Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de Démosthène. Comment n'auroient-ils pas été frappés de la nobleffe des fenti mens dont elle eft pleine, de ce beau fimple qui y règne, de cette vérité franche qui la caractérise? On y voit à découvert l'ame toute entière de l'Orateur; & plus fon ame eft élevée, plus fes pensées, fon ftyle, les images qu'il emploie, ont de force, de grandeur & de majefté. Voilà, fi je ne me trompe, la vraie éloquence, celle qui doit enlever tous les fuffrages & la feule digne d'être admirée. Ainsi Démosthène, de l'aveu même de fes rivaux & de toute l'Antiquité, eft parvenu au plus haut degré de perfection, où le génie puiffe atteindre. Il eft le Prince des Orateurs, comme Homère eft le Prince des Poëtes. L'un & l'autre font deux modèles achevés, qu'on ne doit jamais fe laffer d'étudier & de méditer, pour peu qu'on foit jaloux de la gloire. D'ailleurs la Nature nous en offre bien' rarement de pareils; & c'eft une raifon de plus pour ne pas les négliger,

Il femble, en effet, que la Providence fe plaise à favorifer certains fiécles, par le foin qu'elle prend d'y placer, en nombre, ces génies rares & privilégiés, destinés à 'éclairer le monde; & qu'elle laiffe écouler enfuite un intervalle immenfe de temps, jufqu'à ce qu'elle daigne répandre de nou veau fes bienfaits fur une autre généra tion. On diroit même qu'elle est avare, fi j'ofe m'exprimer ainfi, de ces brillantes époques, puifque nous en comptons fi peu jufqu'à nos jours.

Le temps qui s'écoula depuis Homère, jufqu'à la fin de la guerre du Péloponèfe, vit naître une multitude de Poëtes célèbres. Les derniers âges de cette époque furent féconds en grands Philofophes, en grands Hiftoriens & en grands Capitaines. Le fiécle fur-tout de Périclès étonne les merveilles qu'il enfanta dans tous les genres. Mais la véritable éloquence ne commença de briller qu'au temps de Démofthène. C'étoit à lui qu'il étoit réservé de créer, pour ainfi dire, l'art de la parole,

, par

74

pas

& de fe couvrir d'une gloire immortelle, au milieu d'une foule d'excellens Orateurs, faits pour occuper dignement la Tribune aux harangues, & pour se disputer à l'envi le premier rang, si Démosthène ne l'eût obtenu de droit. Ils avoient été presque tous Difciples d'Ifocrate. Cet illuftre (1) Rhéteur, dont le genre d'éloquence eft orné & fleuri, étoit plus propre à enseigner l'art de combattre, qu'à combattre luimême. Peu jaloux de paroître dans les exercices du Barreau, il ne cherchoit qu'à briller au milieu d'une nombreufe École, par les grâces & la délicateffe de fon style: Ses Élèves avoient, comme leur Maître, un genre d'éloquence qui leur étoit propre, & s'ils différoient tous entr'eux, par le genre & par le ftyle (2); ils étoient tous

(1) Ifocrates in diverfo genere dicendi nitidus & comptus, & palæftræ quam pugnæ magis accommodatus, omnes dicendi veneres fectatus eft: nec imme rito: Auditoriis enim fe, non judiciis comparat. QUINTIL. Lib. X, Cap. I, pag. 744.

(2) Demofthenes, Hyperides, Lycurgus, Æschines,

réunis dans le même goût du vrai & du beau fimple. Ce goût fe conferva dans fa pureté, tant qu'on s'appliqua à les étudier & à les imiter: mais après leur mort, on en perdit infenfiblement le fouvenir; & dès qu'ils furent entièrement oubliés, on vit régner un genre d'éloquence molle & efféminée, qui fit difparoître pour toujours les traces de l'ancienne éloquence.

des

Les fucceffeurs des Démosthène Hypéride, des Eschine, se frayèrent donc une route nouvelle qui les égara bientôt. Démétrius de Phalère (1) altéra le premier

Dinarchus, aliique complures, etfi inter fe pares non fuerunt, tamen funt omnes in eodem veritatis imitandæ genere verfati, quorum quamdiu manfit imitatio, tamdiu genus illud dicendi, ftudiumque yixit. Pofteaquam, extinctis his, omnis eorum memoria fenfim obfcurata eft & evanuit; alia quædam dicendi molliora ac remiffiora genera viguerunt, Cic. de Oratore, Lib. II, n. 23.

(1) Phalereus enim fucceffit eis fenibus adolef cens, eruditiffimus ille quidem horum omnium, fed non tam armis inftitutus, quàm palæftrâ. Itaque delectabat magis Athenienfes, quàm inflammabat...

le goût de l'antique éloquence. Plus jaloux de plaire que d'émouvoir, il préféra les grâces à la force. Il ne fongeoit qu'à frapper agréablement l'oreille: il enchantoit l'esprit, mais il n'excitoit dans l'ame aucun de ces mouvemens fubits, involontaires. que produit la véritable éloquence, & qui vous laiffent un long & agréable souvenir de ce que vous avez entendu. Comme il avoit de l'esprit, il varioit à fon gré les ornemens légers & frivoles qu'il répandoit dans fes difcours ; & comme il furpaffoit, en élégance, tous ceux de fon temps, il devint le modèle des Orateurs de fon fiécle. Ses nombreux imitateurs achevèrent de perdre l'éloquence.

Hic primus inflexit orationem, & eam mollem, teneramque reddidit: & fuavis, ficut fuit, videri maluit quàm gravis, fed fuavitate ea, qua perfunderet animos, non qua perfringeret: & tantùm ut · memoriam concinnitatis fuæ, non (quemadmodum de Pericle fcripfit Eupolis) cum delectatione aculeos etiam relinqueret in animis eorum, à quibus effet auditus. Cic. de Claris Oratoribus, n. 9.

« AnteriorContinuar »