & éteintes pouvoir copier les touches larges, favantes & vigoureuses, les nuances délicates & légères, & le coloris enchanteur des tableaux pleins d'ame, de chaleur & de vie de ces grands Maîtres. Ce font leur palette, leurs pinceaux, leur goût, leur génie en un mot qu'il faut avoir , pour atteindre à leur perfection.

Les trois Tragiques Grecs ont chacun

leur

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leur caractère propre qui fe fait aisément fentir, & dans leurs pensées, & dans la manière de les exprimer. Toujours plein de l'ardeur guerrière dont il avoit brûlé long-temps, Efchyle femble imiter dans fon ftyle le choc & le bruit des armes : il écrivoit comme il combattoit, avec impétuofité fon imagination fougueuse le fervoit comme fon courage, & l'emportoit fouvent trop loin. Sophocle animé de la même ardeur, nourri de même dans l'horreur des combats, eft cependant plus modéré, plus fage: fon imagination est grande, élevée, fans être gigantefque. Euripide qui ne s'étoit jamais appliqué à d'autre étude, qu'à la contemplation & à la méditation tranquille de la nature a imprimé fon caractère philofophe à toutes Tes Tragédies. C'eft ce qui a fait dire à Quintilien (1): « Qu'il le regardoit comme » le Poëte, dont la lecturé étoit là plus

(1) Illud quidem nemo non fateatur neceffe eft, iis qui fe ad agendum comparant, utiliorem longè

D

» utile à ceux qui se deftinoient à la pro»fession du Barreau ; car indépendamment » que fon ftyle (& c'eft-là précisément ce » que blâment les perfonnes auxquelles la » majefté, le ton, le cothurne en un mot » de Sophocle, femble avoir quelque » chofe de plus fublime), indépendam»ment, dit-il, que fon ftyle approche » davantage du genre oratoire, il est plein » de fentences; en forte que dans les > chofes que la Philofophie nous enfeigne, >> peu s'en faut qu'il n'égale les Philo » fophes; & foit qu'il faffe parler ou » répliquer fes perfonnages, il eft com

Euripidem fore. Namque is & in fermone (quod ipfum reprehendunt quibus gravitas & cothurnus & fonus Sophoclis videtur effe fublimior) magis accedit oratorio generi; & fententiis denfus, & in iis quæ à fapientibus tradita funt, pene ipfis par, & in dicendo ac refpondendo cuilibet eorum qui fuerunt in foro diferti, comparandus. In affectibus vero cum omnibus mirus, tum in iis qui miferatione conftant, facile præcipuus. QUINT. Lib. X, Cap. I, pag. 741.

Š parable à tout ce que nous avons eu dè plus difert au Barreau. Il eft fur-tout » admirable dans l'art de remuer les paf» fions, & principalement d'exciter la » pitié ».

Il femble que les Contemporains de ces grands Hommes, & la poftérité, se soient accordés, pour ne les défigner que felon l'ordre des temps où ils ont paru fur le théâtre d'Athènes, fans prononcer affirmativement lequel devoit occuper le premier rang. Peut-il en effet y avoir entr'eux quelque prééminence, fi leur génie eft le même, & s'ils ne diffèrent entr'eux que dans leur manière de peindre toujours également fublime? Au refte à qui ont-ils dû le développement de leur génie? qui les a infpirés? quel modèle ont-ils choifi? Homère, ce Peintre divin de la Nature, fans lequel, peut-être, leurs noms & leurs ouvrages auroient été engloutis, comme tant d'autres, dans l'abyfie des temps. Mais quels font les fucceffeurs des Efchyle, des Sophocle & des Euripide? Les connoît-on? Nous ne

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