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écoutoit, les confultoit comme les interprètes & les favoris des Dieux. Ils étoient en un mot les Sages de leur fiécle. C'est d'après cette opinion publique & générale, que Solon ayant terminé ses voyages, de retour à Athènes qu'il trouva déchirée par la guerre civile, fut déclaré fouverain Légiflateur, & qu'il publia fes Loix, qui font encore aujourd'hui regardées, après celles de Lycurgue, comme un des beaux monumens de la fageffe humaine.

La Grèce a donc été le véritable berceau des Muses. C'eft-là qu'elles prirent naiffance, & qu'elles fixèrent leur demeure chérie. C'est au fein de cette terre fortunée qu'elles germèrent, fe développèrent, & qu'elles firent enfuite entendre leurs premiers concerts, lorfqu'elles infpirèrent les Homère, les Héfiode, les Archiloque, les Tyrtée, les Simonide, les Pindare, & tous ces Poëtes divins, dont les accens auront à jamais des charmes, pour tous les peuples inftruits & jaloux de conferver le goût de la fimple & belle nature.

Le long & conftant ufage de la Poéfie fixa donc pour toujours le fort de la Langue Grecque ; & comme il n'existoit point de plus parfait modèle que les Ouvrages d'Homère, qui renferment tous les genres de beautés, que la raison, le goût & l'imagination pouvoient desirer, chacun à l'envi s'efforça de les imiter. Il falloit qu'Homère poffédât fupérieurement fa langue, foit qu'elle eut acquis toute fa perfection lorfqu'il commença d'écrire, foit que ce fut lui-même qui l'eût perfectionnée, pour que fes écrits n'aient point fouffert des changemens & des variations auxquels communément le temps, la néceffité, le caprice & la fauffe délicateffe foumettent impérieufement toutes les langues vivantes. Ce qu'il y a de certain, c'eft que la Langue Grecque eft la feule qui n'a éprouvé ni altération, ni variation depuis Homère. Peutêtre ne dut-elle cet avantage qu'à la Poéfie, dont l'art ne confifte pas moins dans le choix des mots & la pureté du

langage, que dans l'élévation des pensées.

Quoi qu'il en foit, la Langue vulgaire s'enrichit des beautés de la Langue poétique. Elle acquit infenfiblement plus de force & de grâce, plus de jufteffe & de folidité, plus d'abondance & de noblesse, plus de correction & de pureté, en sorte qu'on fe trouva pourvu d'une affez grande abondance de mots nobles & de belles expressions, pour traiter, en prose, toutes fortes de fujets. Dès-lors la Philosophie, l'Éloquence, l'Hiftoire, les Arts & les Sciences devinrent fon partage.

Sans autre guide que fon génie, Hérodote créa l'Hiftoire (1), & l'écrivit d'un ftyle qui charme & entraîne le Lecteur.

(1) Hérodote eft appellé le Père de l'Hiftoire, parce qu'il eft le premier qui l'ait écrite avec art: Qui Princeps genus hoc ornavit; dit Cicéron, de Oratore, Lib. 2, no 13. Cependant il a été précédé par des Hiftoriens célèbres, dont il n'existe plus que la mémoire. Les principaux font Aristée de Proconnèfe; Hécatée, de Milet; Hellanicus, de Lesbos; Phérécyde, de Léros; & Charon, de

Quel triomphe pour lui, que ces applaudiffemens univerfels dont fut fuivie la lecture qu'il fit de fes hiftoires (1), en préfence de toute la Grèce affemblée aux

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Lampfaque. Quelques-uns de ces Hiftoriens, fuivant l'ufage de toute l'Antiquité, avoient écrit en vers. On ne peut affez regretter la perte de la Phoronide d'Hellanicus, dont les Grammairiens & les Critiques nous ont confervé quelques fragmens. Ses vers ont la facilité, l'élégance & le nombre de ceux d'Homère. Cet Ouvrage comprenoit les origines du Péloponnèfe, & étoit intitulé du nom de Phoronée premier habitant, & par conféquent le premier Roi d'Argos. Héçatée, de Milet, paffe pour être le premier qui ait écrit l'Histoire en prose. Hérodote, fuivant le témoignage des Anciens, a beaucoup profité de fes ouvrages. On comprend à quel point ils ont dû lui être utiles, quand on fait qu'Hécatée avoit écrit une hiftoire générale de l'Afie & de l'Europe, fous le titre de Defcription géographique de ces deux parties de la terre.

(1) Hérodote a écrit l'hiftoire de la guerre des Perfes contre les Grecs, depuis le régne de Cyrus jufqu'à celui de Xerxès, & l'histoire générale de prefque tous les Peuples chez lefquels il avoit voyagé.

Jeux Olympiques! On crut entendre les Mufes elles-mêmes s'exprimer par fa bouche; & le plaifir qu'il caufa fut si général & fi vif, qu'on donna à chacun des neuf livres qui compofoient cette histoire, le nom d'une des Neuf Mufes.

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On n'accufera pas fans doute Hérodote d'avoir mendié les glorieux fuffrages qu'il obtint dans cette brillante journée. La Grèce n'avoit point de cercles établis, de protecteurs déclarés, de prôneurs en titre de caillettes-philosophes & beaux esprits, décidant fouverainement de la bonté & de la deftinée d'un ouvrage, du mérite & de la réputation d'un Auteur. Ce fut donc à lui feul, à l'excellence de fon ouvrage, qu'Hérodote dut fon triomphe; mais il est important de remarquer ici qu'Homère avoit grande part à ce triomphe. Hérodote l'avoit pris pour modèle; & il étoit difficile qu'un peuple le plus fpirituel, le plus délicat, le plus fenfible aux vraies beautés, le feul digne d'apprécier & de couronner le génie, ne s'apperçût

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